De la minute de silence, aux cérémonies de commémoration en passant par toute la tradition de l’enseignement de l’histoire, Sébastien Ledoux, maître de conférence à l’Université de Picardie, spécialiste des questions mémorielles, a proposé le temps d’une soirée au Cercil d’Orléans d’explorer le thème du devoir de mémoire.
Par Asmaa Bouamama.
La mémoire, un pilier de l’ordre social
Au fil des siècles, la préoccupation pour la mémoire a évolué, sa fonction aussi. Sébastien Ledoux décrit un contrat social qui s’est érigé autour de ces divers rituels, qui a pour objet de rassembler les nations et de faire symbiose en rendant hommage aux victimes des guerres. Si à une époque ancienne la conscience collective tendait à considérer qu’il fallait oublier les conflits pour oublier et avancer, aujourd’hui c’est l’inverse. Sébastien Ledoux place ce point de retournement de paradigme dans les années 1980. « C’est le devoir de mémoire et de l’entretien de cette mémoire qui vient pacifier la société et non l’oubli », explique-t-il au public venu assister à cette conférence. « Et il y a une intime relation entre la mémoire et la justice », ajoute-t-il. L’hommage a pour but de faire perdurer une conscience et un ordre social qui structure la culture. Par ces rappels on peut deviner l’angoisse collective de voir ressurgir les conflits ayant mené aux guerres et aux massacres. Les rituels de mémoire sont l’écho de la conscience qu’un contrat social doit entretenir.
Le risque d’un moralisme
À travers ces devoirs cérémoniels il y a un risque : celui de la désobéissance et du refus de l’hommage. On ne compte plus le nombre de minutes de silence refusées ou les sifflements lors des hymnes nationaux, des actes qui résonnent toujours comme une profanation. Sébastien Ledoux souligne le risque d’un moralisme et d’un prêt-à-penser mémoriel, qui deviendrait paradoxalement le dernier espace de revendication de ceux qui se sentent écartés de cette union nationale ou mondiale. Il évoque les positions du philosophe Paul Ricœur, qui défendait qu’à travers le travail de mémoire, il y a un travail de deuil. Et que c’est en vivant avec le passé qu’on parvient à s’en libérer et à lui donner un sens. Seulement ces notions semblent devenir progressivement obsolètes et échouent à rassembler les générations et les consciences. « On a oublié les interactions sociales, déplore Sébastien Ledoux, on a tendance à croire que le message va être reçu mais le message dépend aussi des représentations sociales des individus ». Le piège des commémorations et du silence religieux qu’elles imposent est que le dialogue social en vient à manquer, et les élaborations psychiques et symboliques se trouvent empêchées.
Image d’illustration : source Pixabay
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