Richard Minier a plusieurs cordes à son arc. Auteur, réalisateur, producteur de films documentaires mais aussi musicien, compositeur fondateur du groupe Les Sherpas au début des années 90, cet enfant d’Orléans présente un CV bien rempli. Primé plusieurs fois avec Africa Mia, la fabuleuse histoire des Maravillas de Mali, Richard Minier a choisi de s’atteler à la réalisation d’un nouveau documentaire au titre un brin provocateur, « Quand Jeanne d’Arc était punk ». Rencontre.
Komintern Sect place du Martroi en 1982 (photo Jean Puyo)
Propos recueillis par Olivier Joriot.
Pouvez-vous nous parler de ce nouveau projet ?
« Quand Jeanne d’Arc était punk » (rapport au logo du label Chaos Production sur lequel Jeanne d’Arc a une crête) raconte à travers mon prisme d’adolescent, l’émergence d’un mouvement punk à Orléans avec le groupe Komintern Sect. Tout commence au début des années 80 lorsque je vais les voir les en concert. Je suis le petit punk du collège Pothier et je fais mon apprentissage de vie et de musique qui déterminera ensuite toute ma carrière. Komintern Sect est composé de gamins à peine plus âgés que moi et ils montent un label indépendant (Chaos Production). Ils vont se séparer en 1986 pour se reformer en 2014. Ils ont alors 50 ans, sont devenus pères de famille mais aussi cultes en France et dans le monde entier.
Plus récemment, en allant sur le compte Facebook du chanteur, je vois une image de lui, datant de 1982, alors qu’il a 16 ans. Et là, j’ai un flash. Je tombe sur cette photo de Jean Puyo, qui pour moi dit tout sur cette ville, sur ce groupe et sur l’époque. Des mecs sur un banc, place du Martroi, dans une ville conservatrice avec Jeanne d’Arc derrière. Et eux, ils ont des crêtes. Je tiens le titre de mon futur documentaire « Quand Jeanne d’Arc était punk ».
Ce que je ne sais pas quand j’appelle Carl (chanteur du groupe) pour lui dire que j’ai envie de faire quelque chose sur cette scène de l’époque, c’est qu’il a la maladie de Charcot. Ça me ramène donc dans une urgence à commencer le film. L’été arrive, Carl ne peut quasiment plus chanter et ils vont faire un dernier concert à Montreuil le 29 novembre 2024. Ce moment va être d’une intensité incroyable, avec des gens du monde entier qui sont venus pour célébrer des légendes. La mère de Carl, qui n’était jamais venue voir son fils en concert, est aussi présente pour cette date ultime.
Quel est l’angle choisi pour raconter cette histoire ?
Il est assez intime sur un sujet assez général, le punk. Avec un groupe qui n’est connu que dans le milieu mais au destin particulier. La narration sera amenée par les membres du groupe, des musiciens que j’ai côtoyés et ma voix off qui va faire le lien entre toutes les temporalités. Ça va mélanger amitié, émotion, séparation, avec un angle social, politique avec la montée de l’extrême droite. Malheureusement, certains groupuscules du mouvement skinhead vont prendre au pied de la lettre certains titres provocateurs des Komintern. Ils vont être suivis par un public nauséabond qu’ils n’ont jamais vraiment recherché. La succession de bagarres dans le cadre de leurs concerts va provoquer chez eux, ou du moins pour une grande partie du groupe, l’envie d’arrêter.
Le groupe a joué un rôle important sur la scène punk en France…
Komintern Sect a popularisé le punk en province alors qu’il était plutôt centré sur Londres, New York et Paris. Ils ont fait un vrai travail d’entrepreneur en allant chercher des groupes dans des villes moyennes. Komintern a eu deux vies, dans deux époques différentes, et c’est intéressant de les confronter. La première de 1981 à 1986, dont il reste des vieilles affiches, des fanzines, des vinyles et leur label.
La seconde, en 2014, grâce aux réseaux sociaux. C’est le moment de bascule. Le batteur Thomas est approché par un groupe de jeunes punks parisiens fans de Komintern alors qu’il a 20 ans de plus qu’eux. Ils ont un promoteur en Suède qui est devenu fou quand on lui a dit que tu allais jouer dans notre groupe et il nous a avoué qu’il serait prêt à mettre beaucoup d’argent pour que vous vous reformiez. Du coup, Thomas rappelle tout le monde. Quand ils jouent en Suède, ils réalisent la ferveur qu’il y a autour de leur reformation. Certains spectateurs pleurent. Voilà un groupe d’Orléans, qu’on n’a pas vu depuis trente ans, qui n’a joué qu’en France, et des gens du monde entier sont là pour les voir jouer. Ils vont même faire des dates au Brésil, en Colombie…
Richard Minier (photo Julie Chuzel)
Comment avez-vous abordé les recherches et la préparation de ce documentaire ?
