Pour fêter ses quarante ans de musique, Angélique Kidjo sort un nouvel enregistrement, Mother Nature, et fait une tournée européenne de promo. Elle a rempli mardi soir la salle Touchard à ras bord, et ce n’est que justice. Sa prestation, exceptionnelle, a fait circuler une énergie d’enfer dans un jeu émouvant avec le public enthousiaste.
Angélique Kidjo. Photo Sofia and Mauro
Par Bernard Cassat.
D’abord deux reprises, des Talking Heads revus par la tradition sub-saharienne, puis de l’immense Fela Kuti, celui qui a marqué toute la musique africaine. C’était déjà donner sa conception de la musique comme un carrefour, un croisement, une multiplicité de références qui se mélangent en elle et qu’elle ressort malaxés par son appartenance africaine. Mais aussi européenne, et dans Mother Nature, on rencontre M et Sting. Alors qu’elle vit aux US, qu’elle parle plusieurs langues africaines, le fon paternel, le yoruba maternel, le swahili entre autres. Elle a d’abord percé dans le monde du jazz au festival de Montreux, puis elle a évolué dans ce continent sonore qu’on appelle « World music » parce qu’il est indéfinissable, et heureusement.
Angélique Kidjo. Photo Marc Arthur Kidjo.
Et en effet, après ces deux premières références qui lui ont permis de bien s’installer sur scène – car même les grandes dames ont besoin d’un moment pour être à l’aise – , après avoir jeté sa coiffe-turban et s’affirmer dans tout son naturel, elle a rendu un vibrant hommage à la reine de la salsa Celia Cruz qu’elle avait vue au Bénin avec ses copines. Une femme dans ce monde musical béninois d’hommes, une chanteuse leader avec un costume de paillettes. Ça l’a convaincue qu’elle aussi, elle pouvait. Surtout que son père lui répétait que « le talent comme le cerveau n’a pas de sexe ». Et sa mère par ailleurs lui instillait la nécessité de la joie.
Une chanteuse de jazz d’abord et avant tout
D’où une Angélique remontée comme un ressort, boule d’énergie qui chante aussi bien qu’elle danse. Qui sait moduler sa voix, chuchoter au micro ou monter dans le ciel comme un aigle planant, crier son plaisir des sons mais toujours juste, précise, là où il faut. Cette qualité de chanteuse, et là elle est vraiment jazz woman, elle la possède au point de ne plus y faire attention pour jouer comme une gamine avec ses musiciens, les pousser dans leurs retranchements, les exciter.
Angélique Kidjo. Photo Marc Arthur Kidjo.
Notamment son combo rythmique et sa force de frappe. David Donatien aux percus et Gregory Louis à la batterie jouent formidablement le jeu et s’éclatent vraiment, souvent perdus tous deux dans des sourires béats de beat. Mais Angélique n’est pas en reste avec son pianiste Thierry Vaton, qui sait prendre la main quand la voix a besoin d’un peu de repos.
Elle chante l’Afrique, bien sûr. Parce que ce sont ses gènes. Mais aussi des thèmes plus généralistes. Elle dénonce, dans des paroles directes et très personnelles, le règne de la haine. Et souhaite la bonne entente avec l’autre. Ses mots ne sont pas nouveaux, mais elle les dit de manière touchante. Et on sait qu’elle agit aussi dans ce sens, par exemple avec sa fondation Batonga pour que les enfants restent scolarisés après la scolarité obligatoire.
Un phénomène scénique
Elle est à l’aise dans ces mots chantés dans toutes les langues, dans ces longues reprises d’une seule phrase, toujours la même mais toujours différente, qu’on voudrait sans fin et que seuls les Africains savent vraiment faire vivre. Et elle a transformé la salle en un chœur qui lui donnait la réplique. Le public absolument emporté, debout, chantait la larme à l’œil, rempli de cette émotion magnifique qu’Angélique a réussi à installer en un tour de voix. Elle continuait à danser, précise autant dans les sons que dans les mouvements, trois gestes de main en double croche, un jeté d’épaule, un sourire aguicheur. Une soirée rare de simplicité et d’émotion vraie. Auteure, compositrice et interprète, Angélique est une très grande dame. Elle a beaucoup donné pendant une heure et demie à Orléans qui lui a bien rendu !