Mercato d’hiver dans les droites tourangelles

Malgré les échecs à répétition depuis presque 10 ans, l’accumulation d’affaires judiciaires et les divisions entre clans, les droites tourangelles continuent de penser que leur heure sera bientôt (re)venue. En coulisses, les manœuvres vont bon train, sur fond de renouvellement générationnel et de stratégie d’union des droites. Et aux côtés des cadavres encore tièdes de LR et du Macronisme, le deuil est mouvementé.




Par Joséphine.


Au national, le bal des prétendants

Bien sûr, le phénomène n’est pas que Tourangeau et se joue d’abord dans les états majors parisiens, même si l’embouteillage d’ego et de stratégies pour la future présidentielle rend le moment assez confus. Gérald Darmanin, lui, la joue solo en imaginant refaire un hold-up à la Macron en 2016-2017 et sature déjà l’espace médiatique. Eric Ciotti, de son côté, envisage son parti comme un écrin pour se vendre au plus offrant et s’appuie essentiellement sur son ancrage local. Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau font mine de croire que LR pourrait encore leur servir dans leur marche sur l’Élysée. Quant à Édouard Philippe, il tisse patiemment un réseau d’élus en province pour mettre en place un parti structuré qui deviendra une machine de guerre pour les campagnes et une courroie de transmission dans l’exercice du pouvoir, façon RPR de la grande époque. À la croisée de ces stratégies, on a Nouvelle Énergie, le groupuscule de David Lisnard. Vous ne connaissez pas ? C’est normal, on parle ici d’une droite de niche, une droite pour gourmets.

Thomas Hernault et Aymeric Jaillais auprès de David Lisnard


David Lisnard, c’est le maire de Cannes et le président de l’influente Association des Maires de France (AMF). Diplômé de Sciences Po Bordeaux au début des années 1990 et encore jeune militant chiraquien, il prend la roue d’un baron du RPR dans le Jura puis décide de descendre dans le sud au tournant de l’an 2000. Conseiller municipal à Cannes dès 2001, réélu en 2008, il occupe longtemps à la mairie le poste stratégique d’adjoint au tourisme. Il cumule aussi le mandat de conseiller départemental des Alpes-Maritimes à partir de 2008 et en devient le vice-président en charge du tourisme, nommé par Eric Ciotti, l’homme fort du département à l’époque. Élu maire de Cannes en 2014 et réélu conseiller départemental au premier tour en 2015, Lisnard manœuvre habilement lors des primaires de la droite en 2016, ne soutenant personne clairement pour ne pas hypothéquer son avenir. Il finit tout de même par intégrer l’équipe de campagne de François Fillon en tant que porte-parole, s’occupant de marteler un discours libéral anti-fonctionnaires tout en finesse. Première visibilité à l’échelle nationale.

Réélu maire en 2020, David Lisnard s’appuie alors sur son micro-parti Nouvelle Énergie fondé en 2014 et entend concourir à la primaire de la droite pour la présidentielle 2022, même s’il s’est investi depuis 2018 auprès de Valérie Pécresse. Il monnaye très classiquement son retrait de la primaire contre le soutien du parti pour sa candidature à la tête de l’Association des Maires de France fin 2021. Ayant acquis selon lui une stature nationale grâce à cette caisse de résonance qu’est l’AMF, Lisnard multiplie depuis les plateaux télé et creuse son sillon autour d’idées innovantes et originales : anti-étatisme, anti-wokisme, anti-parisianisme. Fan de Georges Pompidou – le premier président-banquier – et de Valéry Giscard dont il plagie d’ailleurs le logo pour Nouvelle Énergie, David Lisnard est déjà sur les starting-blocks pour 2027. Suffisamment flou pour pouvoir retourner sa veste le moment venu, il entend probablement refaire le coup de 2021, mais en plus grand, échangeant un ralliement contre un poste ministériel voire Matignon. À Philippe ? Carrément à Le Pen ? Qu’importe le flacon, au fond.

