Soli au CDN d’Orléans : femmes en prison, retour de Delphine Seyrig et des idées à la pelle

Pour cette ultime édition des Soli, le public avait répondu présent tout au long de ces trois jours de Seul et Seule en scène, avec une programmation particulièrement variée et des artistes au talent fou.




Par Bernard Thinat.


Quartier de femmes

Lou-Adriana Bouziouane ouvre le premier des 6 Soli au programme, dans l’atelier du CDN, sur un texte de Zazon Castro issu de rencontres, de dialogues, d’échanges durant un mois avec des femmes du centre pénitentiaire de Lille-Sequedin. C’est donc un texte qui exprime les désirs et souffrances de ces femmes incarcérées que nous jette l’actrice et narratrice, dans une mise en scène très percutante de Mohamed Bourouissa.

Prenant la place d’une de ces femmes emprisonnées, elle conte avec un humour certain et une solide énergie, leur vie quotidienne, le service de lingerie parce que ce sont les femmes et elles seules qui lavent le linge de tous et toutes, un atelier théâtre où elle rencontre Aya qui deviendra sa meilleure copine…

Au détour d’une superbe chorégraphie, d’une bande-son tonitruante quand les portes claquent, de petits papiers tombant des cintres qui permettent de communiquer, l’atmosphère carcérale est reconstituée.

Aux deux tiers du spectacle, Lou-Adriana s’assoit sur une chaise, recroquevillée, regardant ailleurs. Une minute passe, puis deux… On comprend que ce silence soudain symbolise les mois et les années d’enfermement. À peine s’est-elle déplacée un peu plus loin sur le plateau, le silence persiste. Au final, cinq minutes de silence total. Jamais vu sur une scène de théâtre !

L’artiste confiera après le spectacle, adorer « sentir la salle » à ce moment précis. Constater que « ce moment devient angoissant, voire insupportable pour certains, alors que d’autres l’acceptent totalement dans une détente absolue. Il y a quelque chose dans ce temps-là qui me bouleverse, le plateau et le public se retrouvant dans un lieu commun du théâtre », ajoute-t-elle. Chapeau l’artiste !

Discussion avec DS

On avait découvert Raphaëlle Rousseau en septembre 2022 au CDN d’Orléans lorsqu’avec sa complice Suzanne de Baecque, toutes deux à peine sorties des écoles de théâtre, elles avaient créé « Tenir debout » autour de l’élection d’une Miss Poitou-Charentes, spectacle qui tournait encore récemment quelque part en France. Mais Raphaëlle a depuis cédé sa place sur le plateau.

Cette fois, elle a décidé de faire revivre une immense comédienne qui a écumé les plateaux de cinéma, télévision et théâtre, trop tôt disparue en 1990, mais qui sans doute ne dit rien aux jeunes générations : Delphine Seyrig.

Raphaëlle Rousseau / Delphine Seyrig – Photo B.T.


Arpentant un autel fait de bougies et de portraits de la comédienne disparue encadrés par une immense malle, l’artiste tente d’appeler Pôle emploi, en vain à son grand étonnement, quand soudain, une voix venue du tréfonds des cintres l’interpelle. Est-ce un rêve ? Delphine Seyrig est de retour avec, dit-elle, sa petite voiture. Après quelques échanges, Raphaëlle lui propose d’inverser leurs rôles. Ce qui sera fait illico.

Dans un nuage de fumée, Delphine Seyrig entre en scène, longue robe, abondante perruque blanche et talons hauts, le dialogue se poursuit. Au travers d’extraits sonores puisés à l’INA, on parle féminisme beaucoup, relations avec ses partenaires, on évoque « Baisers volés » de François Truffaut… Au final, changeant de robe, on ne sait plus si c’est Delphine Seyrig ou Raphaëlle Rousseau qui se glisse dans la malle ouverte, mais peu importe. Le rêve a produit son effet, la déesse (DS) est apparue l’espace d’un instant.

Aller sans savoir où

François Gremaud est un artiste suisse totalement à part, créant des spectacles incroyables, brassant les idées les plus extravagantes. Au théâtre d’Orléans, on a pu voir l’année passée le ballet « Giselle… » dansé un peu et raconté beaucoup. Il y a eu aussi lors des Soli, les trois « Conférences de choses » qu’il avait écrites, c’était en 2020, ainsi que « Pièce sans acteur » en 2022 où il était sur scène sans y être.

Cette fois, dans cette conférence d’une heure 45, voilà qu’il nous explique, à grands renforts de gestes empruntés parfois à la langue des signes, mains et bras ne cessant de virevolter, comment il écrit un texte théâtral, mais ce pourrait aussi être une écriture littéraire, poétique, voire musicale. Devant son IPad, il écrit sa première phrase, il mime les gestes, phrase qui n’en finit plus, avant de passer à la seconde, et ainsi de suite, avant d’en revenir à la première… Encore, nous prévient-il, que la dernière sera annoncée par les mots « Oyez, oyez ! ».

Et comme on est au théâtre, et qu’il écrit pour le théâtre, voilà qu’il nous présente sur le plateau, auteurs et autrices (seulement un tiers de femmes, il en est désolé), metteurs en scène, acteurs et actrices, en insistant un peu plus sur Ariane Mnouchkine qu’il a dû rencontrer à maintes reprises. Il n’oublie pas de régler ses comptes avec le raciste, homophobe, etc… lui se situant en novembre 2020 quand le raciste a été battu aux élections, nous public 4 années plus tard qui connaissons la suite, en jouant donc sur les temps juxtaposés.

Sans doute quelques moments de sa conférence marquent une baisse d’attention, mais l’ensemble, agrémenté d’une très grande dose d’humour, se situe aux antipodes de tant de spectacles bas de gamme. François Gremaud relève le niveau de la pensée, avec des idées (le mot revient sans cesse chez lui) qui jaillissent de son cerveau, des mots et des phrases à ne plus savoir où les ranger. Un grand monsieur (à tous les sens du terme !).

2ème et dernière salve de Soli au CDN d’Orléans, du 4 au 6 février

  • « Marche salope » à 19 heures les 3 jours
  • « Le Colonel des zouaves », à 20 heures 30 les 3 jours
  • « Face à la mère », à 21 heures les 5 et 6 février

Réservations ici


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Commentaires

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  1. Il nous faudra un ministre du spectacle vivant aimant le théâtre comme tu l’aimes

  2. Merci, mais je ne suis pas candidat au poste. D’ailleurs, n’ayant jamais eu d’ennuis judiciaires, je n’ai aucune chance de l’obtenir.

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