“La Tribu” ou les années françaises d’Hannah Arendt au Cercil

Marina Touillez est diplômée en science politique et spécialisée sur l’histoire du racisme et de l’antisémitisme des années 1930-1940 en France et en Allemagne. Constatant qu’il n’existe que très peu de données sur les années françaises d’Hannah Arendt, celle-ci a décidé d’approfondir les recherches et d’écrire un livre à ce sujet, Parias, Hannah Arendt et la tribu en France (1933-1941).

Couverture du livre de Marina Touillez.


Par Jeanne Beaudoin.


Une cinquantaine de personnes étaient présentes mardi 15 octobre au Cercil, Centre de mémoire et d’histoire d’Orléans, lors de la conférence donnée par Marina Touillez. Cette conférence a été l’occasion de rappeler les vingt ans du partenariat entre la région Centre-Val de Loire et le Land de Saxe-Anhalt en Allemagne. Une traduction en simultanée a été proposée pour les nombreux germanophones de la salle. Ce partenariat s’est donnée pour objectif de participer au devoir de mémoire des jeunes, notamment sur la Shoah, pour que la paix et la démocratie soient assurées en Europe. Rappelons que le Loiret comptait trois camps d’internement pendant la Seconde Guerre mondiale : à Beaune-la-Rolande, Pithiviers et Jargeau. Plusieurs milliers d’enfants, d’hommes et de femmes y ont été détenus avant de rejoindre, pour une grande partie, le camp d’Auschwitz.

Photographie prise lors de la visite du Dr J. de Morsier, délégué du Comité International de la Croix Rouge au camp de Jargeau le 1er juillet 1941. ©Cercil

Un devoir de mémoire qui prend du temps

Hannah Arendt, juive allemande, est contrainte de fuir la Gestapo en 1933. C’est ainsi qu’à 27 ans, elle vient s’installer à Paris pour les huit prochaines années de sa vie. Marina Touillez affirme que la France a été très lente dans son devoir de mémoire car elle a mis longtemps à s’y confronter. Si la majeure partie des pays d’Europe ont commencé ce devoir de mémoire dès les années 1960, la France ne l’a entamé qu’à partir des années 90. Marina Touillez parle d’ailleurs « d’oubli criant » pour ce qui est de la vie d’Hannah Arendt en France, associant cet oubli au déni français. « Je voulais lire cette histoire mais, comme elle n’existait pas, j’ai dû l’écrire ». 

Présentation de Marina Touillez sur son livre "Parias, Hannah Arendt et la tribu en France". Crédit : Jeanne Beaudoin
Marina Touillez présente son livre et la vie de Hannah Arendt. Photo Jeanne Beaudoin

Hannah Arendt, une paria en France

Hannah Arendt est « anticonformiste, d’une grande intelligence humaine et politique et très courageuse », assure Marina Touillez. Elle est une des premières à s’opposer aux nazis dès le début des années 30 en Allemagne. Celle-ci est très clairvoyante sur la montée de l’antisémitisme et du nazisme, pourtant, beaucoup d’intellectuels de l’époque la traitaient de « folle » car pour eux, « Hitler n’est qu’un bouffon » qui n’arrivera jamais au pouvoir. Elle s’engage rapidement dans la résistance et aide les Juifs et les opposants politiques à passer la frontière tchécoslovaque, tout en réalisant un travail de documentation pour prouver que le parti de Hitler est antisémite. « Elle veut combattre Hitler en tant que Juive dans le sauvetage des Juifs », souligne Marina Touillez. Dès 1933, elle est ainsi contrainte de quitter l’Allemagne et de s’installer à Paris en tant que réfugiée politique. 

Son arrivée à Paris est brutale, la population est très peu accueillante, les logements sont insalubres, sans compter le fait que la France interdit aux réfugiés de travailler si ceux-ci n’en ont pas l’autorisation. Autorisation presque impossible à obtenir. Hannah Arendt se définit comme une « paria » en France car celle-ci est confrontée à l’hostilité des Parisiens et des Juifs. Elle refuse de s’assimiler aux Parisiens et critique les « Juifs parvenus », ceux qui s’assimilent en critiquant et en écrasant leurs confrères « Juifs parias ». L’arrivée du nazisme au pouvoir en Allemagne a pour conséquence que tous les réfugiés politiques perdent leur nationalité allemande. Hannah Arendt affirmera alors perdre « son appartenance à la communauté humaine » et sa reconnaissance sociale. Cependant, elle garde de ces années françaises ses amitiés, qui sont pour elle l’antidote au totalitarisme. Elle crée alors sa « tribu », sa « patrie portative », comme elle aime à le dire, avec qui elle passe son temps dans les troquets parisiens à rêver d’une Allemagne antifasciste. Ces années ont beaucoup inspiré la philosophe dans la suite de sa vie.


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