« Les graines du figuier sauvage » : une famille sous la dictature islamique

Après Un homme intègre en 2017 et Le diable n’existe pas en 2020, le réalisateur iranien Mohammad Rasoulof a de nouveau été emprisonné, alors que Mahsa Amini se faisait assassiner par la police et que naissait le mouvement Femme Vie Liberté. Une discussion avec un de ses gardiens, qui lui a confié avoir envie de se pendre à la porte de la prison, l’a fait partir sur un nouveau scénario. Qui deviendra Les graines du figuier sauvage, œuvre admirable, essentielle.

 

Iman (Misagh Zare) et sa femme Najmeh (Sohella Golestani), le couple parental. Photo Pyramide Distribution.



Par Bernard Cassat.


Une famille de deux enfants, deux filles lycéenne et étudiante. Un certain niveau social, deux voitures et un bel appartement, quoique les deux sœurs vivent dans la même chambre. Une très grande partie du film se passe dans l’appartement. Rasoulof décrit méthodiquement les rapports de cette mère avec ses deux filles, son rôle dans la famille, qui va de la surveillance des filles aux soins à son mari, quand il est là. Une femme qui ne vit que par et pour sa famille.

La fille aînée Rezvan (Mahsa Rostami), sa sœur Sana (Setareh Maleki) et leur mère Najmeh (Sohella Golestani). Photo Pyramide Distribution.


Rien n’est manichéen chez Rasoulof. Il prend le temps de construire des personnages qui vivent, subissent, incarnent le fonctionnement du système de la dictature, la banalité du mal. Iman, le père, un « homme droit », signe des arrêts de mort de jeunes contestataires parce que ses supérieurs lui ordonnent de le faire. Il est tiraillé par la gravité de cet acte, mais le fait. Les scènes sur son lieu de travail montrent un couloir ponctué à chaque porte par une silhouette en carton d’un homme la main sur le cœur. Formidable trouvaille visuelle !

Faire exister la dictature islamique

Le film commence par la signature d’un bordereau de réception de balles de revolver. En gros plan, une feuille et un stylo poussés par une main. Une autre main avec son propre stylo signe la feuille. Puis les balles tombent sur la signature. Puissance de ces images, qui ne prendront toute leur force qu’au fur et à mesure du film. A posteriori, on comprend qu’il a signé son arrêt de mort. Mais aussi que la dictature fonctionne avec du pouvoir sans visage.

Rasoulof concentre progressivement la violence du pays, de cette dictature qui massacre ses jeunes, à l’intérieur de la famille. C’est là la force du film. Les trois personnages de femmes vont petit à petit s’affronter. Les deux filles, bien sûr, suivent sur leurs portables les événements, dont on voit de nombreux extraits sortis des réseaux sociaux. Des massacres, des violences inouïes. Et la fille aînée recueille son amie qui s’est fait tirer dessus. La mère retire du visage de la jeune fille les chevrotines. Mais en même temps, affirme que pour être dans cet état, elle a dû faire quelque chose de mal. « Se promener toute nue », ce qui veut dire sans foulard. Pour garder son niveau social, son statut, elle ne dira jamais rien contre le système. On est au cœur du fonctionnement de la dictature.

Le deuxième pistolet. Photo Pyramide Distribution.


Le scénario se développe autour du pistolet que le père ne retrouve pas. S’il le déclare perdu, il risque la prison et la radiation de son travail de juge. Lorsqu’il s’en aperçoit, il est pris d’une telle panique que la caméra, pourtant si calme à l’intérieur de l’appartement, soudain se met à tournoyer, le montre inconséquent, fébrile, fou de peur. Il va devenir vraiment répressif à l’intérieur de la famille. Surtout lorsque son visage et ses coordonnées sont publiées sur le net par les « rebelles », qui justement personnifient la répression.

La dernière partie du film, forcément tragique, fait éclater les rôles. La famille se déchire violemment, le père tortionnaire, la mère prise dans sa responsabilité envers ses filles, les filles qui iront jusqu’au bout, jusqu’à l’effondrement final dans un village en ruines. Époustouflant, d’une puissante force visuelle, conclusion d’une œuvre qui ne conclue pas le débat.

Le couple se déchire dans un village en ruines. Photo Pyramide Distribution.


Rasoulof maîtrise son propos du début à la fin, dans une tension sans faille pendant les trois heures nécessaires à son propos. Travail essentiel d’une équipe qui risque sa vie en construisant cette fiction monumentale sur les rouages d’une dictature qui tue les hommes, les femmes et le pays. Chef-d’œuvre artistique et acte éminemment politique, ce film méritait largement la Palme d’or à Cannes.


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