« Miséricorde » là où poussent les morilles

« Miséricorde » d’Alain Guiraudie est un film de rôles, d’où l’importance du casting plus que réussi. Il fait évoluer ses personnages dans un drame non dénué d’humour. Les rapports humains et l’amour sont au centre, mais la nature y tient aussi son rôle. Formidable cinéaste, Guiraudie sait rester simple pour un film brillant et enthousiasmant.

Martine (Catherine Frot) veille sur Jérémie (Félix Kysyl). Photo Les Films du Losange.



Par Bernard Cassat.


Une longue séquence de caméra embarquée dans une voiture nous fait traverser l’Aveyron et nous laisse devant la boulangerie d’un petit village. On est alors sur la scène du film, scène au sens large, boulangerie, village, presbytère, forêt alentours.

Car cette fiction d’Alain Guiraudie nous emmène autant au cinéma qu’au théâtre. En tous cas nous fait vivre un moment dans son théâtre personnel, très proche du réel au niveau des décors. Les somptueuses images de bois réalisées par la cheffe opératrice Claire Mathon, ces plans larges ou un personnage marche au milieu des arbres, l’importance de chacun des troncs dans l’image pour bien situer les lieux qui reviennent dans l’histoire prouvent l’attachement de l’auteur à la nature, son milieu d’origine. Le bruit de la forêt n’a jamais été aussi bien saisi. On se souvient du bruit du vent dans l’Homme du lac. Ici, c’est constamment présent.

L’importance de la nature. Photo Les Films du Losange.


Cinq personnages vont évoluer dans ce décor. Jérémie (Félix Kysyl), le beau jeune homme qui nous fait rentrer dans la boulangerie pourtant fermée. Martine (Catherine Frot), la femme du boulanger qui vient de mourir. Vincent (Jean-Baptiste Durand), le fils de Martine. C’est donc un décès qui les réunit. On comprend qu’ils ont une histoire commune, sans vraiment la saisir. Et puis il y aura Philippe, un curé en soutane (Jacques Develay) et Walter (David Ayala), un agriculteur un peu en rupture.

Une réunion dans la cuisine. Photo Les Films du Losange.


Ces cinq personnages vont jouer quelque chose qui ressemble à un drame, non dénué d’humour parfois. Un drame qui tourne autour de l’amour, des amours possibles. L’amour chrétien du prochain prôné par le curé, qui pourtant n’hésite pas à le personnaliser très fortement, l’amour filial entre Martine et Jérémie qui n’est pourtant pas son fils et qui aime Martine beaucoup plus que s’il l’était. Attiré par les hommes, Jérémie a sans doute vécu quelque chose avec son ex-patron boulanger mort. Et il « drague » étrangement Walter qui ne le supporte pas, alors que le conflit, autre versant de l’amour peut-être, avec Vincent tourne au drame total.

On ne sait pas trop dans quelle histoire on est. Et probablement Jérémie ne le sait pas non plus, lui qui emprunte la chambre des autres, le lit des autres et même leurs habits. Comme dans Théorème de Pasolini, il déboule et séduit tout le monde. Mais c’est aussi un ange exterminateur. Et la miséricorde du curé ne le sauve pas totalement.

Le conflit va mener à l’affrontement. Photo Les Films du Losange.


La formidable interprétation des acteurs laisse constamment planer le doute. Venus présenter le film en avant-première dimanche 13 octobre, Jacques Develay et Félix Kysyl ont insisté sur l’écriture très élaborée du scénario et des dialogues, et sur la simplicité. « C’est le maître-mot. Alain ne nous a pas beaucoup dirigés. Il voulait juste quelque chose de simple », a dit Félix. Jacques insiste : « C’est vrai qu’Alain ne passe pas des heures à expliquer la psychologie des personnages. Il fallait que le personnage reste dans l’immédiateté. Le naturel des échanges vient de tout cela ».

Jérémie à la place du curé. Photo Les Films du Losange.


Tous les deux sont absolument magnifiques. Dans une scène clé, celle de la confession inversée, le curé installe Félix à sa place, et se confesse à ce faux ecclésiastique, lui octroyant sa miséricorde par amour, sans doute. Les deux visages cadrés serrés se répondent dans une tension visuelle extrême. « On était pris par une émotion… Quelque chose d’intense. Le silence de l’équipe, et de l’église… », disent Jacques et Félix. Et Jacques d’avouer : « C’est le plus beau rôle que j’ai jamais joué ! ». Grand ordonnateur de l’histoire, il est aussi émouvant que ridicule, aussi touchant qu’empathique. Sa miséricorde, ambiguë mais salvatrice, contient toute la complexité de l’histoire. Catherine Frot est elle aussi éblouissante. « Quelque chose qu’on n’a jamais vu. Dans ce rôle de mère, de veuve, renaissant au désir… Sa simplicité, justement. Qu’elle ait accepté de rentrer dans l’univers d’Alain, c’est formidable », dit Jacques. « Alain a fait le film qu’il voulait faire. Il l’avait pensé comme ça », nous confie Félix.

De l’importance d’aller aux champignons. Photo Les Films du Losange.


Cette histoire loufoque et profonde correspond en effet assez bien à ce que l’on peut saisir de l’auteur Alain Guiraudie. Un homme complexe et mystérieux, proche des gens, amoureux de la nature, un artiste qui sait mettre en images ses réflexions sur le monde et sur l’art. « Miséricorde » est un très grand film captivant, virtuose dans sa simplicité, qui va jusqu’au bout de son propos.


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