Patrice Nobile, peintre en quête de tradition classique

Il ne signe aucune de ses œuvres et voue l’entièreté de sa vie au service d’une muse qui a pour nom Peinture. Patrice Nobile, artiste peintre, nous a invité à le rencontrer dans son atelier, installé à Montargis. Portrait.

Patrice Nobile, dans son atelier de Montargis – photo Izabel Tognarelli


Par Izabel Tognarelli.


À peine franchi le seuil de l’atelier, installé dans l’un des plus anciens immeubles de Montargis, que l’interview commence, pied au plancher. « J’enseigne des choses qu’on a laissé tomber depuis les années 60 dans les milieux de l’art. J’en ai pour témoin mon père, qui a fait les beaux-arts au début des années 60, à Paris. Il a participé à ce moment : il fallait refuser tout ce qui venait d’avant, qui était forcément issu d’un milieu bourgeois ; tout ce qui était relié à l’art dit “classique”. Il fallait absolument être un créateur, un novateur : hors de question de s’inspirer des anciens. ». Voilà qui pose le personnage, pleinement imprégné de son art et pour cause, puisqu’il est issu d’une lignée.

Et de continuer au sujet de son père : « Je voyais ses copains – qui avaient fait les beaux-arts avec lui – se suicider, devenir fous ». Dans un monde bouleversé par deux guerres mondiales et confronté à l’avènement de l’ère atomique, les mouvements artistiques se trouvaient influencés par la volonté de rompre avec les structures héritées, d’où l’idée de créer ex nihilo, afin d’explorer de nouvelles façons de penser et de créer. « Mais c’est trop demander à un homme. De ce fait, j’ai gardé une certaine distance avec tout ça. Ça ne me parlait pas trop : j’étais sensible à l’art ancien ». Le cadre est posé, pour cet entretien de temps à autre suspendu par le bruit cristallin d’un thé versé dans une tasse de porcelaine.

Une approche non pas académique, mais classique

Patrice Nobile enseigne depuis une dizaine d’années à l’école d’art mural de Versailles. C’est l’une de ses activités, dans une vie totalement consacrée à l’art et à la peinture : « Je m’aperçois qu’il y a un regain d’intérêt pour l’approche du dessin classique ; les techniques à l’huile ou à l’eau classiques. Mais j’ai longtemps eu l’impression de prêcher dans le désert ». Son enseignement tourne autour de la Renaissance italienne, une époque où l’expression artistique n’était pas du tout envisagée comme elle l’est actuellement : « Le peintre avait beau être psychiquement tourmenté, comme l’étaient Michel-Ange ou Le Tintoret, il mettait son énergie au service d’un art qui le dépassait. Dans le cas d’un portrait, il essayait de “choper” le tempérament de la personne assise en face de lui. Les “passions” étaient plutôt vues comme des défauts, quelque chose de négatif. À partir des romantiques, les passions deviennent quelque chose de positif. Au XVIᵉ siècle, elles étaient assimilées à de la maladie, du non-maîtrisé ». Mais alors, toutes ces histoires de « tripes » que l’artiste doit jeter sur la toile ? « On peut être très intellectuel, très froid, et faire un art considérable. C’est devenu difficile à entendre, aujourd’hui ». À bien y réfléchir, cette approche vaut également dans d’autres expressions artistiques : « La musique, même dans la situation la plus terrible, ne doit jamais offenser l’oreille, mais pourtant là encore, la charmer – et donc rester toujours de la musique », dixit Mozart.

Mais alors, comment Patrice Nobile le traduit-il dans son enseignement ? « Je ne peux pas apprendre à quelqu’un à devenir un artiste. Je peux juste lui apprendre à utiliser un vocabulaire graphique, une grammaire graphique, ainsi que des techniques qui lui permettent de dire, graphiquement, ce qu’il a envie de dire. Si ça vient de ses tripes, ça fonctionnera aussi ; mais si c’est plutôt intellectuel, ça fonctionnera quand même ».

