Anarchitecture : Gianni Pettena, architecte à la pensée avant-gardiste au FRAC

Gianni Pettena a réussi l’exploit de n’avoir jamais construit un bâtiment, en dehors de sa « cabane » sur l’île d’Elbe. Son approche de l’architecture dès la fin des années 60 est tellement atypique, mais très sensée, qu’il a trouvé avec l’art le meilleur outil pour l’exprimer. Vous l’aurez compris Gianni Pettena est avant tout un artiste architecte.

Élodie Royer, commissaire de l’exposition devant le plan de la maison d’Elbe. Photo Valérie Thévenot



Par Valérie Thévenot.


Le Frac propose une exposition qui peut sembler un peu décalée, et pourtant, « Anarchitecture » nous questionne sur notre place et celle de nos cités dans leur environnement. À quel moment le déploiement de nos sociétés devient synonyme de violence envers la nature ? Nous sommes en 1967, et ce questionnement taraude l’esprit de Gianni Pettena tout juste sorti avec son diplôme en poche de l’École d’Architecture de Florence.

Fin des années 60/70, Gianni n’est pas le seul à faire ce constat. Le capitalisme en plein essor donne le ton à de nombreux secteurs, et l’architecture n’y échappe pas ! Rappelons-nous que le film du réalisateur italien Francisco Rosi « Main basse sur la ville » a marqué en 1963 toute une génération en dénonçant un scandale immobilier à Naples.

Un pionnier

Aussi « quand Gianni Pettena commence sa pratique, il fait partie de tout un courant social et artistique en Italie qui vise à requestionner nos manières de construire au moment où le capitalisme est florissant. L’architecture répond à des logiques plus fonctionnalistes. Et Gianni Pettena s’y oppose, il exprime une sorte de refus à cette rationalisation de sa pratique architecturale qu’il imagine plus tournée vers l’humain et la nature », explique Élodie Royer, commissaire de l’exposition.

Alors, avant-gardiste Gianni ? Assurément. Au vu de tous les évènements climatiques actuels, la question de savoir à quel moment nous laissons de la place à la nature se pose tragiquement. Nous prenons, mais sans redonner, ou vraiment très mal.

La nature pour maître d’œuvre

FRAC – Les Dolomites. Photo Valérie Thévenot


Gianni Pettena est né à Bolzano, aux pieds des Dolomites. Des montagnes aux profils tellement singuliers, que ce n’est que bien plus tard qu’il réalisa qu’il avait tout appris de ces formes de la nature et qu’elles ont défini son rapport à l’architecture. En 1971 il part enseigner au Collège of Art of Minneapolis. « Deux années déterminantes dans sa définition de sa pratique artistique et architecturale. La découverte des grands espaces américains, du “way of life”, font qu’il va développer une architecture par la pensée, ou comment faire un travail d’architecte mais via des gestes non permanents et des architectures temporaires qui viennent plus se relier à l’environnement qui les entoure. Dans les déserts américains, il retrouve d’ailleurs le même type de paysages que ceux des Dolomites de son enfance, cette même typologie d’architectures naturelles, des architectures non conscientes ».

La mia casa all’Elba et tutti le altre utopie *

L’exposition Anarchitecture s’ouvre sur une salle présentant la maison de Gianni Pettena sur l’île d’Elbe. La mia casa all’Elba est une réalisation collective, sur du long terme, pensée et bâtie avec des amis designers, des étudiants et des artistes. Chacun était invité à y laisser un fragment. Initialement il y avait là une petite cabane abandonnée de pêcheur, aux murs en pierres chancelants, et traversée en son centre par un pin. Un pin qu’il devra faire abattre à regret. Et pour s’en excuser, une forêt de pins autour de l’habitat sera replantée. Gianni Pettena cherche à apprendre des lieux plutôt qu’à les modifier, utilisant des matériaux locaux, tout en étant attentif à l’histoire des lieux. Le Land Art s’invite ici, comme dans ses autres réalisations. Ne pas violenter les lieux est et restera son leitmotiv. En constante évolution, cette maison aux multiples extensions symbolise de façon concrète ses recherches et les réflexions de toute une vie. D’une cabane en ruine, il en naîtra une utopie mise en pratique. De nombreux documents, la maquette de la mia casa all’Elba (qui a encore évolué depuis), un grand plan dessiné en vue aérienne situant l’environnement de la cabane viennent illustrer le lieu et la démarche de Gianni Pettena.