Nouvelle Énergie a donc eu besoin d’essaimer et s’est lancée dans un tour de France qui est logiquement passé par la Touraine, fin 2023. David Lisnard himself est venu pour la soirée de lancement en grande pompe à Fondettes (www.lanouvellerepublique.fr/indre-et-loire/commune/fondettes/indre-et-loire-le-parti-nouvelle-energie-a-la-conquete-de-la-droite), fief de Cédric de Oliveira, lui aussi issu de LR, lui aussi ténor de l’Association des Maires de France et lui aussi jeune personnage ambitieux.

Au local, des relais inexpérimentés sous contrôle

Bien sûr, Lisnard n’a pas la même force de frappe qu’Édouard Philippe pour animer des réseaux. Alors que le second a pu se constituer localement un gruppetto d’ambitieux héritiers déjà bien installés pour faire la promo d’Horizons – Henri Alfandari et Vincent Louault –, le premier a dû se contenter de petits jeunes, sans être trop regardant sur les parcours.

Bon chic bon genre, issus de milieux bien comme il faut, évidemment passés par Sciences Po, têtes de gendre idéal, costumes cintrés de bon aloi, les référents départementaux de Nouvelle Énergie 37 perpétuent la grande tradition des jeunes de droite. On se croirait presque le 30 mai 1968 à la manif de soutien à de Gaulle ou dans les pages lifestyle de Figaro Madame. Miam.

Il y a d’abord Aymeric Jaillais, titulaire d’un Master en Affaires Publiques, spécialisé dans les « métiers des relations public-privé » (sic). Il est depuis l’été 2021 l’assistant parlementaire à mi-temps du sénateur Max Brisson, ancien prof et ancien haut fonctionnaire de l’Éducation Nationale devenu baronnet dans le sud-ouest, un proche de Ciotti et Retailleau. Son autre mi-temps, Jaillais l’a consacré au Conseil départemental d’Indre-et-Loire, embauché par Jean-Gérard Paumier, alors président de la collectivité. Et tout naturellement, Jaillais a suivi Paumier après l’élection de ce dernier au Sénat à partir de l’automne 2023. À peu près à la même époque, Aymeric Jaillais devient référent Nouvelle Énergie en Touraine et peut ainsi affiner ses prises de position politiques qui tranchent avec son récent passé d’étudiant potache : nostalgie pompidoliste assez lunaire, anti-écologie convenue, tirades patriotiques semi-lyriques, défense de l’enseignement catholique dont il est lui-même issu et lieux communs libéraux à la papa, partageant sur les réseaux sociaux des articles de la presse d’extrême droite, JDD ou Valeurs Actuelles. Sans oublier les fondamentaux : soutien récurrent au très catholique Retailleau ou à Sarkozy face à l’odieux acharnement judiciaire dont il fait l’objet.

Instagram de Thomas Hernault


Il y a ensuite Thomas Hernault, l’ancien assistant parlementaire de la macrono-bayrouiste Sabine Thillaye sur la cinquième circonscription d’Indre-et-Loire (www.lanouvellerepublique.fr/indre-et-loire/thomas-hernault-l-attache-parlementaire-qui-a-de-l-ambition) et un temps la plume de l’ancien maire de Tours Christophe Bouchet. Cependant, il préfère se présenter comme « spécialiste du monde de la défense et des affaires internationales » mais aussi comme historien amateur après un Master, deux ou trois stages, quelques ouvrages plutôt confidentiels et une poignée d’apparitions sur des plateaux télé de chaînes d’info en continu ou dans les médias locaux. Plus prosaïquement, Hernault est lui aussi entré dans l’écurie de Jean-Gérard Paumier qui l’a fait embaucher comme « coordinateur du groupe de la majorité au Conseil Départemental », groupe présidé par… Cédric de Oliveira. Vous suivez ? Par ailleurs, quelque peu pressé, Thomas Hernault aurait déjà songé à se présenter à la députation lors des dernières législatives sur la cinquième circo, tentant de se rapprocher de Philippe Briand dont il se verrait bien le dauphin à Saint-Cyr-sur-Loire, mais les Tontons Flingueurs des Républicains l’en ont vite découragé. On ne brûle pas les étapes en Touraine, c’est chacun son tour. Cela dit, Hernault sait également être patient, le nerf de la guerre étant la visibilité et la comm’. Il tient à jour soigneusement son site Internet, mouille la chemise pour la promo de ses bouquins, dit avoir fondé une boîte de consulting – la Thomas Hernault International Strategy –, multiplie les selfies avec les politiques connus et met en scène son patriotisme avec son engagement réserviste et son amour du roman national (thomas-hernault.fr/qui-suis-je).