J’ai mené ma petite enquête qui m’a permis de collecter beaucoup d’informations, d’archives, sachant qu’à l’époque, les photos et la vidéo n’étaient pas vraiment développées. Je me suis rapproché de la République du Centre, de la médiathèque, de Jean Zindel qui a fait toutes les photos noir et blanc de cette période. J’ai une richesse iconographique importante à laquelle je peux rajouter énormément de ressources récupérées sur Internet pour la période 2014-2024. Au début de mes recherches, j’ai retrouvé un reportage commandé par la maison de la culture d’Orléans, réalisé par des élèves de 1ère B sur les modes vestimentaires. On les voit interroger des babas cool, des branchés chics et des punks dans les rues d’Orléans.
Toute la narration du film va se concentrer sur les témoignages des membres de Komintern. Je vais raconter cette histoire en tant qu’acteur et témoin direct de cette période et on va mettre aussi des images et des photos d’époque. Avoir des images d’archive au moment où la France opère un virage culturel et artistique avec l’arrivée de la gauche, de la vidéo, des fanzines, du graphisme, c’est un vrai témoignage de l’époque.
Cependant, dans la narration et la réalisation, il y a des scènes que j’ai vécues ou qu’ils m’ont racontées que je ne pourrai pas illustrer avec des archives. J’ai donc choisi de ramener de la pop culture dans ce projet en y incluant des images animées. Il y a par exemple La nuit du rock qui s’était déroulée au cinéma porno « Le Rio », rue de Bourgogne (qui est devenu une annexe de la préfecture) et dont je n’ai aucune trace. Il y avait aussi une salle de jeu, Tilt 82, entre la rue des Carmes et la place De Gaule, dans laquelle je retrouvais ces mecs qui jouaient aux jeux Arcade. Sans parler des disquaires de cette époque comme Disc 2000 ou Musique Please. Le défi de ce documentaire, c’est finalement « comment on peut raconter cette histoire ». Le montage va être super important.
Comment finance-t-on un tel projet ?
J’ai déjà trouvé des fonds pour filmer en novembre dernier l’interview de trois membres du groupe, la dernière répétition et le dernier concert à Montreuil. J’aimerais aller en Suède pour rencontrer le fameux promoteur qui les a relancés. Je veux interviewer la maman de Karl, Punky le guitariste et fondateur de Chaos Production, Dominique Revert qui a fait beaucoup pour le rock à Orléans à travers le ZIG ZAG et Carrie Production. J’ai envie de tourner à Orléans, faire quelque chose de beau esthétiquement.
Pour financer ce travail, j’ai lancé une cagnotte participative pour me permettre de pouvoir continuer ces tournages. Avec un teaser, je vais aller voir des producteurs qui pourront solliciter des subventions et aller toquer à la porte des plates-formes, des chaînes (pour un format 52 minutes) ou d’un distributeur cinéma (pour un format d’1h20).
Je crois à la force universelle de cette histoire, à sa dramaturgie. C’est un pan de la contre-culture assez méconnue. Et puis Chaos Production est précurseur, en ce sens qu’ils arrivent avant les labels Bondage ou Boucherie. C’est un des premiers labels punks alternatif en France. Il y a eu une sorte de convergence qui a fait qu’Orléans est devenue un bastion du rock, du punk en France. Et il n’y a jamais rien eu sur le sujet. Ces gars-là, du haut de leurs 16 ans arrivaient à vendre entre 15 et 20 000 albums, ce qui était énorme pour l’époque. Dans les classements de New Rose, ils étaient en cinquième position, juste derrière New Order avec Blue Monday. C’est pas peu dire ! Il faut reconnaître le travail qu’ils ont accompli. J’ai un lien fort avec ces personnes, cet esprit, cette époque et cela me donne une certaine légitimité pour pouvoir les rencontrer et parler de tout, même de ce qui fâche. Je me sens en proximité avec eux. Je fais remonter des émotions que j’ai eu aussi. Le but est de les partager maintenant avec d’autres générations qui n’ont pas vécu ça.
« Quand Jeanne d’Arc était punk » sortira, si tout va bien, au second semestre 2026 au cinéma ou à la télévision. En attendant, voici les liens vers le Facebook, le teaser, l’émission de Radio Campus et la cagnotte si vous souhaitez suivre le projet et/ou contribuer à la réalisation de ce documentaire punko-orléanais.