Une Préfecture d’Indre-et-Loire de plus en plus coupée des réalités

Ce mercredi 16 octobre, à l’appel d’Utopia56 Tours, un rassemblement était organisé devant les locaux de la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS) pour alerter de la situation de dizaines de jeunes mineurs exilés qui se retrouvent à la rue, les autorités n’assumant pas leur obligation de mise à l’abri.



Par Joséphine.


Une attitude de la Préfecture à géométrie variable

Utopia56 Tours pallie depuis maintenant plus de sept ans, sans subventions, les manquements des institutions en Touraine en coordonnant l’action de nombreux citoyens et bénévoles pour prendre en charge le quotidien des jeunes exilés (santé, hébergement, cours de français, démarches juridiques, activités culturelles et sportives).

« Actuellement, l’association Utopia 56 à Tours héberge 60 jeunes et en accompagne 70. Pourtant, depuis le début de l’été nous sommes contraints d’installer des jeunes en toile de tente. En l’espace d’une semaine, trois jeunes ont été refusés et remis dans la rue par le Département d’Indre-et-Loire. En l’espace d’un an, ce sont 8 jeunes filles qui ont également été mises dans la rue par le département. Nous alertons depuis plusieurs mois, pour ne pas dire années, sur la saturation de nos hébergements solidaires et sur l’abandon de ces jeunes par les institutions. Faute de solutions, nous distribuons des toiles de tente aux jeunes qui se présentent. Symboliquement, les jeunes ont décidé de s’installer aux abords du Conseil Départemental. Une fois de plus c’est à nous, militant.e.s, bénévoles, citoyen.ne.s que revient l’horrible tâche de regarder ces jeunes droit dans les yeux chaque fin de journée, pour leur demander de regagner leur abri, leur tente et de les voir arriver transis de froid le matin après une nouvelle nuit dans la rue ».

La DDETS fermée ce mercredi après midi

Et face à cette situation, la Préfecture n’a rien trouvé de mieux que de demander aux agents de la DDETS de ne pas venir travailler ce mercredi après-midi, arguant dans un mail lunaire d’une étonnante « mesure de sécurité », précaution tout à fait injustifiée vu le passé de l’association : pas un débordement, pas une violence, pas un refus de s’asseoir autour de la table avec les autorités pour faire avancer les sujets urgents. Il semble donc que l’objectif de cette fermeture préventive des locaux de la DDETS soit qu’aucune délégation d’Utopia ne puisse être reçue, alors même que cette association est un interlocuteur local incontournable. D’autant plus incontournable que son action permet de protéger les exilés tout en évitant qu’ils soient les proies de réseaux de délinquance, de prostitution, de marchands de sommeil ou de travail au noir, protégeant ainsi également la société de ces fléaux. Estomaqués, les responsables d’Utopia56 Tours déclarent ne pas comprendre cette attitude.

On se souvient pourtant que M. le Préfet était moins sur la défensive quand il s’agissait d’aller discuter et boire des cafés sur les rassemblements des agriculteurs en colère il y a quelques mois, alors même qu’eux avaient commis des dégradations de bâtiments préfectoraux et représentaient de réels sujets d’inquiétude pour l’intégrité des agents. À croire que les « mesures de sécurité » varient en fonction des manifestants… ou de l’agenda du gouvernement.

Le secteur social, le caillou dans les rangers du Préfet 

En fait, cela fait un an et demi que les relations se tendent entre le Préfet Patrice Latron, les acteurs associatifs, les élus de gauche et la DDETS.

On se souvient, dans des articles de ces derniers mois, que la Préfecture n’était plus dans les clous en ce qui concerne l’hébergement des demandeurs d’asile via les CADA (lire l’article du 11 janvier 2024), et ce alors que le gouvernement purgeait la région parisienne des populations les plus précaires afin de faire place nette pour cette « formidable parenthèse enchantée des JO », mettant nombre de petites collectivités territoriales en difficulté et provoquant une sorte de jeu des chaises musicales de la misère, jetant à la rue des dizaines de déboutés du droit d’asile. Phénomène qui va d’ailleurs se renforcer vu les annonces d’économies sur le dos des exilés dans le futur budget du gouvernement d’union des droites de Michel Barnier

Dans la même dynamique (article du 2 novembre 2023), la Préfecture avait également fait place nette dans les dossiers de titres de séjour, enterrant des dizaines de demandes, plongeant nombre de personnes dans de grandes difficultés, sans avoir même de récépissé qui confirme leur demande de titre et qui peut les couvrir en cas de contrôle de police ou leur permettre ensuite d’initier des recours.

