À Lorris, « les réserves sont le cœur battant du musée de la Résistance et de la Déportation »

Le musée de la Résistance et de la Déportation du Loiret s’est doté de deux réserves pour la préservation de ses collections. Magcentre a été invité à visiter cet espace, inaccessible aux visiteurs. Il recèle de petits trésors, destinés aux expositions du musée lui-même, mais parfois appelés à voyager, lors de prêts à d’autres musées.

Témoins d’une autre époque, ces objets continueront mieux leur vie dans un musée – Photo Izabel Tognarelli



Par Izabel Tognarelli.


Aude Raimbault, chargée des collections, travaille depuis des mois au réaménagement des réserves, afin d’accueillir les collections. Avant de grimper les deux volées d’escaliers qui mènent aux combles, elle nous présente des lettres, objet initial de notre curiosité, disposées sur une table.

Trois lettres qui ont suscité tout l’intérêt… outre-Atlantique !

En juillet 2023, un maçon découvre trois lettres, avec leurs enveloppes, dans le plafond du moulin d’Ormoy-la-Rivière, en Essonne. Postées d’Annville, en Pennsylvanie, adressées à Oscar S. Light Jr, elles sont datées d’août et octobre 1944. Indices : cette découverte s’accompagnait de celles d’un masque à gaz et de rations de l’armée américaine. De toute évidence, cela concernait un soldat de l’armée américaine. Une année s’écoule avant que cet ouvrier ne fasse don de ces lettres au musée loirétain dédié à cette période. Car Ormoy-la-Rivière est à un saut de puce de Malesherbes, et donc du Loiret ! 80 ans plus tard, l’équipe du musée de Lorris s’est mise en quête du destinataire de ces lettres, ou de ses descendants. Quand on sait l’intérêt que suscite cette période outre-Atlantique, la démarche n’avait rien de hasardeux. Et elle porta ses fruits : l’équipe du musée est désormais en lien avec Barbara Light Lacy, fille d’Oscar S. Light Jr ; petite-fille d’Oscar et Anna Light, auteurs des courriers. On ne saura pas s’il a été lu ou non par Oscar Jr, décédé en 1968, à l’âge de 42 ans. À présent que The Annville mystery est dissipé, que the mysterious French connexion est établie (selon les termes utilisés à Annville), le musée se prépare à l’éventuelle venue de Barbara, sur les traces de son père.

De l’artisanat, pour résister

À côté des trois lettres — actuelles vedettes — de menus objets sont également disposés, dans l’attente que l’on s’intéresse à eux. Que seraient-ils devenus, si petits, si discrets, sans le recours d’un musée pour les situer dans leur histoire ? Ces petits chaussons, de la taille d’un ongle, et ce minuscule chapeau ont été fabriqués clandestinement par Gabrielle Harry, résistante, avec de petits bouts de carton et de tissus qu’elle détournait au cours de sa déportation dans l‘arbeitskommando (camps de travail forcé)  de Belzig, qui dépendait de Ravensbrück. Ce qui paraît anodin, à nos yeux d’Occidentaux contemporains, lui aurait valu une sévère correction si elle avait été prise sur le fait. Elle confectionnait ces menus objets en pensant à sa fille, qui avait échappé à l’arrestation. Réalisée dans le secret et le dénuement, dans ce camp où son identité se résumait à un matricule, cette activité représentait une résistance morale, face à la déshumanisation.

Les téléphones de campagne, dans leurs valises de bakélite – Photo Izabel Tognarelli

Un inventaire à la Prévert

Ces deux réserves, la plus grande pour les objets, la petite pour les tissus et papiers, représentent 60 m² de stockage, situés dans les combles et aménagés au cours du chantier de rénovation énergétique du musée. Ces travaux furent l’occasion d’utiliser un espace jusque-là inaccessible, afin d’en faire des réserves, avec une isolation, un degré d’hygrométrie contrôlé et des températures les plus stables possibles.

Machine à écrire, valises radio, téléphone de campagne, tout est rangé et classé par matériaux : bois, métal, cuir, caoutchouc  ; chacun demandant certaines conditions de conservation. Le classement se fait selon un modèle anglo-saxon qui utilise des appellations plutôt que des numéros : les dyslexiques numériques sont plus nombreux qu’on ne le pense !

Les objets de petite taille sont conservés dans des compartiments, sur des tissus molletonnés comme autant de petits lits. On trouve ainsi un cadenas qui fermait un conteneur ; un briquet fabriqué dans le laiton d’un obus ; une bague issue du métal d’une arme ; des dogtags (plaques d’identité militaire), etc. Le regard est accroché par un de ces criquets du Débarquement (le musée de Lorris n’en possède qu’un seul !) rendu célèbre par « Le Jour le plus long », mais aussi, pour certains, par la fréquentation du bocage normand, au début du mois de juin.

Et puis il y a les valises, en bois à cette époque-là ! Si elles pouvaient parler, l’une d’entre elles raconterait son exode depuis un village du Loiret jusque dans les Pyrénées, aller et retour. À l’intérieur, son itinérance est écrite au crayon de papier. Une autre, fabriquée par Jean Bourgoin, déporté, affiche son parcours de camp en camp : Compiègne, Buchenwald, kommando Laura (rattaché à Buchenwald), kommando Allach (rattaché à Dachau), avec le triangle rouge réservé aux déportés et résistants politiques. Cette valise s’apprête à partir pour une exposition temporaire au musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon. « Les réserves sont le cœur battant d’un musée. Elles doivent être bien organisées, et aptes à bien préserver les objets. Il faut être toujours prêts à les faire sortir », conclut Aude Raimbault.

Combien de casques militaires ont servi de seaux à grains pour les poules avant d’atterrir dans un musée ? – Photo Izabel Tognarelli

 

Les dons continuent

Au lendemain de notre visite, le musée a accueilli un nouveau don, en l’occurrence de la vaisselle destinée à des officiers de l’armée allemande, car tout doit être conservé : cela fait partie de l’histoire. « On arrive à l’extinction des témoins. Leurs enfants et petits-enfants ne savent pas toujours quoi faire de ces objets. Ils continueront mieux leur vie dans un musée », commente Aude Raimbault, qui a préparé son master « Patrimoine et musées » à la Sorbonne. Quand les objets lui arrivent, ils sont empoussiérés, ont séjourné dehors ou dans des greniers ; des insectes s’y sont attaqués. Combien de casques militaires ont ainsi servi de seaux pour le grain des poules ? Le dépoussiérage se fait au pinceau et au mini aspirateur. Tissus et papiers sont facilement envoyés en restauration. Les autres objets passent un temps entreposés au « purgatoire », en compagnie de malles, machines à écrire, cantines militaires dont on ne saurait que faire actuellement dans une maison. On se demande tout de même comment les employés du musée ont réussi à transporter un de ces conteneurs qui servaient lors des parachutages : vide, il pèse tout de même 250 kg !


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Commentaires

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  1. Ironie de l’histoire , c’est non loin que résidait un élu, vieux militant de l’extrême droite , et dont plusieurs enquêtes journalistiques dont celle de Christian Bidault révélèrent son rôle dans la collaboration et la traque contre les résistants dans le sud de la France…

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