Plébiscité au Brésil, le film de Walter Salles Je suis toujours là nous ramène en 1970, au temps de la dictature militaire. Une famille unie, aisée, joyeuse, est démolie par l’arrestation sans retour du père. La mère continue le combat pour chercher la vérité. Dans une forme classique, Salles nous raconte toute cette période. Son regard affectueux et le choix de son interprète, Fernanda Torres, font merveille.
Par Bernard Cassat.
La cinquième république du Brésil (1964-1985) a été en fait, tout du long, une dictature militaire. En 1970, une vague d’arrestations de tous les opposants conduit l’ancien député Rubens Paiva dans les geôles du pouvoir où il est éliminé. Sa femme, arrêtée elle aussi, ressort après plusieurs semaines de torture. C’est cette histoire que raconte Walter Salles. Les cinq enfants de la famille Paiva étaient ses amis. Et lorsque Marcello, le fils, a écrit et publié la biographie de sa mère, Walter Salles a décidé d’en faire un film.
La famille et des amis sur la plage de Rio. Photo Studio Canal
C’est pourquoi on entre dans l’histoire par la description d’une famille très unie, dans le milieu aisé de Rio. Elle habite en face de la plage, les enfants sont toujours dehors et les parents reçoivent beaucoup d’amis. Images très classiques d’un film familial, dans lequel l’une des filles filme en super 8. Ses images sont introduites dans le 35 millimètres comme des sortes de documents. Cette jeunesse dorée n’est pas à l’abri de la violence policière, mais la première partie du film la fait vraiment exister dans une joie de vivre et une insouciance facile. L’image saisit les rapports entre frères et sœurs, la présence des parents, du père architecte et de la mère qui gouverne tout ce petit monde comme dans toute bourgeoisie bien installée.
Eunice est emmenée par les militaires. Photo Studio Canal.
Jusqu’au jour où des agents viennent chercher Rubens Paiva, soi-disant pour un interrogatoire. Ils s’installent dans la maison et Rubens ne revient pas. Salles insiste sur l’absence d’informations, sur le refus d’explications, ce qui est le propre de toute dictature. Puis c’est sa femme Eunice qui est emmenée à son tour dans les casernes devenues des prisons. On lui demande de dénoncer. Pendant une dizaine de jours, ou plus. Toute cette partie du film, très sombre, reste pourtant assez sobre. Walter Salles n’en rajoute pas mais n’en retranche pas. Et Fernanda Torres, qui incarne Eunice, arrive à exprimer cette douleur anxieuse des tortures morales subies. D’ailleurs, lorsqu’elle est relâchée et qu’elle rentre chez elle, elle prend une longue douche, comme si elle avait été violée. Pour effacer de son corps ces violences qui pour elle n’ont pas été corporelles. Scène magnifique vue par les yeux de sa fille qui l’observe, effarée et empathique.
Une magnifique prestation de Fernanda Torres
Tout le reste du film s’attache à la recherche de la vérité de cette famille décapitée. Surtout au personnage d’Eunice, qui fait tout pour retrouver le corps de son mari dont personne ne sait ce qu’il est devenu. Elle se fait aider par ses amis de gauche, mais la marge de manœuvre est si restreinte que le chemin est long. Les militaires ne lâchent rien.
La très émouvante Fernanda Torres incarne le personnage d’Eunice. Photo Studio Canal.
Toute la suite est portée par le personnage de cette mère devenue veuve, qui abandonne sa maison et déménage avec sa famille à São Paulo pour reprendre des études, devenir avocate, obtenir beaucoup plus tard un acte de décès de son mari et défendre les minorités brésiliennes. Des moments, 25 ans plus tard, puis dans la vieillesse d’Eunice, racontent la suite de la vie de cette famille, de cette femme exceptionnelle.
Dans les casernes-prisons de la répression. Photo Studio Canal.
Fernanda Torres porte le film de bout en bout. Son visage grave qui peut s’éclairer en un regard, en un sourire, fait passer à la fois l’énergie, l’inquiétude ou la joie. Elle incarne totalement cette femme intelligente et dynamique, brisée par la perte de l’homme qu’elle aime.
Les ajouts temporels n’étaient peut-être pas nécessaires et rallongent inutilement un film pourtant tendu. Surtout que des photos de la vraie famille Paiva, à la fin, font le point sur tous les personnages.
La famille décapitée photographiée par les médias étrangers. Photo Studio Canal.
Mais mis à part cette fin artificielle, la construction très classique de ce témoignage sur la dictature brésilienne fonctionne parfaitement. Le film est poignant. Le point de vue choisi par Walter Salles, celui d’Eunice Paiva, lui permet de rentrer à la fois dans la tragédie d’une famille et de raconter celle de l’Histoire. Que l’on a, en tout cas en Europe, un peu oubliée ! Mais le XXe siècle a vu tant de dictatures…
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