Les « Rhinocéros » envahissent le théâtre Olympia à Tours

Bérangère Vantusso, nommée à la Direction du CDN tourangeau en début d’année, présente sa dernière création, d’après le texte d’Eugène Ionesco écrit en 1959, du 24 septembre au 4 octobre, soit une dizaine de représentations. Magistral !



Par Bernard Thinat.


La metteuse en scène assistée de Nicolas Doutey, artiste associé au CDN, ont imaginé un mur blanc en fond de scène, composé de très nombreux petits cubes, certains tomberont en cours de spectacle, d’autres sont disséminés sur le plateau, acteurs et actrices les utiliseront au gré de leurs envies, enfin quelques-uns se briseront tels les mots de l’auteur franco-roumain dans ce qu’on appelle le « théâtre de l’absurde » dont il fut le plus digne représentant, avec Beckett, quoique ce dernier refusât l’appellation.

Rhinocéros – Photo Ivan Boccara

La pièce

Ils sont six sur le plateau, 4 hommes, 2 femmes. Bérenger (Thomas Cordeiro très investi dans le personnage), pivot de la pièce, est une sorte d’ivrogne, tancé par son copain Jean (interprété par Simon Anglès). À l’autre bord du plateau, un logicien manie le syllogisme (formidable Boris Alestchenkoff) avec ses chats à 4 pattes, ou 2, ou 6 pattes, comparant Socrate à un chat puisque l’un et l’autre sont mortels. Le royaume de l’absurdie bouillonne d’idées !

Soudain, sans crier gare, la première bête à corne traverse l’imaginaire, puis un second rhino. Est-ce le même ? L’un n’avait qu’une corne, le second deux, ou c’est l’inverse, allez savoir, mais une corne avait pu tomber, ou l’autre repousser… Et c’est le drame : un chat est écrasé ! (la crise de désespoir de Tamara Lipszyc relève de la très haute performance).

Rhinocéros – Photo Ivan Boccara


Au troisième acte, Béranger reste avec celle qu’il aime, Daisy, mais qui disparaît inéluctablement. Il ne restera plus à Bérenger, seul sur le plateau qui s’est irrésistiblement réduit devant l’avancée du mur de cubes, qu’à s’interroger sur la façon de parler aux autres, mais avec quel langage ? Du moins, le proclame-t-il, il résistera, il ne capitulera pas !

Très belle musique originale, accompagnant notamment les artistes lors des va-et-vient sur scène, à la démarche mécanique tels des pantins qu’ils deviendront au final (sauf Béranger).

Son analyse

Lorsque les habitants se transforment les uns après les autres en pachydermes, on pense alors à « Métamorphose » de Kafka. La pièce de Ionesco, pas si absurde qu’on l’écrit, est une métaphore du suivisme, de l’abandon de toute résistance devant un leader, un chef, peut-être un führer. À la question que se pose Béranger : « Dans quelle langue dois-je leur parler ? », on pense aux responsables politiques de gauche qui ne savent plus comment parler aux électeurs d’extrême droite.

Rhinocéros – Photo Ivan Boccara


On peut, certes, regretter que les différentes coupes aient effacé les références aux totalitarismes du XXᵉ siècle, mais Bérangère Vantusso indique sa volonté d’avoir « dépouillé (la pièce) d’une certaine théâtralité d’après-guerre », pour la ramener à « un fait humain et social général, qui peut arriver à toute époque ». Partant d’une situation comique avec les histoires du logicien, le public finira par plonger au final dans le drame, celui de Béranger, laissé seul face aux cubes blancs avançant vers lui pour l’étouffer, sorte de cellule psychiatrique ou de prison. D’ailleurs, n’est-ce pas ce qui se passe dans la réalité : on commence par rire d’un moustachu ou d’un bandeau noir, pour s’apercevoir, trop tard, de la vague de la bête immonde qui déferle, comme disait Brecht.

Formidable ovation du public lors des saluts.

Rhinocéros
Texte d’Eugène Ionesco
Mise en scène Bérangère Vantusso
Adaptation et dramaturgie Nicolas Doutey
avec
Boris Alestchenkoff, Simon Anglès, Thomas Cordeiro,
Hugues De la Salle, Tamara Lipszyc, Maika Radigalès
Collaboration artistique : Philippe Rodriguez-Jorda
Assistanat à la mise en scène : Pauline Rousseau
Scénographie : Cerise Guyon
Création lumière : Anne Vaglio
Création musicale : Antonin Leymarie
Création son Grégoire Leymarie
avec la participation à la bande son
Matthieu Ha (voix), Giani Caserotto (guitare),
Fabrizio Rat (piano),
Adrian Bourget (mixage et traitement en direct)
Costumes : Sara Bartesaghi-Gallo assistée d’Elise Garraud

Le site du Centre Dramatique National de Tours

La programmation

Bérangère Vantusso, Directrice du CDNT

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