Dans un travail esthétique passionnant, Hu Guan nous conte avec Black Dog une histoire bizarre de rencontre entre un homme et un chien. Dans un pays minier totalement déglingué, avec autant d’animaux que d’hommes, le réalisateur chinois construit une fresque étrange. Oeuvre puissante et magnifique, ce film révèle son réalisateur au public français. Très belle découverte !

Lang et le chien s’apprivoisent réciproquement. Capture bande annonce.
Par Bernard Cassat.
Gobi, c’est le Far East. Une image scope absolument somptueuse, des balles de broussailles emportées par le vent. Au loin, sur la gauche, une camionnette entre dans l’image. Et puis soudain, de la droite, des hordes de chiens dévalent les pentes et foncent vers la camionnette. Incroyable image hors temps, hors sol, hors tout. On ne sait pas trop où l’on est, dans un western d’un autre âge ou dans un monde futuriste post apocalypse. Dans le lieu de l’histoire que raconte le film, en tout cas.

Lang (Eddie Peng) et son lévrier noir. Photo The Seventh Art Pictures
Après ce fantastique prologue, le conte va s’installer dans une ville minière à l’abandon. Les chiens sont toujours là. Et les terrils couronnés de petits temples, les interminables trains de charbon qui constamment passent au loin. Ville informe, avec de grands espaces abandonnés. L’étrange personnage qui était dans la camionnette accidentée du début rentre chez lui, après un séjour en prison. Image saisissante de son visage qui apparaît dans une fente de son portail verrouillé : c’est la première fois que l’on voit son regard.

Le désert n’est jamais très loin. Capture bande annonce.
Il ne dira pas un mot de tout le film. Cette ville étrange en pleine mutation, où des consignes de comportements sont diffusées par haut-parleurs, met sur pied des brigades anti-chiens. Lang est inscrit d’office dans l’une d’elles par la police qui le contrôle, en tant qu’ex-prisonnier. Par un amusant jeu d’odeurs de pisses sur un coin de mur, il se rapproche d’un magnifique lévrier noir, aussi fin et élancé qu’il l’est lui-même. Leur histoire va pouvoir de dérouler. Attendrissante jusqu’aux larmes, sans chichis, sans niaiseries.

Le saut à l’élastique au milieu des terrils. Capture bande annonce.
Tout dans ce conte est en dehors de l’ordinaire. Le zoo incroyable, sur un sol poussiéreux, dont le père de Lang est devenu le gardien alcoolique. Quelques cages grillagées, certaines déjà vides, mais un magnifique tigre au beau milieu. À l’arrivée de Lang chez lui, son voisin l’accueille, vieil homme qui parle avec un amplificateur après une trachéotomie, sans doute. Autre étrangeté, un théâtre abandonné, image qui revient à plusieurs reprises. Ou cette immense place déserte et poussiéreuse que Lang traverse à moto ; ses jeux dans les terrils, avec un mât de saut à l’élastique. Le cirque qui arrive pour quelques jours, avec un nain et des motos en panne que Lang répare d’un coup de main. Jusqu’au boucher Hu, qui élève des serpents pour la viande et le venin ! Tout est extraordinaire. Et puis il y a un tremblement de terre, une éclipse (on sait l’importance symbolique du soleil et de la lune dans la culture chinoise) que les gens et les animaux, tous les animaux, vont observer dans le désert. L’homme n’est qu’un élément parmi tous ces autres vivants, terre et univers compris. Mais en même temps, l’homme organise des Jeux olympiques à Pékin, annoncés à plusieurs reprises et qui commencent quand le film se termine. Une autre Chine, celle du développement et de la réussite…
À chacun de comprendre ce conte
Comme tout conte, Black Dog est propice à de nombreuses interprétations. L’homme est un loup pour l’homme, l’animalité en notre intérieur nous sauvera, la société nous embrigade, nous contraint. Et puis la position très proche des laissés-pour-compte du développement et des chiens traités comme des moins-que-rien. Le couple de Lang avec le lévrier appuie sur leur ressemblance. Et puis la rage qui rôde, la maladie comme la rébellion.

Lang fonce vers son avenir avec son nouvel ami. Capture bande annonce.
Mais à chacun de trouver son sens. Ce qui reste en commun, c’est la beauté de ce film, son inventivité, la puissance de son esthétisme et ce regard profondément empathique envers toute vie. Surtout primitive, animale. Hu Guan, le réalisateur, est coutumier des animaux dans son œuvre, largement distribuée en Chine. Il connait bien par ailleurs ces régions du Nord perdues et abandonnées par le pouvoir, où il est né. Son fabuleux travail, absolument sidérant, propose un regard chinois totalement nouveau et original. Universel, comme tous les chefs-d’œuvre. Un film très noir, qui pourtant se termine sur une naissance. Et une fuite !
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