Il y a trente ans, Jack Lang et Mélina Mercouri, le premier, ministre de la culture français, la seconde, ministre de la culture grec, lançaient l’idée des capitales européennes de la culture. Ils voyaient là un excellent moyen de rapprocher les populations de l’Union Européenne. Ce titre est attribué pour un an à deux villes européennes, l’une représentant des premiers pays associés dans l’Europe, l’autre symbole d’un pays qui l’a rejointe par la suite. Cette année cet honneur revient à Mons en Belgique et Plzen en Tchéquie.
Capitale européenne de la culture est un titre prestigieux, très recherché, attribué par un jury européen en fonction de critères rigoureux et précis. Une fois nommée capitale européenne de la culture sur la base d’un programme culturel, la ville est responsable de la mise en œuvre de la manifestation sur toute l’année.
Pourquoi pas Mons ?
Lille fut capitale européenne de la culture en 2004, Marseille en 2013, de grosses métropoles. Devant la réussite lilloise, un bel exemple à 75km d’elle, Mons en Belgique, ancienne capitale du Hainaut en Wallonie, s’est dit : « Pourquoi pas moi ? ». Certes, elle ne comptait alors comme aujourd’hui que 90 000 habitants, mais appartenait à une agglomération de 250 000 habitants composée de bourgs amis.
Elio Di Rupo, son maire socialiste, son bourgmestre, dit-on en Belgique, a franchi le pas. « Nous avions envie de démontrer qu’une ville de taille moyenne peut accueillir un événement comme celui-là. Sinon tout se passerait à Bruxelles ou à Paris. Il faut aussi que des villes de taille plus modeste puissent exister », expliquait-t-il, le 24 janvier, après avoir présidé la grande fête inaugurale
Une volonté politique et une équipe
« Je suis parti du principe que, quelle que soit la fonction qu’on occupe, on doit voir dix ans en avance. On a posé notre candidature et on a commencé à capitaliser des budgets. 250 000 euros par an, soit 2,6 euros par an et par Montois », précise-t-i. Afin de préparer sa ville et le dossier à mettre sur pied, il s’entoure d’une équipe de choc qui va travailler avec lui à ce projet pendant une décennie. La crise et la dépression le poussent à aller de l’avant. « Je savais qu’en nous donnant cet objectif, je tirais tout vers le haut. On créait une dynamique », dit-il rétrospectivement très satisfait.
Elio Di Rupo bâtit sa démarche sur une idée directrice : que la culture rencontre les technologies et qu’elles marchent ensemble. Aussi, confie-t-il la direction artistique de Mons 2015 à Yves Vasseur, un Montois, ancien journaliste, ancien gestionnaire du Manège à Maubeuge et talentueux scénariste de BD pour le dessinateur Claude Renard. Il attribue le numérique à Pascal Keiser, également Montois proche d’Olivier Py en Avignon, un informaticien très impliqué dans le théâtre. Celui-ci est porteur d’un projet numérique propre à développer des initiatives culturelles. « Il faut dépasser la notion de culture telle qu’on l’entend traditionnellement pour atteindre la pédagogie dans l’enseignement secondaire et professionnel. Pour cela le numérique est fondamental. Il désenclave la culture, particulièrement auprès des 15-30 ans », n’a-t-il de cesse de marteler.
Métamorphose
L’équipe ainsi constituée met en place « Technocité » une structure qui forme au numérique à plusieurs niveaux, 5 000 personnes par an et vient en complément de la Digital Innovation Valley, un quartier tout neuf à l’extérieur de la ville qui propose des centaines d’emplois dans les filières numériques. Alertés Google, Microsoft, Hewlett Packard et d’autres entreprises de haute technologie s’y sont installés. Ville d’universités, Mons offre désormais des débouchés sur place à ses jeunes diplômés. Ils s’installent et songent moins à partir faire carrière à Bruxelles à 40 mn de train. Ils reviennent après des séjours à l’étranger.
La ville fédère autour de son projet des partenaires, villes proches et 780 entreprises sponsors. Elle dispose d’un budget de 40 millions d’euros. Elle obtient de l’Europe l’autorisation d’être capitale européenne de la culture 2015. Peu à peu elle s’équipe d’infrastructures nouvelles à sa taille. Rien de pharaonique mais une vraie métamorphose de qualité. Elle se dote d’un Centre des Congrès, le seul de Wallonie, dont l’architecte est Daniel Libeskind, à qui a été également commandé à New-York le nouveau World Trade Center. Elle transforme et agrandit sa gare qui devient un lien entre le centre historique bien conservé et le nouveau quartier d’affaires. L’architecte en est Santiago Calatrava qui a réalisé le pont de l’Europe à Orléans.
La culture pour tous
Encore restait-il à faire participer la population à cette entreprise et la rendre fière de l’aventure, , de son passé et de son patrimoine, de ses coutumes et de ses traditions. 300 événements culturels sont répartis sur toute l’année, souvent correspondant aux grands rendez-vous qui rythment traditionnellement le calendrier local. « Sur une année, il faut du souffle. Il faut en permanence deux à trois grandes expositions à Mons et dans les environs Il faut répartir les sujets d’intérêt de mois en mois. Il faut occuper la ville. Ce fut la leçon de Lille 2004, ce qui n’avait pas été refait depuis, surtout pas à Marseille. Notre ville est donc acteur de programme », dit Yves Vasseur, le maître d’œuvre avec son équipe
Van Gogh super star
Impossible de tout citer tant le spectre est large et varié. On ne peut cependant passer sous silence la rétrospective Van Gogh. Elle est la vedette du musée des Beaux-Arts (BAM). Il abrite une exposition inédite consacrée au séjour de l’immense artiste dans le Borinage, la campagne minière autour de Mons, de 1878 à 1880, période où il s’affirme comme peintre et produit ses premières œuvres.
La fête inaugurale, le 24 janvier, entièrement gratuite s’est déroulée de 18 heures à 4heures du matin avec une vingtaine d’interventions artistiques et festives dans les rues et sur les place. Des lumières, des feux, des musiques et des danses. 100 000 personnes s’y sont retrouvées sans le moindre incident. 250 journalistes du monde entier (Chinois, Californiens, Canadiens, Japonais et toute l’Europe) s’y sont déplacés. La Belgique n’avait d’yeux que pour la cité wallone.
2015 sera une année fabuleuse pour Mons, pour son tourisme, pour l’ensemble de son économie. L’effet de Mons 2015 ne devrait pas s’arrêter au 31 décembre mais se prolonger bien au de-là. « J’en suis convaincu », dit Elio Di Rupo, « J’en veux Lille pour exemple. Il y a vingt ans, personne, en dehors des Lillois n’allait à Lille. Aujourd’hui, il y a 40 000 à 50 000 personnes dans les commerces. Si nous n’avions rien fait nous serions oubliés ».
Bourges, Chartres, Orléans, Tours, Blois, n’auraient-elles pas envie de suivre l’exemple de Mons? Elles sont des villes moyennes qui souffrent de la proximité et de l’attractivité de Paris. Capitale de la culture, pourquoi pas ? L’une ou l’autre de ces villes moyennes pourrait y réfléchir. Cette idée pourrait commencer à faire son chemin. Rien ne presse. Les pays peuvent avancer des villes candidates à tour de rôle et suivant un calendrier déjà connu. Les villes françaises seront autorisées à candidater en 2028. Or, Mons a préparé sa très belle réussite qui s’apparente à une renaissance pendant dix ans….
Françoise Cariès*
*Françoise Cariès est décédée le 14 mai 2022
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