Droite dans ses bottes, la Préfecture continue sa communication, affichant des augmentations de places dans le domaine de l’hébergement d’urgence, sans assumer rester bien en dessous des besoins, notamment pour la mise à l’abri de familles avec des enfants en bas âge qui dorment dehors. Ainsi, la commune de Tours et la Métropole pallient régulièrement ces manquements en finançant des nuitées dans des hôtels. 

Idem, il y a quelques jours, lors de la séance annuelle de questions des conseillers départementaux d’Indre-et-Loire au Préfet, ce dernier a balayé d’un revers de main toutes les interrogations sur les sujets migratoires, renvoyant la responsabilité aux collectivités et acteurs associatifs, tel un Bruno Le Maire qui fait la leçon après avoir cramé la caisse. Il assume sans état d’âme des OQTF sur des mineurs exilés une fois devenus majeurs, arguant que de toutes manières il y avait des doutes sur leur âge à leur arrivée, mettant quelque part en cause des décisions de justice administrative… Interrogé sur le manque de places dans l’hébergement d’urgence ? La faute aux associations qui n’ont pas répondu aux appels à projet. Les moyens ne sont pas suffisants ? On proposera de l’hébergement de moindre qualité encore pour augmenter le nombre de places de fortune. Tout ceci doublé d’un discours ampoulé sur la « République généreuse ».

L’alliance du sabre et du tableur Excel

Du reste, cette chasse aux dépenses est devenue désormais une obsession, tous les services publics étant suspectés d’être des flambeurs hors de contrôle, et ce alors que le RN joue à fond de cette paranoïa, entretenant par exemple le mythe des migrants clandestins profitant des « largesses » de notre système de santé, justifiant selon les lepénistes la suppression de l’aide médicale d’État (AME).

Pourtant, selon des sources internes au CHRU de Tours, les médecins ne font que leur travail, respectant le serment d’Hippocrate ; et les services sociaux, sous pression, composent depuis des années avec la contrainte budgétaire et réglementaire :

« Franchement on arrive à des trucs complètement dingues : des soignants demandent s’ils peuvent intervenir ; si la personne est couverte ! Pourtant, en aucun cas la situation administrative ne doit entrer en compte. Le CHRU n’est absolument pas plus souple qu’ailleurs. Mais depuis les JO il y a eu énormément de déplacements des sans papiers nécessitant ses soins dans les hôpitaux de périphérie de la région parisienne. »

Bref, on le voit, la Préfecture continue de s’enfoncer peu à peu dans les affres de la bureaucratie, court-circuitant le dialogue avec les interlocuteurs habituels, coupant les fonctionnaires du terrain et considérant la société civile et les élus comme des obstacles à l’accomplissement de la seule chose qui vaille : tenir le budget et obéir à un gouvernement désormais sous influence directe de l’extrême-droite, avec la promesse d’une nouvelle loi immigration dans quelques mois, la 119ᵉ du genre depuis 1945. Et cela, dans un contexte de tension interne accrue entre la direction de la Préfecture et ses agents depuis que ces derniers ont appris en plein cœur de l’été par un simple courriel qu’ils n’auraient plus de fournitures, de formations ou de prise en charge de leurs déplacements professionnels jusqu’à la fin de l’année. Sans autre forme d’explication.

Mais qu’importe, nos dévoués serviteurs de l’État à la tête de la Préfecture seront là vaille que vaille pour appliquer la moindre exigence d’un gouvernement issu du rassemblement de partis politiques ayant perdu les législatives de juillet dernier. Sans la moindre question, le petit doigt sur la couture du pantalon, la conscience tranquille.

Commentaires

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  1. Le préfet est certes “retaillable” comme l’écrit Hervé Rigault. Il est aussi passible de voir sa responsabilité mise en cause pour le délit de mise en danger de la vie d’autrui. Comme la situation des mineurs isolés (bébés, enfants, adolescents…) est identique partout en France, des plaintes déposées simultanément contre le représentant de l’Etat dans tous les départements serait de nature, non pas à enrayer cette politique inhumaine, mais au moins, à en limiter les dégâts.

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