Édouard Philippe, les ambitieux et la droite en Indre-et-Loire

Dans le contexte de phase terminale du macronisme, Horizons, le modeste parti d’Édouard Philippe essaye de s’implanter aux échelles départementales pour structurer la droite non-RN en vue de 2027. Quitte à développer des pratiques et à mettre en avant des profils qui fleurent bon la droite à la papa.

Photo de famille Horizons 37, avec Philippe Briand en guest star – juin 2023


Par Joséphine.


Le pari d’Édouard Philippe depuis 2022, et ce qui le différencie des Attal, Darmanin, ou Wauquiez, c’est de construire sa candidature pour la présidentielle de 2027 en s’appuyant sur le modèle classique du parti bien ancré dans les collectivités et les territoires. Pourquoi ce choix qui peut sembler vieillot à l’heure du « nouveau monde » et de la politique sur Twitter et BFM ? Parce que le recul sur l’expérience macroniste a permis à Édouard Philippe de tirer quelques leçons de ces dernières années. Son analyse est la suivante : Emmanuel Macron avait pensé En Marche comme une machine à gagner l’élection présidentielle en hyper-personnalisant le mouvement, souple, discipliné, pyramidal et avec une communication particulièrement efficace au service de l’image et du discours du chef. Et clairement, de 2016 à 2019, cette stratégie a été une réussite, laissant même à penser que le régime des partis était mort.

Sauf que rapidement, après l’effet « wahou! » de la nouveauté, des limites évidentes sont apparues dans le modèle macroniste : le faible nombre de cadres du parti, d’élus locaux et de militants de base ainsi que les difficultés pour articuler l’échelle nationale et locale, articulation indispensable pour faire passer des réformes, discuter avec les corps intermédiaires et collectivités afin de ne pas tomber dans une approche trop techniciste et parisienne de la politique, source de tensions et résistances. Il s’agit donc pour Édouard Philippe de prendre le contre-pied de ses adversaires en créant une dynamique collective et en proposant une structure solide partout en France, capable de présenter des candidats sérieux à chaque scrutin et de construire un réseau d’influence qui offre un véritable débouché politique sur le moyen terme, chose que l’ébauche de parti macroniste n’a jamais été capable de faire et que LR est en train de perdre, grillé par les scandales politico-médiatiques et les luttes fratricides.

C’est donc précisément en déployant sa stratégie qu’Édouard Philippe a rencontré la Touraine. Et réciproquement. Car son parti – Horizons – offre désormais des perspectives intéressantes dans un contexte local où les fiefs pour s’ancrer durablement sont à prendre, les figures tutélaires Briand et Paumier étant parties en pré-retraite, leur influence déclinant. C’est comme cela que quelques quadras ou quinquas aux dents longues, figures émergentes issues d’autres partis ou se lançant en politique, ont décidé de se raccrocher à la locomotive Horizons et d’en tirer profit. Une sorte de win-win quoi.

Horizons en goguette en Touraine – Edouard Philippe, Henri Alfandari, Vincent Louault, Frédéric Augis juillet 2024

Winners de Touraine

Dans cette avant-garde édouard-philippiste tourangelle, il y a d’abord Henri Alfandari, héritier du groupe de cliniques privées Saint-Gatien. Lui son truc, c’est la comm’, et cet ancien directeur de la communication des cliniques familiales sait comment s’y prendre. On se souvient qu’il avait réussi dès ses débuts à se mettre en scène dans la presse locale, jetant un voile pudique sur ses origines familiales privilégiées, entretenant le mythe du modeste papa quittant Paris pour la campagne et se donnant à la politique par sens du devoir. Cumulant les mandats très rapidement, abandonnant sa mairie au bout de deux ans, Henri Alfandari voit grand. Élu député en 2022, il devient le patron de Horizons en Indre-et-Loire, adoubé par le big boss Edouard Philippe duquel il reprend la comm’ autour de l’amour de la boxe et donc du combat politique, allant même jusqu’à organiser des rencontres de son parti sur un ring, alors que de son aveu même, il ne pratique pas ce sport. Mais bon, l’important, ce sont les images, les punchlines, les symboles.

