La tempête dans les Brumes nordiques

À la Scène nationale d’Orléans vendredi dernier, l’ensemble La Tempête a présenté son spectacle Brumes. Une grande randonnée dans les paysages sonores des romantiques allemands et les airs populaires de l’est. Un mélange minutieusement orchestré du savant et du plébéien, de la nature et des cérémonies de la vie. Musique et théâtre intimement liés pour un spectacle complet.

Les musiciens acteurs de l’Ensemble La Tempête. Photo François Le Guen.



Par Bernard Cassat.


La compagnie vocale et instrumentale La Tempête, c’est un théâtre musical. Dans son spectacle Brumes, elle raconte une histoire. Un voyage, en l’occurrence, un voyage dans les Brumes du Nord, dans les effluves du romantisme allemand et les éclats populaires de la musique de la Mittel Europa. Mais comme tout voyage est ennuyeux à raconter, la compagnie supprime les paroles et ne garde que la musique pour rendre compte de la beauté des paysages traversés.

Ça commence par un Lied de Schubert éclaté, chanteur dans la salle, violoncelliste sur scène et chœur derrière un rideau. L’attelage va se rassembler sur la scène au coin d’une malle. Un deuxième Lied de Schumann tisse le fil matériel qui enlace les musiciens surgis sur scène par tous les côtés. Un lien qui les transforme en acteurs de cette présentation sans modèle. Tout en jouant, ils revêtent leurs costumes de Bohème. Et passent sans heurts de Schumann à un air traditionnel roumain.

Tous liés par le fil musical. Photo du teaser.


Les rideaux peuvent tomber, le voyage commencer, puisqu’on ne raconte pas, on joue. De la musique qui évidemment est pleine de Sehnsucht, autant Schumann que les airs traditionnels Klezmers, cette nostalgie indissociable de l’époque romantique et des musiques de l’est qui ferait pleurer un ours dans les Carpates. Par le son des instruments d’abord, violoncelle aux variations si humaines, clarinette aux lamentations enjôleuses, violons bien sûr, ceux qui pleurent, ceux qui soutiennent la voix des chanteurs comme ceux qui scandent la danse.

La lumière après la tempète. Photo François le Guen.


Car il y a danse autour du feu, dans ce pays de Brumes que la Tempête construit sur la scène. Il y a danse, il y a mariage, il y a réjouissance mais il y a mort aussi, et enterrement. Toutes les cérémonies de la vie. Célébrées dans ce théâtre par un banquet que n’auraient pas renié Josef Nadj ou Emir Kusturica. Ou même les Catalans du Baro D’Evel dans Falaise.

L’enterrement. Photo François Le Guen.


Les musiques fusent à chaque moment, à chaque lieu. Brahms ou Schumann se sentent mieux dans un salon cossu, pendant ces réunions un peu ennuyeuses de la bourgeoisie cultivée. Ces chansons de musique très classique n’ont pas, même chez les grands compositeurs, l’envolée de leurs œuvres plus ambitieuses pour orchestre de chambre. Pourtant là, sur la scène du théâtre, ils ne dépareillent pas autour du feu de camp des Bohémiens. Les Lieder restent de la musique classique savante qui demande une écoute minutieuse alors que le folklore des fanfares traditionnelles, parfois à l’accordéon, sont plus immédiates. Mais l’émotion circule, celle des voix lyriques comme celle des airs populaires.

Le banquet. Photo Françoic Le Guen.


Simon-Pierre Bestion, à la fois metteur en scène, directeur musical et arrangeur des partitions, a choisi de privilégier « l’énergie nomade », la puissance du vent et de l’eau. Une magnifique séquence, aux moyens scéniques simples mais terriblement efficaces, nous fait partager la force de ces éléments, de cette nature qui pendant la période romantique, apparaît souvent comme le milieu de toutes les menaces, de tous les dangers, de toutes les angoisses. Forêts sombres, mer démontée, vent déchainé. Mais la lumière est toujours présente, celle des voix et celle des instruments. Et surtout celle du groupe qui évolue sur scène.

Un spectacle d’une folle liberté

La très grande qualité de la troupe, une vingtaine de musiciens chanteurs aussi bien qu’acteurs, a parfaitement évoqué ces Brumes. Cette pérégrination d’une folle liberté dans les territoires sonores allemands et de l’Est de l’Europe, mais aussi dans la grande musique du XIXe siècle, était un pari risqué. Mélanger des musiques diverses autant techniquement que socialement n’est pas évident. La finesse des arrangements et la qualité de la troupe ont fait de cette évocation une belle réussite que le public de la salle Touchard pleine à craquer a appréciée.


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