Ancien infographiste de France 3, Philippe Tarral est prof de dessin à l’ESAD d’Orléans. Féru d’histoire et adepte du dessin au trait à l’ancienne, il est une des références des plus grandes maisons d’éditions de bandes dessinées. En cette année de commémorations, il a sorti chez Grand Angle un album sur Grenoble au temps de la résistance dans la collection Les Compagnons de la Libération. Entretien.
Propos recueillis par Estelle Boutheloup.
Mercenaires de la guerre de Cent Ans, chevaliers du mythe arthurien, pilotes de l’aéropostale, cavaliers-postiers du Poney Express… Les héros et les grandes fresques historiques ont l’air de vous faire vibrer, ils sont le moteur de vos albums ?
L’Histoire à période précise et crédible, voilà mon univers. Raconter une histoire fictive sur la base de faits réels. Comme encore là récemment. J’ai démarré une collection chez Bamboo/Grand Angle, Les Compagnons de la Libération, pour laquelle j’ai déjà publié deux albums : un premier, avec la scénariste et historienne Catherine Valenti, qui met en scène Pierre Messmer, figure très engagée : c’est l’un des tout premiers à rejoindre de Gaulle à Londres, il n’était pas d’accord avec l’Armistice… Il fait partie de ces mecs qui ont entendu les balles siffler. Et un second, sorti en juin, qui met en scène cette fois-ci la ville de Grenoble. Les « Compagnons de la Libération » est un ordre créé par le Général de Gaulle en 1940 mais pas que. Il a aussi désigné cinq villes « Compagnons de la Libération » : Paris, Vassieux-en-Vercors, Nantes, l’Ile de Sein et Grenoble, qualifié de « capitale de la Résistance » par Radio Londres. Ayant fait mes études aux Beaux Arts, je connais bien la ville pour la dessiner et la raconter à partir du scénario de Jean-Yves Le Naour, historien des deux Guerres.
Vous pouvez nous en résumer l’histoire ?
Une collégienne doit faire un travail sur la résistance. Elle rencontre un vieux résistant acariâtre dans un EHPAD qui va l’emmener en ville et lui expliquer ce qui s’est passé. Tous les flashbacks sont en couleur sépia : ici dans un immeuble où la Gestapo a torturé, là, dans l’ancien bureau du STO dans le centre historique, ou encore dans une ancienne brasserie où une bombe a explosé… Et lui, vous le reconnaissez ? L’abbé Pierre, le grand vicaire de la cathédrale qui faisait passer des Juifs en Suisse.
Guerre de Cent Ans, Révolution américaine de la fin du 18ᵉ siècle, Grande Guerre, naissance de l’aéropostale… Comment travaillez-vous pour être au plus juste et au plus près des contextes historiques ?
Raconter avec des images c’est un exercice compliqué ! Les historiens écrivent l’histoire, le scénario et le découpent page par page pour donner vie aux personnages. Moi, il me faut des docs, des docs et encore des docs : on ne raconte pas de la même façon Jeanne d’Arc, John Wayne et Napoléon sur un cheval ! Cela passe par la recherche de photos d’époque, des reconstitutions historiques, fichiers 3D, images de l’INA, s’imprégner de la physionomie de la ville… J’ai fait aussi des recherches sur les armes comme la Sten, la mitraillette légendaire des résistants.
Passionné d’histoire, Philippe Tarral aime traiter des héros. Le Journal (Ed.Grand Angle) évoque ces cavaliers au temps du Poney Express dans l’Ouest américain. Photo Ph.T.
Comment est arrivé cet attrait pour le dessin ?
Je dessine depuis petit comme mon père et mon grand-père… certainement un petit don dans la famille. Je me rappelle au CP mon père me dessinait des vaches et je recopiais… Et puis la vache est devenue un cheval, un cow-boy… En grandissant, j’ai lu Hergé et découvert d’autres dessinateurs. Et puis il y a eu cette sortie en 5ᵉ : la prof de français nous emmène voir une exposition sur le western à Longwy avec la comparaison entre le réalisme et humour. Là, je découvre Giraud. Suivra la sortie en 1976 du premier fascicule de l’histoire de France en BD chez Larousse, un tous les deux mois en kiosque, des Gaulois à l’élection de Giscard. Je découvre alors encore d’autres dessinateurs comme Raymond Poïvet, Philippe de la Fuente, mais aussi Milo Manara… Et à 18 ans, j’intègre les Beaux Arts de Grenoble pour me rapprocher de l’Éditeur Glénat….
C’est tout cela qui vous a donné envie d’aller dans le dessin réaliste, le dessin au trait ?
Oui. Un trait noir sur du papier blanc, ça ramène à l’idée des dessins rupestres, au charbon sur les parois. Par ailleurs, j’ai toujours eu une fascination pour les hiéroglyphes. L’écriture commence par l’image. J’aime dessiner le trait au feutre ou au stylo à bille et les couleurs faites à l’aquarelle… c’est plus sensible, plus artistique, ça allège le dessin.
Puis repasser au pinceau avec de l’encre de Chine. Et non aux feutres comme font les étudiants d’aujourd’hui et pas sur une tablette graphique. Je me sens plus habile, je dessine d’abord le cadre au pinceau et à la règle, très fins, et les cercles de 2 mm au pinceau. Un pinceau, un porte-plume, un flacon d’encre, une boîte d’aquarelles… c’est beau !
Un album en appelle toujours un autre, quel sera le prochain pour vous ?
Je vais travailler avec un autre éditeur et d’autres scénaristes sur La Brigade Piron, une unité qui a combattu en Normandie et participé à la libération de la Belgique, et sur Les Demoiselles de Gaulle, jeunes françaises qui sont intervenues à la fin de la guerre : elles aidaient, faisaient de l’humanitaire tout en ayant reçu une formation militaire. Étant de Longwy, c’est une période qui m’a marqué. Ado, les repas de famille étaient nourris de ces histoires : le manque de nourriture, des parents réfugiés en Gironde… Quant à faire une BD sur un héros local ? Pourquoi pas Jean Zay ou Jeanne d’Arc mais je remettrais en cause son histoire à laquelle j’ai du mal à croire… sujet tabou !
À lire et découvrir aussi
Le Crépuscule des Braves (Lombard), Les Héros Cavaliers et Casse-Pierre (Glénat), Le Courrier de Casablanca (Paquet), Orléans, des Carnutes à Jeanne d’Arc (Petit à Petit), Le Journal (Bamboo).
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