Mais depuis quelque temps, Henri Alfandari a passé la vitesse supérieure. Il soigne ses réseaux, n’oubliant pas d’inviter quand même papy-Philippe Briand sur les photos de famille de la droite. Il a également pris une Debré comme suppléante et assistante parlementaire et depuis septembre, il fait inlassablement la tournée des élus de sa circonscription pour se poser en relais indispensable, développant une permanence parlementaire itinérante qui ressemble fort à une campagne électorale hebdomadaire. Il soigne aussi sa présence médiatique : invité régulièrement depuis la rentrée sur des chaînes nationales, il est devenu « toutologue » – expert en tout – comme on dit chez les journalistes. Devisant parfois sur la laïcité – qu’il maîtrise visiblement imparfaitement –, parfois sur la rigueur budgétaire – oubliant qu’il appartient à la majorité depuis 2022 et qu’il a de fait, soutenu les dérives des finances publiques du tandem Macron-Le Maire – ou sur tout autre sujet tendu à la volée sur un plateau télé. Il soigne enfin sa volonté d’emprise sur la Touraine, intervenant au-delà de ses attributions, prenant parti publiquement dans l’affaire de la délocalisation des classes à horaires aménagés du Conservatoire de Tours, alors que cela ne concerne pas sa circonscription, ou plus récemment en publiant un communiqué-masterclass au sujet de la deuxième ligne de tramway de Tours-Métropole, alors que cela n’implique que trois communes de sa circonscription et que… c’est la Métropole qui réunit 22 communes qui est compétente en la matière. Mais qu’importe l’ingérence dans les choix d’autres collectivités et la posture de notable qui considère que tout sujet mérite que monsieur le député s’y penche, car là encore, la question est d’occuper l’espace.

Auto-promotion de Vincent Louault sur sa page FB – oct 2024


Autre héritier qui essaye de prendre du galon, Vincent Louault, sénateur et exploitant agricole, fils de… sénateur et d’exploitant agricole. Adversaire malheureux de Jean-Gérard Paumier au Conseil départemental depuis 2017, Vincent Louault a fini par trouver mandat à son pied en récupérant le siège de son père au Sénat en septembre 2023. Désormais passé à Horizons, rompant avec sa tradition politique familiale UDF beaucoup plus moelleuse, Vincent Louault entend se poser en héros de la cause agricole, un homme de terrain, passant avec aisance de son tracteur aux ors du palais du Luxembourg. Et en ces temps de grogne de la paysannerie portée par de virulents syndicats, il y a de quoi faire. Par exemple ces derniers jours, le sénateur Louault n’a pas hésité à prendre fait et cause pour un collègue agriculteur qui a subi un contrôle de grande ampleur sur son exploitation, mettant en cause publiquement l’attitude des gendarmes, des services de l’État et même de la Procureur de la République de Tours, épisode ayant donné lieu à un sévère rappel à l’ordre par le Procureur général de la Cour d’Appel d’Orléans au sujet de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice. Ce qui n’a pas empêché Vincent Louault d’interpeller le ministre de la Justice quelques jours plus tard au Sénat, « au sujet des contrôles des agriculteurs initiés par les procureurs » et sur l’ampleur de ces interventions « qui manquent d’humanité (…) et assimilent les agriculteurs à des criminels en bande organisée ».

Il y a enfin dans cet ambitieux gruppetto Benoist Pierre, ex-PS, ex-LREM, ex-Territoires de Progrès, désormais passé chez Horizons, lui qui est un « ami de 30 ans » d’Édouard Philippe, rencontré sur les bancs de Sciences Po Paris. Benoist Pierre arrivé troisième à la municipale tourangelle de 2020 a d’ores et déjà annoncé se présenter à la suivante en 2026, après avoir joué des coudes pour être le candidat de la majorité présidentielle en juin dernier à la législative sur la circonscription de Tours – sans l’investiture Horizons –. Législative au sujet de laquelle il a déclaré à la Nouvelle République avoir réalisé une belle performance en ayant réussi à se qualifier pour le second tour. Excès de triomphalisme ? Pas seulement, car l’enjeu de cette déclaration est bel et bien de s’imposer comme le meilleur candidat à droite pour 2026 et doubler la concurrence, nombreuse, prise de vitesse et peut-être bientôt poussée au ralliement. Depuis la rentrée, Benoist Pierre multiplie donc les réunions publiques, va se montrer à tous les matchs et kermesses possibles et imaginables, accumule les selfies et s’attaque méthodiquement aux actions de la majorité d’union des gauches de Tours. Pistes cyclables ? Il faut raison garder et en faire deux fois moins. Tracé du tram ? Il faut passer par les Tanneurs et non Jean Royer. La fiscalité municipale en temps de réduction de dotations de l’État ? L’augmentation des impôts est la ligne rouge absolue. « Il faut faire autrement, mais mieux », confiait-il, lunaire, il y a quelques jours à la NR.

Cela étant dit, parler de gruppetto pourrait laisser entendre une certaine complicité entre ces hommes, or il n’en est rien. Par exemple, les relations entre Henri Alfandari et Benoist Pierre sont… comment dire ? Notoirement fraîchounettes. Mais bon, la communauté d’intérêts est là et le temps est compté.

Frankenstein idéologique

Les trois hommes pensent de toute évidence avoir le vent en poupe, mais ils savent aussi qu’il va falloir la jouer fine pour rafler la mise ces prochaines années et devenir durablement les nouveaux barons de la Touraine, comme le furent Royer et Voisin, ou Germain, Briand et Paumier plus récemment.

