« All We Imagine as Light » : une magnifique plongée dans la vie de trois femmes indiennes

Le film de Payal Kapadia All we imagine as light fait le portrait de trois femmes indiennes vivant à Mumbai. Trois âges de la vie, mais une même difficulté à trouver son salut, sa lumière. Un film de femmes modernes, une très belle œuvre riche, complexe et lumineuse.

Prabha (Kani Kusruti). Photo Condor Distribution.



Par Bernard Cassat.


L’Inde, un milliard quatre cents millions d’individus, est un pays de foules. Payal Kapadia nous fait entrer dans son récit par des images de foules. La caméra saisit le travail incessant des marchés de nuit à Mumbai, puis atterrit dans une gare. Elle glisse sur les rangs serrés de gens qui sortent d’un train. Et reviendra souvent sur des images filmées dans la rue, pour camper le plus possible la réalité de la ville, sa complexité, son oppression, l’importance des transports vu l’étendue de la ville, et la violence constante de la pluie pendant la mousson. Le bleu des plastiques de protection domine largement la première partie. Très loin d’un discours touristique, ces images permettent à Payal d’atteindre les personnages de son histoire.

Prabha, une femme d’une quarantaine d’années au beau visage sérieux (Kani Kusruti), accrochée à une barre de train de banlieue, s’en va travailler. Dans un univers là encore bleu, celui des blouses d’hôpital. Mais à l’inverse de scènes extérieures, les plans s’approchent des personnages, deviennent très précis. Le regard de Prabha, immense et magnifique, emplit l’image lorsqu’elle soigne une femme âgée. Son empathie et son dévouement transparaissent derrière sa rigueur.

Prabha, Anu et l’autocuiseur. Photo Condor Distribution.


Elle partage un appartement avec une autre infirmière plus jeune, Anu (Divya Prabha). Dans leur tout petit lieu de vie, filmé en gros plans, elles dévoilent petit à petit leurs histoires. Prabha, originaire d’une petite ville loin de Mumbai, a été un jour mariée par ses parents à un homme qu’elle ne connaissait pas, et qui est très vite parti travailler en Allemagne. Elle a ensuite émigré dans la grande ville. Et depuis elle vit seule, mais s’interdit toute vie affective. Elle ne se permet aucun espoir dans ce domaine. Elle repousse même les avances d’un médecin qui pourtant ne la laisse pas indifférente. Alors qu’elle se sent seule. Elle reçoit un autocuiseur d’Allemagne, envoyé par son mari. Assise par terre dans sa cuisine, comme souvent en Inde, elle l’entoure de ses bras et de ses jambes dans une magnifique séquence, comme elle le ferait d’un homme.

Anu rêve souvent à autre chose. Photo Condor Distribution.


Anu, elle aussi venant de la campagne, a peur qu’il lui arrive la même chose. Plus légère que son amie, plus cigale, elle a rencontré un homme qui lui plait, mais qui est musulman. Le poids de la société est énorme sur cette question religieuse, l’interdit règne encore. Avec son copain, elle n’arrive pas à trouver de moments d’intimité.

Le problème du logement dans la métropole

Une troisième femme plus âgée, qui travaille aussi à l’hôpital, amie de Prabha, est prise dans un problème crucial à Mumbai. Les promoteurs achètent du vieux, démolissent et reconstruisent pour d’autres. Parvati (Chhaya Kadam) n’a pas de papiers pour justifier la possession de son bien. Son mari est mort, elle est seule et se fait virer de son appartement.

Anu et son amoureux. Photo Condor Distribution.


Dans une deuxième partie, le film entraine ces trois femmes dans un voyage vers le village d’origine de Parvati. Autre ambiance, autres couleurs. Le rouge prend le dessus, le rouge de la terre. Et c’est là que toutes trois vont trouver leur propre lumière, comme l’indique le titre. Parvati rentre chez elle. Et Prabha vit enfin une sorte de libération, une aventure qu’on ne sait pas tout à fait si elle est réelle ou non. Un homme presque noyé est trouvé sur la plage. Elle lui insuffle la vie par un bouche-à-bouche médical mais aussi très sensuel. Et cet homme, on le comprend, va prendre la place de son mari. Pendant ce temps, Anu et son amoureux trouvent enfin un endroit pour s’assembler, une grotte mystérieuse avec des visages sculptés dans la roche rouge.

Vers la lumière, vers l’espérance

Ces trois femmes, à trois âges de la vie, prennent vraiment leur destin en main. Dans cette société très prégnante, avec beaucoup d’interdits et de difficultés pour les femmes, elles trouvent des solutions qui rendront leurs vies meilleures. Ce n’est pas tout à fait une happy end, juste un grand espoir salvateur.

Sur une bande son magnifique du début à la fin, ces trois portraits de femmes, précis mais gardant du mystère, passionnants par leur complexité et leur représentativité, apportent un très beau témoignage sur un pays que l’on connait mal. Par son discours cinématographique riche et maîtrisé, Payal Kapadia inscrit son film dans les œuvres qui comptent, d’ailleurs récompensé par le grand prix de Cannes 2024.

Petit chaos, société de production orléanaise

Payal Kapadia était venue le 20 juin dernier présenter son travail en avant-première au cinéma Les Carmes. Accompagnée par ses deux producteurs, Thomas Hakim et Julien Graff, qui ont fondé la société orléanaise de production Petit Chaos, soutenue par Ciclic, également présent lors de cette avant-première.

Magcentre avait rencontré Petit Chaos.


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