25 ans de Chine, 25 ans d’amour, 25 ans de cinéma par Jia Zhangke

En pleine maturité, Jia Zhangke se penche sur son travail, sur son pays, sur ses acteurs. En montant des rushs non utilisés de ses films passés, il construit une ballade incroyable dans son pays, dans sa culture, sa génération et son cinéma. Témoignage magnifique d’un regard critique, Les Feux sauvages observe avec un grand sens artistique 25 ans de travail dans la vie du pays.
 

Qiao, (V) dans un défilé de mode, en 2002. Capture Still Life



Par Bernard Cassat.


Jia Zhangke a 55 ans et une trentaine de films à son actif. Pendant le covid, il est revenu à ses rushs successifs et, avec l’aide de Wan Jiahuan sa co-scénariste, il a construit un nouveau film à partir de ce matériau. Film de montage, donc, mais pas seulement. Il a complété les séquences déjà filmées.

Zhao Tao, devenue son épouse en 2012, est Qiao, son héroïne récurrente dans neuf de ses films. Il a pris l’habitude de tourner avec elle des scènes dans la rue, même si elles ne trouvent pas leur place dans un projet. Zhubin Li est lui aussi son acteur fétiche, qui incarne le personnage de Bin dans plusieurs films. Le fil du nouveau film de montage sera donc l’histoire de Qiao et Bin, leur relation amoureuse sur 25 ans.

Dans le décor grandiose des Trois-Gorges.


Une relation difficile. Elle commence à Datong, une ville minière à l’ouest de Pékin, dont est originaire Zhangke. Bin va quitter cette région pour trouver du travail vers les Trois-Gorges. Qiao est censée le rejoindre lorsqu’il sera installé. Mais les retrouvailles vont demander 25 ans. Parce qu’entre eux il y a la rue, le peuple, les gens, l’immense pays, les moyens de transport, les villes et les paysages. Des trains, des bateaux, des bus, des rues démolies ou non. La vie chinoise, donc. Qui est et a toujours été le vrai sujet de Zhangke. D’ailleurs il cite comme modèle L’homme à la caméra de Dziga Vertov. Au point d’avoir voulu nommer ce nouveau film l’homme à la caméra numérique.

La cité minière de Datong, une autre époque

Qui commence par des images de 2002. Qiao se promène dans les rues de Datong à moitié démoli, en pleine restructuration. Elle se protège du soleil en portant son gilet au-dessus d’elle, les bras levés. Plaisirs inconnus a été tourné début 2000, années de l’incroyable essor de la Chine, donc de l’incroyable effort demandé aux jeunes. Bin et Qiao le refusent, restent au chômage et rêvent de fric et d’Amérique. Zhangke y accole aujourd’hui des images d’alors, de femmes qui chantent. D’abord entre elles, puis pour glaner quelques billets, sur la scène d’un palais du peuple d’une autre époque. C’est là que Qiao tombe amoureuse de Bin, scène du film d’origine.

Les démolitions du début des années 2000.


Et puis Bin s’en va. Le film suit d’abord Qiao dans d’étonnantes présentations de mode, des ballets modernes insensés devant des palais staliniens, des errances dans les rues, des fêtes déchainées. Avec cette réminiscence de Plaisirs inconnus, dans un bus à l’arrêt. Elle veut sortir et Bin la repousse sans cesse. L’underground américain n’avait jamais fait mieux pour faire monter la tension.

Le pont illuminé de la région de Fengjie


Bin est devenu entrepreneur à Fengjie, en pleine mutation à cause du barrage des Trois-Gorges. Il s’est fait une place, a une histoire avec une autre femme. Des images de cet étrange endroit, symbolique de la folle réussite de la Chine, Zhangke en a amassé énormément. Trafic incessant sur le fleuve, rues encombrées de gravats, maisons qu’on détruit et dont on récupère les briques. Et ce pont plein de lumières, arc lumineux dans la nuit, filmé pour Still Life en 2006. À ces nouveautés d’il y a 20 ans font écho un dialogue sidérant avec un robot d’aujourd’hui.

Des retrouvailles en plein Covid

Les retrouvailles de Bin et Qiao se feront encore ailleurs. Avec leurs visages et leurs corps d’aujourd’hui, devant une scène en pleine rue. Un groupe de rock chinois joue pour quelques passants, dans le froid et la nuit. Ils sont là, 25 ans après, masqués pendant le covid. Et Qiao se joint à un groupe de joggers et s’en va dans la nuit.

Retrouvailles devant un chanteur rock.


Tout est intéressant dans cette entreprise. D’abord, évidemment, le regard du réalisateur sur son pays, sur les gens, la vie de la rue. C’est vraiment l’axe fort, surtout dans sa durée. La partie à Fengjie, en extérieurs le jour, dans ces ruines grouillantes de vie avec une sorte d’excitation de l’image. Puis au retour à Datong, aujourd’hui, en extérieur nuit, avec une distance, presque un vide, ce qui est rare dans les villes chinoises. Le vieillissement des acteurs, sans aucun maquillage, est aussi totalement inédit. Zhao Tao a mieux résisté au temps que Zhubin Li.

Tout retient l’œil

Et puis les différences de formats d’images, dues aux différentes caméras utilisées. Zhangke suit son fil relationnel entre Bin et Qiao, mais n’hésite pas à insérer des plans qui ne se réfèrent pas à l’histoire. Tableaux abstraits d’objets, un mur avec une ombre. Ou bateaux bondés dans ce paysage incroyable du Yangtse. Images surréalistes parfois, un pont en construction au milieu du désert, un groupe de femmes qui dansent dans un jardin, une comédie musicale sur le parvis d’un incroyable bâtiment. Tout retient l’œil. Parce que ce travail est à la fois artistique, réflexif, témoignage et documentaire, constructeur d’une fiction d’envergure à la Georges Perec : vouloir saisir un pays, une culture, une époque dans un travail plus vrai que nature.


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