Bien entendu, pour ne jamais injurier l’avenir, ils gardent une souplesse de bon aloi pour tourner élégamment avec le vent le cas échéant. Mais là où cela se corse vraiment, c’est que l’éclatement des droites oblige à de singuliers grands écarts. Dont acte. Nos protagonistes participent donc à la construction d’un frankenstein idéologique propre à Horizons – qui n’est pas sans rappeler au fond le sarkozysme de 2006-2007 ou le programme de Fillon en 2017 –, conciliant l’inconciliable, au local, comme au national :

  • un libéralisme dogmatique favorable aux très hauts revenus et aux grands groupes économiques mondialisés, multipliant les discours mêlant « expertise » et « bon sens » sur le risque mortel de la dette, nécessitant une réduction drastique des dépenses de l’État, pensant le bien commun au filtre du management public en vogue depuis 30 ans. Ainsi, par exemple, pour Benoist Pierre et Henri Alfandari, la fameuse deuxième ligne de tramway se doit d’être « rentable » pour être légitime et tant pis si elle peut être aussi pensée comme un outil de justice sociale et de désenclavement spatial, concepts difficiles à quantifier. Il faut du compétitif, de l’efficient, du résultat, de l’attractivité, du retour sur investissement.

  • une posture anti-étatiste, anti-fiscale et anti-normative à tendance poujadiste, à destination des artisans, entrepreneurs de PME-PMI et commerçants mais trouvant aussi un écho dans certaines catégories populaires. Il s’agit de dégraisser le mammouth, de laisser faire et de laisser passer, de jouer la France qui se lève tôt contre la France de l’assistanat, de permettre aux premiers de cordée de tirer la croissance vers le haut pour créer du ruissellement. L’État et les fonctionnaires sont donc renvoyés à l’imaginaire du parasite qu’il faudra traiter par un « choc de simplification » pour enfin « libérer la croissance », remettant la France au travail. D’ailleurs, la mise en cause de l’autorité administrative et judiciaire et, au fond, de leur légitimité par Vincent Louault il y a quelques jours est aussi à remettre dans le contexte des dérapages contrôlés de Bruno Retailleau au sujet de la relativité de « l’état de droit », en une tentation bonapartiste qui n’a jamais vraiment quitté la bourgeoisie française.

  • une stratégie de séduction de l’électorat RN en jouant sur les questions d’autorité, de sécurité et d’immigration, mais discrètement. Ainsi Benoist Pierre avait fait des appels du pied entre les deux tours de la législative aux électeurs frontistes qui représentaient 10 000 voix, se posant en héros sécuritaire face à une gauche forcément laxiste suspecte d’admiration nantaise ou grenobloise – mon dieu –. Quand ce n’est pas Henri Alfandari qui avait carrément avoué lors d’un meeting en juin dernier qu’il pourrait voter pour le RN au second tour s’il n’était pas qualifié. Et bientôt, nous verrons selon toute probabilité cette stratégie pleinement à l’œuvre lors du débat annoncé pour une nouvelle loi immigration – la 119e du nom depuis 1945 – et ce alors qu’Henri Alfandari avait déjà voté sans états d’âme la 118e version en décembre dernier.

Horizons rencontre Barnier sept 2024


Reste à savoir quelle sera l’attitude du reste de la droite locale – et nationale –. Les LR sont-ils en cours de basculement, comme par exemple Frédéric Augis, autre quinqua, patron de Tours Métropole et réputé déjà très proche de Horizons ? Quid des derniers mohicans macrono-bayrouistes, incarnés dans le coin par Daniel Labaronne et Sabine Thillaye qui voudront probablement continuer leur carrière personnelle en politique ? Et qu’en sera-t-il de la droite dite modérée, notamment de l’UDI, dont la tradition girondine et tout en rondeurs pourrait ne pas être soluble dans cette dérive populiste qui se met dans les pas du RN ?


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Commentaires

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  1. Merci Joséphine d’éclairer les consciences sur les calculs et les objectifs de cette droite et de ses membres, qui au-delà de leur idéologie et doctrine politique, sont très investis pour leur carrière personnelle.
    Cette droite qui rassemble des petits bourgeois et leurs valets fait penser, en ces temps, à celle des années 1900, donc très vieillotte et ringarde, et qui a préféré le fascisme au front populaire pour conserver ses intérêts.
    Ce qui fait la différence avec la macronie c’est que cette droite avoue qu’elle préfère le fascisme à la démocratie.
    La gauche, celle de la justice, de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, se doit de dénoncer publiquement dans les communes, départements et au niveau national toutes les prises de positions et les votes de cette droite prête à s’allier « au monstre »
    Et peut-être rappeler que certains de ses membres, pour en citer un Édouard Philippe, sont poursuivis par la justice pour des faits de détournement de fonds, prise illégale d’intérêts,

  2. Quid du maire de Fondettes,M de Oliveira que son camarade de parti, président de l’Agglo , traita de “sale portugais”?

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