Marylène Patou-Mathis est directrice de recherche au CNRS et spécialiste des comportements humains dans la préhistoire. Elle est venue pour la deuxième fois au musée d’Orléans pour la Biodiversité et l’Environnement le 13 novembre dernier dans le cadre des Mercredis Curieux afin de déconstruire les préjugés sexistes que nous avons appris à l’école sur la préhistoire.
Par Jeanne Beaudoin.
Marylène Patou-Mathis est spécialiste des comportements des Néandertaliens. Originaires d’Europe du Nord, ils auraient vécu jusqu’à environ 30 000 ans avant maintenant. Celle-ci souligne qu’on « ne peut pas faire d’archétype de la préhistoire, tout dépend de la période et de l’endroit ». Elle remonte à l’origine de ces préjugés sexistes et prouve leur inconsistance scientifique. Son livre, « L’homme préhistorique est aussi une femme » aux éditions Points, retrace son argumentaire.
Lorsque l’on parle de préhistoire, on a généralement en tête des images d’hommes préhistoriques vêtus d’une peau de bête, tenant à la main une massue et s’apprêtant à « chasser un mammouth ou à enlever des femmes », explique Marylène Patou-Mathis. Les représentations des femmes préhistoriques suivent quant à elles un archétype précis : elles sont apeurées et perdues, elles restent dans leurs grottes. Ces images s’appuient sur des préjugés violents et sexistes. D’autant que beaucoup d’œuvres qui reprennent la thématique de la préhistoire sont réalisées à partir de ces représentations.
Comment les préjugés sur les femmes préhistoriques sont-ils nés ?
La préhistoire est une discipline récente. Elle est née au XIXᵉ siècle, suite aux travaux de Darwin. Une vision créationniste était alors largement répandue, selon laquelle un (ou plusieurs) dieu(x) étai(en)t à l’origine du monde. Or Darwin avance une théorie de l’Évolution, affirmant que nous avons une parenté avec les grands singes. C’est ainsi, dans la société européenne occidentale et patriarcale du XIXᵉ siècle, que les bases de la préhistoire furent posées.
Dans cette société, les femmes étaient considérées comme inférieures aux hommes, elles leur seraient subordonnées car « inférieures par ordre divin ». Pour prouver leurs théories, ils vont mesurer les boîtes crâniennes de différents êtres humains afin de les hiérarchiser. Ils vont s’en servir pour établir des théories racistes et sexistes. « C’est par ces arguments pseudos scientifiques qu’ils déclarent que les femmes sont inférieures », poursuit Marylène Patou-Mathis. Les historiens de l’époque reprennent alors leur modèle idéal de la famille occidentale du XIXᵉ siècle, patriarcale, monogame et dans laquelle les hommes vont à la chasse et les femmes font la cuisine, puis calquent ce modèle sur la préhistoire.
Des préjugés qui ne tiennent pas la route
Il n’y a eu, pendant longtemps, que des précurseurs masculins dans cette discipline. Il faut attendre 1950 pour que des femmes historiennes soient prises en considération. « On ne peut pas calquer un modèle de vie sur nos ancêtres. Aucune preuve ne vient confirmer les hypothèses selon lesquelles les femmes participeraient essentiellement à la cueillette et à la préparation des repas tandis que les hommes chasseraient, pêcheraient et tailleraient les outils », reprend Marylène Patou-Mathis. D’après les données archéologiques, ainsi que les fouilles de terrain et les vestiges, on peut reconstituer la vie de ces humains. Les hommes comme les femmes seraient pluridisciplinaires, les tâches seraient attribuées selon les compétences de chacun et non selon leur genre.
De plus, on retrouve dans l’art paléolithique beaucoup de vulves, des femmes grosses, d’autres minces, tous types de corps féminins. En revanche, on ne retrouve que très peu de phallus et de représentations d’hommes. Les sculptures sont réalisées par et pour les femmes dans une période où l’accouchement et la maternité sont très importants. Les enfants permettent la transmission des clans. Si l’accouchement représente des risques, ces vulves portent chance. Cette société était, selon Marylène Patou-Mathis, matrilinéaire. Il n’y avait pas de domination des hommes sur les femmes, la transmission se faisait par les femmes. « Pour moi, il n’y a rien qui montre qu’il y a cette domination, je pense qu’elle est arrivée plus tardivement » conclue Marylène Patou-Mathis, supposant que la domination patriarcale s’est imposée avec la sédentarisation des peuples.
Pour aller plus loin avec Magcentre : Le sexisme ordinaire, tare sociétale.