La petite nouvelle dans l’équipe

Instagram d’Ambre Louisin – photos avec Lisnard, Maréchal-LePen, …


Plus étonnante et significative sur ce qui se joue à droite est l’arrivée dans la dream-team Nouvelle Énergie 37 d’Ambre Louisin. Tout aussi jeune et instagrammable que ses camarades Aymeric et Thomas, Ambre a pourtant déjà pas mal de bouteille. Et attention, n’essayez pas de reproduire chez vous ses contorsions et virages serrés à 200 à l’heure, Ambre Louisin est une professionnelle surentraînée.

Ancienne élève du très huppé lycée Sainte Ursule à Tours – comme Aymeric Jaillais –, militante RN depuis au moins 2020, elle s’engage véritablement lors des élections de 2021 dans le parti lepéniste alors en pleine normalisation et bardellisation. Candidate aux régionales dans le Cher aux côtés de la tête de liste Aleksandar Nikolic, elle est exactement au même moment candidate aux élections départementales en… Indre-et-Loire. Élue conseillère régionale, elle se présente pourtant dès les législatives 2022 sur la cinquième circonscription d’Indre-et-Loire et se qualifie au second tour face à Sabine Thillaye qui finit par l’emporter à la faveur du barrage anti-RN. Déçue, Louisin change de crèmerie en 2023, passant officiellement chez Reconquête, avec en toile de fond la stratégie d’union des droites. Plutôt proche de Marion Maréchal-Le Pen, notamment dans la campagne des Européennes, Louisin multiplie les prises de position anti-immigration, partage des dizaines d’articles issus de la fachosphère sur les réseaux sociaux et semble fascinée par les figures du mouvement identitaire et réactionnaire, notamment Damien Rieu, Marguerite Stern et Alice Cordier. Seulement voilà, l’explosion en plein vol de Reconquête et les fâcheries entre Zemmour et Maréchal-Le Pen ne semblent pas très porteuses pour la suite. Qu’à cela ne tienne, cet automne Ambre Louisin a intégré en toute décontraction Nouvelle Énergie 37, se ralliant même il y a quelques jours à l’opposition de droite dite républicaine menée par Nicolas Forissier au Conseil régional, opérant une mue express qui force le respect. Même la NR a fait état de ce virage, en oubliant néanmoins le récent passé zemmouriste de la jeune politicienne…

Le machin de David Lisnard en Touraine

Il est à parier que le machin de David Lisnard en Touraine n’est pas promis à un grand avenir, même si la séquence est assez symptomatique de la tectonique à l’œuvre à droite : affirmation d’un libéralisme dogmatique et d’un autoritarisme qui fleure bon la fin du Second Empire, hésitations stratégiques dans le rapport au RN, difficultés à connecter l’échelle nationale aux échelles locales, conservatisme outrancier, professionnalisation extrême du personnel politique et emprise des notables locaux qui limitent tout renouvellement. Mais Dieu merci, Jean-Gérard Paumier tire encore assez les ficelles en Touraine pour sauvegarder les apparences de l’unité et de la discipline des derniers mohicans LR. Ouf !


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