[Billet de Joséphine]
À gauche, le poison de la division et une campagne de dénigrement permanent
À gauche, le rapport au RN est ambigu. Difficile de comprendre le processus à l’œuvre tant il y a disjonction entre le comportement électoral des citoyens, les discours des cadres politiques et la couverture médiatique. D’où la surprise de la construction et de la victoire relative du NFP en juillet dernier, totalement imprévue pour Emmanuel Macron et pour la presse. En réalité, la gauche additionnée pèse 11 millions de voix depuis 2022, en augmentation par rapport à 2017, une partie de l’électorat hollandien qui s’était reporté sur Macron en 2017 ayant compris progressivement la nature du projet politique du Marcheur.
Bien sûr, les médias aux mains des milliardaires et dans une moindre mesure le service public tapent sans cesse sur LFI et Mélenchon, usant d’outrances, de fakes, de petites phrases dénaturées censées jeter de l’huile sur le feu mais de fait, cela pèse peu sur les résultats. Idem pour les stratégies des appareils politiques : ni Roussel ni Tondelier ni la droite du PS Delga-Mayer-Rossignol ni Glucksmann ne réussissent à cornériser LFI et à récupérer ces électeurs perdus « trop à gauche » et censés épouvanter toute personne raisonnable réfugiée chez Macron.
Le plan mis en évidence au printemps dernier autour du millionnaire Olivier Legrain qui organisait des dîners avec d’influents quadras de gauche – Vallaud, Ruffin, Piolle, Autain et Corbière – pour préparer 2027 dans le dos de Mélenchon, semble continuer son cours, visiblement soutenu par les partis de gauche. PS, EELV et PCF ont beaucoup invité les ex-Insoumis exclus en juin dernier pour déloyauté à leurs universités d’été, multipliant tribunes et selfies pour leur mettre le pied à l’étrier, notamment lors des Journées des Écologistes à Tours. Petit jeu cynique et dangereux, ces mêmes partis ayant signé les accords de la NUPES en 2022 pour sauver des places à l’Assemblée, refusant ensuite la moindre place aux Insoumis lors des sénatoriales et refusant une liste d’union aux européennes, précipitant le naufrage du PCF et le choix de Macron de dissoudre pour tenter de profiter de la situation.
C’est d’ailleurs pour alimenter cette stratégie et exister que François Ruffin sort un livre ces jours-ci sur le supposé communautarisme voire racialisme de LFI et que Clémentine Autain fait le tour des plateaux pour raconter que Mélenchon ne veut plus de l’union de la gauche et qu’il faut la faire sans lui. Là encore, médias et éditocrates tournent en boucle sur ces quelques éléments de communication politique, mais il est loin d’être certain que les électeurs de gauche qui se sont mobilisés aux législatives intègrent ces discours grossiers ou en tout cas qu’ils acceptent de se faire déposséder de leur investissement politique et de leurs espoirs par quelques commentateurs ou politiciens ambitieux et tentés par la girouette.
Que faire avec le RN ?
Car là où on rejoint la question initiale de l’analyse du comportement des électeurs du RN, c’est sur la stratégie pour la suite. Bien sûr, les électeurs de gauche sont massivement unionistes, notamment les sympathisants LFI et de fait, la sociologie des différentes parties prenantes du NFP est une force qui permet d’additionner les groupes d’intérêts et la typologie des discours. Un PS réputé « raisonnable » et expérimenté, des Écologistes qui tiennent pas mal de grandes villes et qui séduisent une partie de la bourgeoisie urbaine, des Communistes avec un excellent maillage militant et des Place Publique qui drainent l’électorat social-libéral européiste. C’est un réseau puissant. Mais de fait, ces structures ont des angles morts dans l’électorat populaire et racisé. D’où le fait que ces partis cherchent à récupérer des ex-Insoumis censés être la caution de gauche de la future alliance, sans avoir à s’empêtrer avec Mélenchon et à faire des compromis ou céder des postes. Seulement voilà, Clémentine Autain, Raquel Garrido et Alexis Corbière – largement réélus en juillet, preuve de leur bonne implantation – peuvent-ils vraiment incarner légitimement et efficacement toute l’aile gauche du NFP ? La stratégie de Ruffin d’aller essayer de récupérer les électeurs perdus de la gauche passés au RN, vu ce que l’on a décrit plus haut, est-ce pertinent à long terme ? Ou au moins, est-il possible de discuter ce point sans sombrer dans l’hystérie et s’offrir en spectacle ? Et si tout cela aboutissait à une nouvelle rupture à gauche avec une candidature pseudo-unioniste face à une candidature LFI en 2027, qu’aura gagné la gauche à part dégoûter définitivement ses électeurs ?
L’union doit donc être la plus large possible, discipliné pour ne pas prêter le flanc à l’acharnement médiatique et… cette union doit aussi se poser la question de la stratégie pour vaincre le RN et ses supplétifs de la droite macroniste en fin de règne et de la droite libérale-conservatrice.
Et donc ? Comment gagner en 2025, 2026 ou 2027 ?
C’est d’ailleurs exactement le sens d’un billet de Manuel Bompard passé inaperçu cette semaine et qui constitue le socle des prises de position de Mélenchon depuis quelque temps. Dans ce billet qui s’appuie sur les analyses récentes au sujet de l’électorat RN ainsi que sur les résultats des derniers scrutins, la direction de LFI considère que sa priorité n’est pas d’établir des terres de mission auprès des électeurs lepénistes qu’il conviendrait de remettre dans le droit chemin, quitte, comme Ruffin, à faire des concessions et penser qu’en utilisant leur colère et leurs catégories de pensée, on les fera « revenir à gauche ». La priorité, avec le calendrier politique de ces prochains mois et le contexte très dégradé, avec cette union des droites en construction et son cortège de promesses d’austérité et de racisme décomplexé, est d’aller chercher les voix là où elles sont : chez les abstentionnistes, chez les jeunes, et dans les milieux populaires dits de banlieue, de grande ville ou non d’ailleurs. Il y a autant d’électeurs du RN que d’abstentionnistes, 13 millions. Si on pense en démocrate qui reconnaît dans chaque citoyen le libre arbitre et la libre détermination de son choix électoral, est-il plus pertinent et légitime d’aller tenter de convaincre les indécis et éloignés de la politique ou alors d’aller expliquer à des gens qu’ils sont immoraux et qu’ils se trompent ? Voilà, la question posée à la gauche. Et voilà des réponses potentielles qui font peur à la bourgeoisie conservatrice.
Stratégie immédiatement accueillie sous des cris d’orfraie par tous ceux qui n’ont pas intérêt à ce que la gauche gagne et fasse passer une partie de son programme économique. Sauf que les chiffres sont têtus et vu le rapport de force et l’agenda électoral, faut-il casser la gauche en deux ? Faut-il aller à la pêche aux trois millions d’électeurs macronistes qui ont fait barrage, mais en s’aliénant la frange la plus à gauche de l’Union ? Qui sert-on vraiment à force de confondre anti-racisme, communautarisme et électoralisme ?
De fait, le bloc dit central est en train de mourir, et le hold-up d’Emmanuel Macron depuis juillet dernier affaiblira potentiellement le vote barrage vu le mépris avec lequel il est considéré. Le moment est très complexe et il est possible que l’on assiste à une nouvelle forme de bipolarisation. Reste à voir si les gauches seront à la hauteur.