Au CDN d’Orléans, les Soli tirent le rideau avec trois spectacles de très haute qualité

Deuxième vague de Soli où le public, toujours nombreux, découvre des artistes d’une rare intelligence dans la recherche de la performance théâtrale, questionnant le public sur des sujets sociétaux, renouvelant constamment le genre performatif.




Par Bernard Thinat.


Marche Salope

Titre provocateur qui fait référence à la déclaration d’un policier canadien qui en 2011 à Toronto, affirmait que pour ne pas se faire violer, il fallait ne pas s’habiller comme des salopes. S’ensuivirent des « marches de salopes (Slutwalk) », manifestations à travers le monde sur le slogan : « Ne nous dites pas comment s’habiller, mais dites-leur de ne pas nous violer ! ».

Sur le plateau, une chaise sur laquelle s’assoit Céline Chariot, photographe, performeuse belge. En voix Off, elle nous interpelle, nous la voyons, elle nous voit, nous dit-elle. Au cours du spectacle, 50 minutes, elle ne dira pas un mot, deux femmes dialogueront en voix Off.

Céline Chariot aux saluts de “Marche Salope” – Photo B.T.


La voilà qui démonte la chaise, barreau par barreau et les aligne devant le public. Elle construit un décor, une chambre avec un matelas, oreiller et drap, des coquilles d’huîtres disposées tout autour qu’elle écrase à l’aide d’une massue et qu’elle numérote de 1 à 21, un réveil, des BD, une lampe, un cendrier plein… Au final, apparaît une grande tache de sang au milieu du matelas dont elle s’enduit le visage. Ce sera le numéro 22. Et toujours dans le plus profond silence de sa part.

En voix Off, deux femmes échangent sur le viol, l’amnésie traumatique des ados pour lesquelles les faits ne refont surface que 20 ou 30 années plus tard, l’impossibilité de déposer plainte après 33 ans lorsque le viol a été commis sur une adolescente (nous sommes en Belgique), l’aigle laissant tomber les huîtres du ciel afin qu’elles se brisent…

Chaque geste, chaque attitude de Céline Chariot doit être interprété comme la métaphore du viol et de ses conséquences, son silence, la tache de sang sur le matelas et le visage, la chaise démontée, les huîtres brisées… Performance exceptionnelle !

Le Colonel des zouaves

Le texte est d’Olivier Cadiot, la mise en scène de Ludovic Lagarde, la création du spectacle date de 1997 avec Laurent Poitrenaux sur scène. C’est ce dernier qui, après plus de 200 représentations, a confié le rôle à Guillaume Costanza, dans un acte de transmission.

L’homme sur le plateau se définit comme une sorte de majordome, ou de domestique, ou de jardinier, plus tard l’amant d’une femme. Il réside dans une riche demeure bourgeoise où sont invités de non moins riches personnages. Les histoires qu’il raconte ont-elles été réellement vécues par cet homme, ou imagine-t-il la vie qu’il n’a pas, voire la vie d’un autre ?

Guillaume Costanza dans le Colonel des zouaves – Photo B.T.


Il revient souvent à sa vie de domestique quand il offre un verre à son maître, décrivant les moindres détails de ses gestes, les mimant avec bras et mains. Car il est rivé au sol durant une heure trente. Au début, il nous parle de quelqu’un descendant de voiture, se brisant la cheville avec l’amputation comme on la faisait lors des guerres, avec alcool et scie. La suite est tout bonnement irracontable tant elle est diverse, quasi surréaliste.

De très belles lumières qui illuminent le plateau, des recherches vocales étonnantes, et une présence à la scène d’un acteur qui sait maintenir l’écoute du public. Lumineux !

Face à la mère

Le deuil de la mère est toujours un évènement émotionnel, tant au théâtre qu’au cinéma. On se souvient du film de Stéphane Brizé, « Quelques heures de printemps » sorti en 2012, avec Vincent Lindon et Hélène Vincent, ou au théâtre, « Finir en beauté » de Mohamed El Khatib, en 2016. Jean-René Lemoine a créé « Face à la mère » il y a vingt ans. Il reprend la pièce avec une nouvelle mise en scène de Guy Cassiers, l’homme de théâtre de la Belgique flamande.

Dernier Soli avant le clap de fin, le texte autobiographique de l’artiste se situe émotionnellement au sommet de la création théâtrale ! Jean-René Lemoine parle d’une voix toujours égale, claire, calme. Figé au milieu du plateau, un écran derrière lui projette parfois son visage dans une sorte de brouillard, quelques mots émergent de cette brume. De subtils jeux de lumière traversent le plateau et viennent transcender l’auteur et acteur.

Jean-René Lemoine dans “Face à la mère” – Photo Alexis Cordesse


Il est au théâtre quand on vient le déranger, un appel téléphonique. Au bout du fil, sa sœur en larmes lui annonce le décès de leur mère. Le narrateur ne délivrera les éléments de compréhension qu’au fil de sa narration d’une heure trente. Né en Haïti, très tôt parti avec sa famille du côté de Kinshasa au Zaïre, sa mère laisse le père et emmène les deux enfants en Belgique. Au fil des années de son adolescence, les rapports avec sa mère vont se tendre jusqu’à la rupture à l’aube de ses quinze ans. Elle retournera finalement dans le pays natal, lui à Paris. L’un et l’autre ne seront pas parvenus à se parler. Les visites en Haïti se font rares, pour l’anniversaire de la mère seulement. Quand le drame survient dans ce pays abandonné et livré aux bandes armées.

Lors des obsèques, rencontrant d’anciennes élèves de sa mère, elle était institutrice en Haïti, il découvre une femme qu’il ne connaissait pas, exigeante, mais d’un profond respect, ses élèves l’adoraient.

Au final, lorsque Jean-René Lemoine s’adresse à sa mère par-delà la mort, tentant de lui parler alors que pendant toute sa vie, tous deux ont échoué à nouer le dialogue, il lance, toujours de sa voix égale, utilisant le vouvoiement tout le long de sa confession : « Pardonnez-moi, mère, je vous demande pardon ! », l’émotion est à son comble. Les larmes ont le droit de couler dans le public.

Prochain spectacle au CDN d’Orléans

LENZ de Georg Büchner

dans le cadre du temps fort “Suisse” de la Scène nationale d’Orléans

les 18 et 19 mars, salle Antoine Vitez


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Soli au CDN d’Orléans : femmes en prison, retour de Delphine Seyrig et des idées à la pelle

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