Un spectacle original est en préparation sous la houlette d’Émilie Legroux, cheffe de l’ensemble Ephémères et professeur au Conservatoire d’Orléans. En effet, l’ensemble met en scène une œuvre de Germaine Tillion (1907-2008), cette ethnologue rescapée du camp de Ravensbrück qui a, au cours de sa captivité, composé une opérette entièrement construite sur des mélodies qu’elle-même et ses co détenues avaient en mémoire. Une façon de résister à la déshumanisation des camps et un formidable témoignage sur la solidarité et la force de vie qui prévaut sur l’horreur de la déportation.
Magcentre a pu rencontrer Emilie Legroux et assister en avant-première à une répétition de « Verfügbar aux enfers » au théâtre Gérard Philipe d’Orléans la Source.
Les interprètes de “Verfügbar aux enfers”. De G à D : Daniela Fuenzalida-Rabier (chant et piano), Caroline Colombel (chant et harpe)Émilie Legroux (chant, flute et direction) Garance Soulié (chant) Angèle Leroy (chant et piano) Ingrid Chanteloup (chant et trombone) Camille Vermorel (chant, violon, ukulélé, accordéon) Photo AC Chapuis
Propos recueillis par Anne-Cécile Chapuis
Magcentre : Émilie Legroux, comment vous est venue cette idée de monter la pièce de Germaine Tillion ?
Émilie Legroux : Je travaille depuis 6 ans sur cette ethnologue dans le cadre de ma formation à un master « Direction de chœurs et recherche » et j’ai un mémoire en préparation sur cette résistante hors du commun. Mais au-delà, c’est un personnage qui me fascine par son incroyable engagement, son intelligence, l’énergie qu’elle a déployée avec ses co détenues pour résister et déjouer le processus nazi de déshumanisation.
MC : Qui était Germaine Tillion ?
ÉL : Germaine Tillion est une ethnologue qui s’est engagée dans la Résistance dès les années 1940. Capturée par les allemands, elle a été internée au camp de Ravensbrück en 1943. Elle n’était pas musicienne mais s’est servie de son regard scientifique et des musiques en cours à l’époque et présentes dans les mémoires collectives pour écrire une opérette qui décrit la vie quotidienne dans les camps
MC : Que signifie le titre « Verfügbar aux enfers » ?
ÉL: Littéralement verfügbar signifie « disponible ». C’était une sorte de « statut » qu’on attribuait aux personnes sans qualification et assignées donc à toute sorte de tâches non spécialisées. Germaine Tillion s’était ainsi auto désignée, refusant de mettre ses compétences au service de l’ennemi. Elle fut alors affectée au tri du butin nazi.
En répétition au Théâtre Gérard Philipe. Photo ACC
MC : Comment se déroule la pièce et quels sont vos choix de mise en scène ?
ÉL : C’est une « opérette-revue »inachevée en trois actes qui évoque la vie quotidienne dans les camps, avec humour pour permettre aux détenues de survivre en prenant de la distance grâce au rire. Nous avons beaucoup réfléchi pour transmettre le message de Germaine Tillion sans bien sûr le dénaturer, mais sans tomber non plus dans le pathos. Elle-même ne l’aurait pas voulu car -et ceci est une force du récit qu’elle a produit- le ton est décalé, le texte est empli d’humour et détachement. Au début, nous produisons un court extrait d’un interview de Germaine Tillion : c’est une sorte d’« avertissement au spectateur », comme si elle nous autorisait à rire. Qu’on ne s’y trompe pas ! l’humour a plusieurs fonctions bien au-delà de l’amusement et cette idée du pas-de-côté, distance, relativisation prend un sens de survie pour celles qui vivaient l’enfer au quotidien.
MC : Comment est construite la trame musicale et comment l’avez-vous traduite ?
ÉL : Un deuxième intérêt de la pièce est le témoignage sur les musiques de l’époque, toutes les musiques, car on y voit des airs d’opéras, des chansons et même des publicités. Un groupe de chercheurs a identifié toutes ces mélodies et a pu les situer dans leur origine. Après nous avons utilisé les ressources de notre groupe de 7 interprètes qui jouent du piano, flute, violon, ukulélé, harpe celtique, accordéon, trombone…et avons travaillé avec Arthur Fouache, comédien et metteur en scène, dans une création collective un peu à l’image de ce qui s’est créé à Ravensbrück, toutes proportions gardées bien entendu.
Une scène de Verfügbar aux enfers avec Arthur Fouache, comédien et metteur en scène dans le rôle du conférencier-naturaliste. Photo ACC
MC : Comment ce manuscrit est-il arrivé jusqu’à nous ?
ÉL : le manuscrit a été sorti par une détenue, Jacqueline d’Alincourt. Il est ensuite resté dans un tiroir chez Germaine Tillion, jusqu’à son édition en 2005 à l’initiative de l’association « les amis de Germaine Tillion » et a été créé en 2007 au théâtre du Châtelet, avec des arrangements de Christophe Maudot
MC : Quels sont vos objectifs dans cette réalisation ?
ÉL : A l’approche des 80 ans de la libération, ce témoignage résonne fortement. Une exposition louée à l’association Germaine Tillion sera proposée dans le hall du TGP. Nous travaillons aussi avec des collèges et lycées pour porter vers les plus jeunes le message de la résistance et de la place de la culture dans de telles circonstances. La culture est un vecteur d’humanité, c‘est le message que nous souhaitons transmettre dans ce spectacle tout public prévu le vendredi 17 janvier 2025, 19h au TGP
Le témoignage est fort, la performance de l’auteure est impressionnante, tout comme celle des interprètes qui savent restituer le propos sans le dénaturer, sans forcer la trame dramatique ni alléger le contenu anecdotique ou ironique choisi par Germaine Tillion. Les voix sont belles, les différents instruments savent les souligner judicieusement. La présence sur scène des comédiennes-musiciennes et du metteur en scène offre un spectacle prenant avec un texte qui force le respect, l’admiration et dont on ne sort pas indemne.
A voir absolument, pour le témoignage, pour la performance, pour l’émotion dramatique, musicale et scénique.
Verfügbar aux enfers
spectacle dans le cadre de Musiques Plurielles
Théâtre Gérard Philipe Orléans La Source
Vendredi 17 janvier, 19h
Prix des places : 10€, tarif réduit 7€
Réservations : www.helloasso.com
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