Un atelier dans lequel s’expriment deux sensibilités : celle de Patrice, mais aussi celle de Laurence Nobile – photo Izabel Tognarelli

Et maintenant ?

Pour autant, il ne faudrait pas imaginer Patrice Nobile coincé dans une bulle temporelle, entre Fragonard et Boucher. En témoigne son projet en cours de réflexion : faire revivre les toiles peintes, phénomène né après la révolution et très à la mode au XIXᵉ siècle. « La bourgeoisie, qui fait la Révolution, n’avait pas le même rapport au temps que l’aristocratie. Elle voulait imiter le goût aristocratique, mais n’en avait pas la patience. Les aristocrates commandaient des tapisseries, ce qui représentait le summum, mais demandait entre trois et cinq ans d’attente : les bourgeois ont demandé à ce qu’on leur imite des tapisseries, mais en peinture ».

Et l’artiste d’enchaîner sur son projet : « D’ici à cinq ans, j’aimerais avoir un fonds d’atelier d’une trentaine de toiles peintes que je puisse présenter lors de salons, ceci afin d’avoir une vie d’atelier comme à l’époque des boutiques, avec de jeunes artistes qui viennent apprendre, des stagiaires, des assistants, des personnes qui préparent les toiles, d’autres qui s’occupent des fonds, d’autres encore qui reportent les dessins ; le fonctionnement classique des ateliers comme cela se faisait jusqu’au XVIIIᵉ siècle ». La toile peinte qu’il nous montre, et qui pourrait amorcer son fonds, n’a rien de classique : inspirée de Moebius, elle représente un paysage dans les tons bleus, parcouru par un dirigeable. Dans la nacelle, en position quasi centrale, mais si petit qu’il faut s’approcher pour bien le distinguer, un personnage – ou plutôt une silhouette – suscite le ravissement dès que l’on parvient à en saisir les contours, comme portés par le vent. Mais comment le peintre est-il parvenu à susciter une telle émotion en quelques traits et finalement peu de teintes ? Cela aurait pu faire l’objet de l’une de ces conversations d’atelier pour lesquelles Patrice Nobile et son épouse Laurence – qui navigue dans de tout autres contrées – ont, un temps, ouvert leurs portes, mais qu’ils ont dû abandonner faute de temps afin de se consacrer aux chantiers de patrimoine, autre corde à l’arc de l’atelier Nobile.

Détail du 19 rue du Loing à Montargis – Izabel Tognarelli

 

La restauration de patrimoine, version Nobile

Pendant plus d’une année, la façade du 19 rue du Loing a disparu sous les bâches d’un échafaudage, le temps d’un chantier de rénovation qui a sollicité des entreprises spécialisées dans le patrimoine. Ce chantier, très exigeant – et qui mûrissait depuis plusieurs années – a notamment fait réapparaître un clocheton, disparu pendant la guerre et désormais reconstruit. On ne le voit que depuis la cour intérieure. Il a aussi fait réapparaître les pans de bois, que Patrice Nobile a été chargé de mettre en peinture. Il n’a jamais voulu travailler avec les peintures de la pétrochimie et fait lui-même ses peintures, avec des matériaux écologiques et sans la moindre trace de solvants. Tuiles vieillies, rives en plomb, et puis cette couleur de miel ; à présent, on ne voit plus que cette façade, alors qu’elle avait disparu sous un voile de grisaille, puis sous les bâches. Celles-ci ont subitement disparu, comme si un coup de vent avait tout balayé, et on n’a désormais d’yeux que pour ces deux petites maisons accolées, tel un bout de Flandres posé dans cette rue du centre-ville de la Venise du Gâtinais.

Commentaires

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  1. Article très intéressant !
    Je ne connaissais pas cet artiste, c’est chose faite désormais. Bravo à Izabel Tognarelli pour ces commentaires qui sonnent juste !

  2. Merci Madame pour ce bel article, je suis enchantée. Peut-être, si M. Nobile fait une exposition nous en ferez vous part ?

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