Le Paper. Photo Valérie Thévenot


Nous poursuivons la visite vers une autre salle, mais avant nous traversons le « Paper », une œuvre réalisée pour la première fois en 1971 dans une salle d’étudiants à Minneapolis. D’une longueur et largeur de 10 mètres et composé de centaines de bandes de papier blanc, « Paper » nous invite dans une forme de perte de repères à tracer notre propre chemin en coupant des bandelettes au fur et à mesure de notre avancée. Une fois fait, et un peu vacillants à sa sortie, nous faisons face au Human Wall (Mur humain). Un mur recouvert d’une couche d’argile où sur toute sa surface des empreintes de mains donnent vie à l’ensemble. L’argile étant également un matériau vivant qui séchera, changera de couleur et se fissurera au fil du temps.

Ici tout a commencé

Et là, arrive une belle surprise, Gianni Pettena en personne nous rejoint au moment où nous découvrons « La mia scuola di archittetura » (Mon école d’architecture). Une série de photographies montre sous plusieurs angles les Dolomites par une belle journée ensoleillée. Ici tout a commencé. Gianni un peu en retrait regarde, écoute les explications données par Élodie Royer, il nous montre des photos d’œuvres sur son téléphone, se prête volontiers aux jeux des questions. Il y répond dans un anglais à la tonalité rocailleuse, pas toujours aisé pour votre scribe de tout comprendre mais heureusement le langage des mains cher aux Italiens aide à décrypter l’ensemble !

Gianni Pettena devant le Tunnel sonore. Photo Valérie Thévenot


Nous poursuivons la visite par le hall d’entrée du FRAC où trône « Tunnel Sonnoro ». Cette structure en métal réalisée pour la première fois en 2024 mais pensée bien avant par Gianni Pettena témoigne « de l’intérêt de Gianni pour les arts vivants et la musique expérimentale ». Un/e performer habillé/e d’un costume recouvert d’écailles en métal peut y déambuler à l’intérieur et produire des sons au contact des parois. Pour Gianni, un son proche « de celui du vent et des feuillages d’une forêt ».  

La période américaine

De là, nous changeons d’espace, direction les USA. Et nous changeons de niveau. L’escalier que nous empruntons s’anime avec les « Chaises portables » et un ensemble de photographies complète le propos. Nous voici maintenant devant la représentation d’un quartier middle class de Salt Lake City avec la « Maison d’argile » dont les surfaces extérieures se transformeront en hôtel à insectes. Tout cela pour faire écho aux maisons voisines, toutes identiques et de fait tombant dans l’anonymat.

Human Wall Maryline Brustolin galeriste de Gianni Galerie Salle principale à Paris cl Valérie Thévenot


Notre parcours se poursuit de lieux en lieux, de matériaux naturels en matériaux naturels. Le Land Art n’est décidément pas loin, il prolonge le questionnement de Gianni sur le rôle de l’architecture. Le jeune enfant italien qui a grandi avec pour panorama les Dolomites n’est jamais bien loin également. Il suffit de voir le visage heureux de Gianni quand il nous apprend qu’un matin en arrivant au pied de la sculpture « Attrape-tout », elle aussi à Salt Lake City, il entendit les oiseaux chantés au milieu des « tumbleweeds » qui en recouvrent la structure. Les « tumbleweeds » ou virevoltants en français sont ces boules d’herbe typiques du Grand Ouest américain qui roulent au gré du vent et finissent leur chemin dans les grillages bordant les routes.

Notre parcours initiatique touche à sa fin. L’exposition qui emprunte son nom au manifeste écrit en 1973 par Gianni Pettena « l’Anarchitetto » est une exposition qui décidément interpelle tant son propos reste d’actualité. Prendre son temps pour la visiter et lire l’ensemble des panneaux explicatifs aidera assurément à mieux habiter et intégrer tous les concepts qu’elle met en œuvre.

* « Ma maison à Elbe et toutes les autres utopies »


Gianni Pettena et Attrape-tout. Photo Valérie Thévenot

 

Anarchitecture

Exposition réalisée en partenariat avec le Crac Occitanie à Sète
Environ 150 œuvres présentées dont 53 issues de la collection du Frac Centre-Val-de-Loire
Jusqu’au 9 mars 2025

Frac Centre-Val de Loire Entrée via le boulevard Rocheplatte 45000 Orléans


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