« Ça que je trouve si merveilleux ». À plusieurs reprises revient cette petite phrase de Winnie interprétée de manière étourdissante d’intensité par Bénédicte Bianchin, ce vendredi 21 mars, sur la scène de la salle des Fêtes de Bou, Loiret, pour la création de « Oh les beaux jours », de Samuel Beckett, dans une mise en scène de Françoise Tixier.

Bénédicte Bianchin, étourdissante de vérité. Photo Compagnie.
Par Jean-Dominique Burtin.
Somnambule immobile d’une dignité et d’une pâleur stupéfiantes sous la fournaise de la lumière, Winnie se glisse peu à peu jusqu’à l’épuisement, sous la fournaise de la lumière, dans le fourreau d’un monticule de terre. Ici, à deux pas de Willie, présence quasi fantomatique suggérée par le comédien
Daniel Pinault, aux apparitions emplies de gravité et de comédie,
Bénédicte Bianchin exalte le verbe de Beckett. Ce serait comme si tout le haut de son corps devenait parole avec un charmant vieux style empli d’affection et de regret mesuré et affectueux. Dans cet incroyable, prenant et long monologue, où le théâtre des mots requiert fluidité et balbutiements, texte où le bonheur la lucidité et la fatalité s’escortent, Bénédicte Bianchin est tour à tour fièvre, respiration, silence haletant, soupir, fragilité, émotion imprégnée d’une clarté saisissante.
L’émouvante coquetterie du drame et de l’amour
Sans férir, cette dernière convoque la coquetterie du drame qui se joue, se noue, semble parfois se dénouer. De ses yeux d’acier à l’éclat tendre de l’empathie et de la survie, de son chapelet de rires, de ses balbutiements comme des hauts le cœur de tendresse désemparée, de son chant mélancolique sur “L’heure exquise nuit câline”, cette comédienne s’impose avec une impressionnante sobriété, une vérité qui ne peut que tenir en haleine nos sentiments en miroir. Voici, à dire vrai, née de ce spectacle, une osmose rare de ce qui se joue sur scène et se vit dans le public. Oui, Bénédicte Bianchin tient la ligne de ce texte qu’a tenu à sonder et servir Françoise Tixier sans nul artifice. Place, ainsi, à la violence de l’intimité dévoilée avec précaution, à l’effroi commun, à la chair sonore de notre temps et de ses alertes. À la tentative sans cesse repoussée de l’abandon de lutter. Surtout avec l’aide de l’amour partagé, dépouillé, peut-être enfui mais cependant toujours là.
« Le dérisoire de la vie et sa grandeur »
Françoise Tixier : « Winnie vieillit, vieillit depuis longtemps, très longtemps. Le temps passe sur elle, elle l’attrape à bras-le-corps, sa bouche en fait des mots. Elle s’accroche à ses objets, entre autres choses son rouge à lèvres, son ombrelle car le temps c’est de pire en pire… ! Et puis il y a sa vie d’avant, ses souvenirs, bons et moins bons, il y a aussi son homme, tout près et loin en même temps, qui l’écoute, qui la voit peut-être. Elle vit, elle parle, elle parle, elle se sent vivante, et elle a une recette pour ça, elle continue à s’étonner, elle continue à s’extasier, à apprendre encore et ça, c’est formidable ! Sa mémoire se mélange un peu, quelle importance, tout le bas de son corps est immobilisé, quelle importance ! De son corps immobilisé jusqu’à la taille, puis jusqu’au cou, il lui reste la tête, les yeux, le nez mais surtout la bouche, la langue. »
Et Françoise Tixier de poursuivre : « Le talent de Beckett est de nous parler de nos vies à chacun, chacune, par le biais de deux personnages qui sont des archétypes, des figures : une femme et un homme, tragiques, attachants et risibles tellement nous pouvons nous reconnaître en eux ». Dont acte splendide.

Toute l’équipe de création à l’issue de la première. Photo JDB.
Prochaines représentations :
Jeudi 24 avril à 18h30, salle Rabelais à Ormes ; mardi 6 mai à 20h30, Théâtre de la Tête Noire à Saran.
En savoir plus : www.lapetiteelfe.fr
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