Du parfait inconnu à la plus grande star du rock

James Mangold avait fait endosser à Joaquin Phoenix la peau de Johnny Cash dans Walk the line en 2006. Aujourd’hui, il confie à Timothée Chalamet le rôle de Bob Dylan. Carrément. Réalisateur comme acteurs donnent le change pour suivre la rupture créatrice et l’irrésistible ascension du poète chanteur. On n’apprend rien de nouveau, mais la reconstitution impressionnante est captivante.

New York 1960. Capture teaser



Par Bernard Cassat.


1961-1965, c’est la période choisie par James Mangold pour suivre l’éclosion de son personnage, Un parfait inconnu qui va devenir Bob Dylan. Arrivé en stop à New York, un petit blanc-bec empêtré dans son sac et sa guitare déboule le soir à l’hosto où Woody Guthrie est hospitalisé. À son chevet, Pete Seeger. Il leur chante sa première chanson, écrite tout spécialement pour son idole. Et voilà, la machine est enclenchée, le succès ne va pas tarder.

Les reconstitutions d’époque sont assez impressionnantes. L’hôpital, par exemple, magnifiquement années 50. Ou, ensuite, New York. Un quartier de Greenwich, où se trouvaient des clubs, des bars et des galeries. Le jeune Robert Zimmerman s’y installe dans un petit appartement qui domine une rue assez tranquille. On s’y croirait vraiment ! Il va y trouver des lieux pour chanter et un public.

Joan Baez (Monica Barbaro) et Bob (Timothée Chalamet) sur scène. Photo Searchlight Picture.


Sous les auspices de Pete Seeger, il est rapidement introduit dans le milieu du folk, ce genre musical américain de chansons à texte où l’auteur-compositeur s’accompagne à la guitare, parfois un banjo. C’est la musique traditionnelle populaire des voyageurs blancs et conquérants, souvent devenus fermiers. Bob y rajoute l’harmonica, qu’il coince dans un collier pour l’avoir devant la bouche et jouer de la six cordes en même temps.

Bob comme Timothée, des super doués

Et il fait merveille, parce qu’il est super doué. Tout le monde le dit dans le film comme il a été dit dans la vraie vie. Dans le film, c’est Timothée Chalamet. Aussi poupin que le vrai, son visage fait la différence, mais son apparence et toutes les caractéristiques du personnage sont bluffantes. D’abord sa voix, nasillarde, qu’il force un peu, une voix très particulière qui module à merveille les textes. Toute la bande son, ou presque, a été enregistrée pendant le tournage, en direct. Très véridique dans ses interprétations, Timothée ralentit certains mots dans les chansons, fait durer les sons plus que son modèle, forçant le trait. Même si sa silhouette est moins élancée, son allure, sa présence, sa méfiance imposent son modèle à l’écran, rendent palpable la distance qu’il met entre lui et les autres, même les femmes. Surtout les femmes.

4h du matin, il va voir Joan qui vit au Chelsea Hotel. Photo Searchlight Picture.


Il y en a deux. Il rencontre très vite Joan Baez (Monica Barbaro) dans le club de folk. Elle est déjà bien connue tant sa voix et son jeu de guitare font merveille. Une grande attirance, un respect, une admiration réciproque naissent vite. L’amour viendra plus tard. Et puis il y a Sylvie Russo (Elle Fanning), la blonde qui est sur la pochette de son premier disque. Leur relation difficile, épisodique, sera sans doute la plus importante pour lui. Leur dernière séparation, dans le film, est poignante. Elle s’enfuit de Newport par le bac, Bob la rejoint mais un grillage les sépare. Ils partagent une cigarette et elle s’en va définitivement. Il reste, face au grillage, face au vide.

Un caractère égocentrique 

Sa relation avec Joan est tout aussi difficile. Elle l’a accusé plus tard d’avoir utilisé sa notoriété pour se faire connaître. Elle l’a invité sur scène, a partagé ses chansons, alors que Bob jamais ne lui a rendu la pareille. De plus, il n’hésite pas, après rupture, à débouler dans la chambre de ses deux ex à quatre heures du matin, comme un petit enfant perdu chez sa mère. C’est le côté totalement antipathique du Bob Dylan du film. Très égocentriste, très imbu de son personnage, il manie son entourage au gré de ses besoins.

Sur la route de Newport à moto. Photo Searchlight Picture.


Et puis autour il y a tous les managers, agents et magnats des majors, notamment Albert Grossman qui devient son manager et son mentor. Et surtout, avec le succès vient la célébrité. Qui l’empêche de circuler dans la rue, d’aller et venir comme il l’entend. En plus, et c’est le sujet du film, le milieu du folk, musique blanche et propre, l’étouffe. Musicalement, il flirte avec le blues, musique noire et un peu sale, rugueuse, violente. Et au-delà du blues, Bob va évidemment vers l’électrique, le mélange des genres qui émerge alors et qui lui semble plus approprié. Ce qui le fait sortir du carcan du folk, d’où la catastrophe du festival de Newport.

Travail très poussé et très réussi de toute l’équipe, on se rend compte avec stupeur que Bob Dylan est devenu un personnage historique. Il a pourtant participé à la production. Mais cette période des années 60 semble si lointaine. C’est avec bonheur qu’on s’y replonge.


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Commentaires

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  1. Très bonne analyse. Suite au film j’ai revu No Direction Home, le documentaire de Scorcese, cela permet d’apprécier encore plus la performance de Chalamet qui, outre la voix un peu moins nasillarde que Dylan, présente un mimétisme étonnant dans son jeu, l’allure générale, les yeux. Edward Norton est également parfait en Pete Seeger. Il faut oublier le biopic, n’étant pas un spécialiste de Dylan je suis incapable de trier le vrai du faux, et apprécier la reconstitution bluffante du New York des débuts des sixties et du milieu folk de Greenwich Village. Dans le documentaire de Scorcese il y a quelques scènes d’interviews surréalistes de Dylan qui font un peu mieux comprendre la pression exercée sur lui suite à son ascension fulgurante et au désir profond de son public d’en faire un porte parole, ce qu’il a toujours refusé, édifiant.

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