Du relogement des sinistrés à la honte des trente glorieuses

Dans un ouvrage passionnant, Sylvie Blanchet nous livre une étude sur les baraques à Orléans, ces constructions préfabriquées en bois qui sont apparues pendant et surtout après la guerre. Censées être temporaires, elles ont pourtant duré trente ans. Sylvie a rencontré des baraquins, leurs habitants, qui ont grandi aux Groues.

La cité provisoire des Groues. Photo © TERRA publiée sur le site des archives de la métropole.



Par Bernard Cassat.


Comme dans d’autres villes françaises détruites par les bombardements, quelques baraques étaient apparues déjà pendant la guerre. À Orléans, sur les boulevards, celles du Moulin de l’Hôpital et de Rocheplatte. Également à Saint-Marceau. Elles étaient destinées aux ouvriers des usines Renault au chômage, embauchés par la Ville pour déblayer les rues. De provisoire, elles resteront en service jusqu’en 1960 ! Celles de Saint Marceau, vers la Rue des Lavandières, uniquement des dortoirs pour ouvriers, ne seront détruites qu’en 1967. Mais la plus grosse implantation, en périphérie de la ville, est la Cité des Groues. Déjà 18 logements en 1941, et le nombre de baraques montera à 280 logements utilisés jusqu’en 1975.

Le nombre de logements d’urgence augmente

Les années 50 tenteront « de vider à marée montante la mer avec une petite cuillère », comme le titre Sylvie Blanchet. En effet, de 440 logements provisoires en 1949, on passe à 660 10 ans plus tard. À cause, surtout, de la cité des Groues qui s’est développée.

Tout le monde reconnaît que ces logements « ne sont pas merveilleux », comme dit Pierre Segelle, Fin des années 50, « la crise du logement est plus aiguë que jamais : chez les élus municipaux, les sentiments qui semblent l’emporter sont, sans surprise, ceux d’impuissance et de désarroi », constate Sylvie Blanchet.

La cité provisoire des Groues. Photo © TERRA publiée sur le site des archives de la métropole.


Dans la première moitié des années 1960, c’est le début des grandes cités en dur. Quelques baraques sont démolies (Bourie Blanche et quai Barentin, mais les habitants sont envoyés aux Groues, au Sanitas ou à l’île de Corse). Quelques immeubles HLM font leur apparition. Mais en 1962, il y a l’énorme afflux des rapatriés d’Algérie. Ils seront prioritaires pour quelques immeubles à St Marceau et les premiers construits à La Source. Les bétonnières tournent à plein régime. Dans les années 70, on commence à voir la sortie de crise. Et de la fin des trente glorieuses. C’est pourquoi Sylvie a sous-titré son travail « l’envers des trente glorieuses ».

Construction de l’école aux Groues. Photo © TERRA publiée sur le site des archives de la métropole.


Dans une deuxième partie, l’auteure focalise son travail sur la cité des Groues. Fin des années 40, les conditions de vie y sont déplorables. Le 2 mars 1959, une catastrophe est évitée de peu : la crèche, l’école maternelle et quatre des six classes de primaire sont ravagées par un feu. Juste avant l’heure de l’école, heureusement. Coup classique dans ces cités hautement inflammables, aux fils électriques bricolés de partout !

La stigmatisation des habitants des Groues

Quelques associations aident à l’intérieur de la cité, l’Association des Familles Ouvrières et l’Union des Femmes Françaises notamment. Mais cela n’empêche pas la mauvaise considération des habitants des Groues vis-à-vis du reste de la ville. Stigmatisés et discriminés à l’école, dans les lycées comme dans la recherche d’emploi, les habitants des Groues ont la vie difficile.

L’auteure raconte sa rencontre avec d’anciens habitants. À travers des interviews, elle touche au plus près la vie des baraquins. Denis Peauger, par exemple, désormais retraité, est né aux Groues et y a vécu jusqu’à ses 15 ans. Il insiste sur le sens du partage. Les gens étaient solidaires. Les enfants n’étaient pas malheureux. Mais la vie restait très dure pour les femmes dans ces conditions précaires. Yolane Pougis, qui a passé toute son enfance dans la cité, en garde des souvenirs émus. Comme tous les autres. Et tous confirment les discriminations.

Les nouvelles urgences qui durent

Sylvie clôt son travail sur une amère constatation. Désormais les cités de transit n’existent plus, maintenant c’est « chaque soir le 115 ». Elle dit son attachement à Habitat et Humanisme, une association à qui elle reversera la moitié de ses droits d’auteur.

Graveurs de Mémoire chez l’Harmattan

242 pages, 25 euros

Une référence majeure dans la bibliographie de Sylvie Blanchet, en libre consultation sur Internet :

https://archives.orleans-metropole.fr/histoires-dorleans/expositions-virtuelles/les-groues–un-quartier-en-mouvement

 

Commentaires

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  1. Il y a eu la même chose à Blois avec la Cité des Allées, un ensemble de baraquements qui a duré jusque dans les années 60, je ne me souviens plus de la date exacte. Il s’agissait en fait d’un ancien camp utilisé par les Allemands pendant l’occupation. Je me souviens aussi de baraquements installés sur le mail et sur une petite place rue Saint Honoré. Situés en centre-ville, ils ont été démolis plus tôt. https://www.lanouvellerepublique.fr/blois/les-allees-du-camp-allemand-au-camping-municipal

  2. Encore enfant à cette époque et né à Blois, j’ai connu cette même situation dans cette ville proche d’Orléans. Ravagée sur plusieurs hectares par les bombardements, les baraquements ont abrité de nombreuses familles et commerces. Le quai Henry Chavigny en était notamment l’exemple.

  3. En 1956 , sur le boulevard en face de feu l’Artistique se trouvaient quelques baraques en bois qui n’abritaient pas des personne mais plutôt des “bureaux “, des lieux où travaillaient des personnes.

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