Sologne : un livre dénonce une « colonisation silencieuse par les ultras riches »

La Sologne, terre de chasse et de traditions, se transforme peu à peu sous l’emprise des ultra-riches. C’est ce que dénonce Jean-Baptiste Forray dans son ouvrage « Les Nouveaux seigneurs », dans lequel il révèle, à travers une enquête, une « colonisation silencieuse » où élites économiques s’approprient des hectares de forêts, bouleversant l’écosystème local.

La forêt solognote, refuge des ultra-riches selon le livre de Jean-Baptiste Forray. Photo Magcentre



Dans Les Nouveaux seigneurs, Jean-Baptiste Forray nous entraîne dans une enquête minutieuse au cœur de la Sologne, depuis la révolution industrielle, ce terroir du Centre-Val de Loire était privilégié pour les rencontres mondaines autour de la pratique de la chasse. Depuis quelques décennies, ce territoire est même devenu un refuge pour les très grandes fortunes. À travers ce livre, l’auteur dépeint une « colonisation discrète, mais profonde » de ce territoire rural, où les élites économiques se sont approprié des milliers d’hectares de forêts, modifiant radicalement l’écosystème local, tant naturel que social.

Le livre révèle un monde à part, celui des grands domaines de chasse, véritable pilier de l’activité de la région, où se réunissent milliardaires et personnalités influentes. Jean-Baptiste Forray, journaliste à la Gazette des communes, ne se contente pas d’une simple description ; il montre comment cette concentration de richesses a transformé la Sologne en un « laboratoire du séparatisme des ultra-riches ». D’après lui, les grands propriétaires auraient, au fil des acquisitions de terres, imposé leurs règles : vastes clôtures interdisant l’accès au commun des mortels, privatisation des ressources naturelles ou protection d’une faune réorganisée pour les plaisirs de la chasse. Ce phénomène pose la question d’un enclavement social croissant, où une partie des habitants locaux se sentiraient de plus en plus dépossédés de leur propre territoire.

Un écosystème bouleversé

L’auteur n’hésite pas à dénoncer les dérives écologiques de cette appropriation des terres. Sous le prétexte de la gestion cynégétique, de vastes zones sont artificiellement repeuplées en gibier venu d’ailleurs, au détriment des équilibres naturels. Le portrait dressé de ces nouveaux seigneurs de la Sologne est sans concession : entre la quête du prestige et le désir d’isolement, ces puissants acteurs auraient créé une bulle d’entre-soi où règnent le luxe et le pouvoir.

Le livre frappe par la qualité de son investigation. Jean-Baptiste Forray, journaliste aguerri, livre des faits précis, sourcés, et s’appuie sur des entretiens avec des acteurs locaux, des experts et des chasseurs. L’ouvrage n’est pas seulement à charge, il reconnaît l’impact économique très positif de la chasse pour des villages de moins de 1 000 habitants qui conservent des commerces, des artisans, des restaurants voire même une pharmacie. Les villages solognots sont fondamentalement différents des villages du Berry et de l’Orléanais et c’est grâce à la chasse. Mais c’est justement cette richesse apportée par les grands domaines qui rend les villages différents aussi dans leur sociologie. Les risques de conflits d’intérêts eux aussi sont différents…


Ce travail fouillé donne une voix à ceux qui, bien souvent, restent invisibles face à l’ombre des châteaux et des forêts barricadées ; si certains se complaisent dans cet ordonnancement social et économique, d’autres se sentent marginalisées.

Plus qu’une simple enquête journalistique, Les Nouveaux seigneurs interroge sur les dynamiques contemporaines de la richesse et du pouvoir. Loin des grandes métropoles où ces élites ont l’habitude d’évoluer, la Sologne devient ici un miroir grossissant des inégalités. L’auteur propose une réflexion sur l’évolution de la chasse autrefois ouverte et populaire, elle peut aussi aujourd’hui incarner, sur certains territoires, le symbole de la fracture entre classes sociales. La force de ce livre réside dans sa capacité à rendre accessible un sujet complexe et souvent méconnu. Jean-Baptiste Forray éclaire sur les enjeux économiques, politiques et environnementaux liés à ce qu’il nomme la « colonisation » de la Sologne. Au-delà du contexte local, son ouvrage éclaire d’une lumière crue l’une des manifestations les plus tangibles du comportement des ultra-riches en France.

Une sortie repoussée : la sortie du livre de Jean-Baptiste Forray, (20 euros, éditions Les Arènes), était prévue initialement le 12 septembre, elle a été repoussée au 17 octobre. Officiellement pour des problèmes d’impression. En fait des feuillets centraux retraçaient des articles de presse consacrés à de riches propriétaires solognots. Le groupe de presse qui possède les journaux reproduits s’est opposé à l’insertion de ces extraits dans le livre. Ce groupe de presse appartenait à une personnalité disparue, passionnée de chasse qui avait une propriété en Sologne…



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Commentaires

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  1. Parmi tous ces riches seigneurs, on peut citer Martin Bouygues, Jérôme Seydoux, Benjamin Dessange…

  2. Publication repoussée ? L’éditeur doit savoir que toute reproduction nécessite au préalable de demander l’accord du propriétaire des droits, en l’occurrence Le Figaro, je pense ?
    Le constat fait dans ce livre est indéniable. Mais on le faisait déjà dans les années 70, époque des émirs en Sologne (avec des baignoires aux robinets en or, disait-on), de Bokassa qui gueuletonnait avec des “élites” locales…
    C’est pourquoi, afin de répondre aux critiques sur l’engrillagement de la Sologne et sa privatisation par les plus riches, le préfet de région de l’époque, Paul Masson, avait lancé l’acquisition, via une fondation, du domaine du Ciran à Ménestreau (plusieurs centaines d’ha). Cinquante ans après, il semble que le débat remonte à la surface… Un livre publié à cette époque (“Les discrets châteaux de Sologne”) donne une petite idée du patrimoine architectural camouflé dans cette région qui a toujours été une annexe, comme on le disait à l’époque, du XVIème arrondissement.

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