Un royaume plein de traques, de crimes et d’émotion

Dans son premier long métrage, Julien Colonna, un nom célèbre dans son pays, tente d’exorciser la spirale infernale de sa famille. Sans pour autant ni juger, ni condamner. Son magnifique personnage de jeune fille qui découvre la vie de son père clandestin dans les années 1995 inscrit avec beaucoup d’émotion cette histoire personnelle dans celle de la Corse.

Lesia (Ghjuvanna Benedetti). Photo Chi-Fou-Mi Productions.



Par Bernard Cassat.


Julien Colonna raconte dans Le Royaume son lourd héritage. Père « assassiné » dans un accident de voiture alors qu’il a 22 ans. Ce père qui a passé sa vie à traquer les assassins de son propre père, tué d’un coup de pistolet sous ses yeux quand il avait 16 ans. Forcément, les rapports filiaux sont spéciaux, difficiles.

Il a choisi un personnage féminin pour transposer cette histoire, son histoire. Lesia (Ghjuvanna Benedetti) vit chez sa tante et commence un été qui, à 16 ans, promet d’être joyeux avec une idylle naissante. Mais son père, en cavale depuis presque toujours, la fait venir auprès de lui. À savoir dans son clan, avec ses hommes de main, dans des lieux divers où ils ne peuvent pas rester. La période (1995) est trouble. Des assassinats d’hommes politiques entrainent une guerre de clans implacable.

Un film à hauteur de regard d’une gamine

C’est dans ces conditions que Lesia va se rapprocher de son père et entrer dans sa véritable histoire. Tout est vu par ses yeux, c’est-à-dire ceux d’une enfant, une « gamine » comme dit sa tante. Elle n’a, on n’a aucune explication sur tous ces meurtres. On sait seulement que le tué est vengé, que le vengeur est à son tour tué. L’infernale spirale des vendettas méditerranéennes. On est encore dans Colomba de Prosper Mérimée ! Lesia arrive là-dedans sans rien en connaître. Elle se rend compte qu’auprès de son père, tout acte a des conséquences. Comme ce coup de fil à son petit copain, un soir, qui a peut-être servi aux ennemis pour les repérer, pour descendre un lieutenant sur la route du retour. Mais elle ne pose pas beaucoup de questions.

Une leçon de chasse. Photo Chi-Fou-Mi Productions.


Et il se raconte, ce père à la fois mystérieux, imposant mais affectueux. Quand, après des jours de vie sauvage au bord de l’eau, le père se déguise en touriste en mettant une perruque, et qu’il va passer une nuit avec sa fille dans un camping au milieu des Parisiens, il se raconte en entier. La rencontre avec sa mère alors qu’il était déjà en cavale, leur amour au Venezuela, sa naissance. La mort de la mère il y a longtemps dans un accident de voiture. L’amour et la vengeance, les grands thèmes de sa vie. Pourtant, à un moment, Lesia lui demande pourquoi tous ces morts. « Pour l’agent et le pouvoir », lui répond-il. Ce serait une explication politique. Alors que le film reste tout à fait en dehors. Mais quand il raconte la mort de son père sous ses yeux à 16 ans, et les vingt années que lui a pris sa vengeance, ce n’est ni pour l’argent ni pour le pouvoir.

Le père aussi découvre sa fille. Photo Chi-Fou-Mi

La menace constante de la mort violente

La vendetta fait régner sur les clans un climat délétère. Ils sont tous constamment sur le qui-vive, avec la peur d’être découverts et descendus. « La peur, c’est ce qui nous tient en vie », dit Pierre-Paul à sa fille. Voilà la vie qu’il lui propose, désolé de lui dire constamment non à tout. Puisqu’il ne peut rien faire librement. Cette traque, cette oppression est très présente à l’image. Sur les visages, évidemment. Celui de Lesia, très belle jeune fille aux yeux noisette, très grave pour ses seize ans, qui entre dans l’histoire de son père en gamine et en sort en femme. Une scène hors du temps, une scène de beau cinéma, où le père coupe les cheveux de sa fille en plein maquis, marque peut être le passage.

Lesia dans le clan paternel. Photo Chi-Fou-Mi Productions.


Tous les personnages sont empreints de gravité, le père en premier (Saveriu Santucci). Plus qu’un visage, c’est une gueule, impressionnante, profonde, complexe. Et ses lieutenants, plus jeunes, ne quittent pas l’attitude contrôlée qui crée une atmosphère lourde malgré le soleil et la langue chantante. Lesia, et le spectateur à sa suite, se retrouve face à ce mur de non-dit qui pèse des tonnes, ne se soulevant que lors d’actions terribles, comme ce massacre dans une villa de bord de mer.

Travail très certainement cathartique pour Julien Colonna, Le Royaume transmet une histoire sanglante que Lesia, l’héritière du film, doit clore. Julien a choisi une autre voie pour le faire. Brillante et complexe, sa narration restitue une grande émotion. En laissant en dehors l’analyse psychologique et sociologique. Il ne juge pas ses aïeux qui pourtant, sont des criminels proposant un drôle de Royaume !


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