« Mémoires d’un escargot » : une vie grandiose au creux d’une coquille pleine

Le film d’animation en stop-motion d’Adam Elliot nous raconte en pâte à modeler et argile la terrible histoire des jumeaux Grace et Gilbert Pudel. Ils rencontrent beaucoup d’embuches mais les escargots et une vieille folle sauveront Grace. Une œuvre puissante et magnifique, premier prix du Festival d’animation d’Annecy 2024.

Grace et son jumeau Gilbert. Capture teaser.



Par Bernard Cassat.


Adam Elliot travaille l’argile et la pâte à modeler depuis une trentaine d’années. Il a donc maintenant un univers artistique très au point, un type de petit personnage avec des gros yeux globuleux et quatre doigts raides à chaque main. Leurs grandes bouches peuvent s’étirer et vibrer quand ils soufflent, ou s’arrondir pour lancer des ronds de fumée ou d’étonnement. La masse d’objets autour d’eux fait souvent penser à un bric-à-brac de BD. Refusant absolument les a-priori des majors américains du dessin animé, Adam travaille au maximum les couleurs, les mouvements de ses figurines filmées image par image (135 000 pour 1h30), et refuse toutes les facilités informatiques pour rester dans la tradition de la stop-motion. « Moi, ce que j’aime, c’est la colle, la peinture, la sculpture », dit-il dans une interview. Ses films racontent en voix off ce que les personnages ne peuvent pas dire, même si des cartons font comprendre.

Grace et son escargot. Photo Arenamédia.


De même que sa technique, ses contenus narratifs sont totalement à l’ouest des majors. Pour ces Mémoires d’un escargot, son dernier long métrage, il a créé les personnages de Grace Pudel et de son frère jumeau Gilbert, petits cousins de Harvie Krumpet (2004), Mary et Max (2009) et Ernie Biscuit (2015). Adam continue à dérouler son univers et à naviguer dans l’humour féroce, la tendresse amusée, évite le normal pour chercher au-delà un sens à la vie. Même des personnages tout à fait secondaires, comme l’employée de l’Aide Sociale à l’Enfance, deviennent de vraies figures : lunettes papillon, clope au bec, tueuse plus que couveuse, terrifiante mais en même temps marrante tellement elle est réussie.

La fracassante arrivée de l’aide sociale à l’enfance. Capture teaser.


Dans le même genre, l’horrible mère adoptive de Gilbert, cultivatrice de pommes, archi-catho et répressive. L’outrance, arme habituelle d’Adam Elliot, fait vivre l’horreur en la rendant risible. Grace vit avec des parents plus gentils, mais échangistes, et qui partent en croisière nudiste en la laissant seule. Si seule qu’elle va s’enfermer dans sa collection d’objets comme un escargot se rétracte dans sa coquille. Mais un escargot ne peut aller que fièrement vers l’avant : son pied unique l’empêche de reculer. Et puis sa coquille s’enroule en spirale parfois infernale, parfois vertueuse, mais toujours visuellement remarquable. Et vu sa taille, un escargot peut sans problème se cacher dans un bric-à-brac éparpillé par Adam Elliot dans tout son film.

L’inénarrable Pinki. Capture teaser


Mais Grace rencontre aussi des personnages salvateurs. L’inénarrable Pinki, une octogénaire qui va la prendre sous sa coupe avec son énergie et son décalage. Il faut dire qu’elle connaît la vie, elle connait les hommes et donne à sa protégée de sérieux principes. Dans cet univers artistique d’Elliot, la rédemption vient en général de la marge, du décalage. C’est cette Pinki « toute ridée comme un vieux testicule » qui va lui redonner le goût de la vie. Elle clope elle aussi outrageusement, comme souvent les personnages d’Adam. Harvie Krumpet remplissait des cendriers entiers.

Grace un peu déprimée. Capture teaser


D’ailleurs, puisque ses films ne sont pas à mettre entre toutes les mains, Adam adore faire des clins d’œil un peu grossiers sur le sexe, les alcoolos ou les pervers. Avec l’autre facette, aussi. Grace transforme un clochard saoul en arbre de Noël, or il se révèle que c’est un juge déprimé qui ensuite lui sauvera la vie. Adam Elliot ne destine pas ses films animés aux enfants, mais il fait encore mieux. Avec des moyens et dans un genre habituellement destinés au jeune public, il oblige le public adulte à regarder avec des yeux d’enfants. À sortir de nos ressentis contraints de réalisme outrancier et retrouver cette proximité avec l’image qu’ont les enfants, qui vivent intensément les émotions de l’écran. La poésie pleine de piquant de son univers terriblement critique sur le monde réel, le jeu des sentiments qu’il soulève, la rigueur du bazar qu’il dresse dans ses images, la méchanceté cachée sous la drôlerie, l’attention maniaque à des détails qui font le sel du message sont les fruits d’une belle âme de grand artiste. Qui nous livre avec ces Mémoires d’un escargot un petit bijou.


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