Sous vos yeux ébahis mesdames-messieurs, l’union des droites ! -Episode 1 : la marche au pouvoir du RN

[Billet de Joséphine]

-Préambule- On le sait depuis quelque temps maintenant grâce aux travaux des sociologues Benoît Coquard – « Ceux qui restent » – et Félicien Faury – « Des électeurs ordinaires » – ou du philosophe Michel Féher – « Producteurs et parasites » -, le vote RN n’est pas réductible à un vote de colère et de désespoir de la part de classes populaires perdues et abandonnées par la gauche, isolées dans la « France périphérique », jalousant les privilèges des habitants des métropoles. Ce que ces études universitaires montrent, c’est que la plupart des électeurs lepénistes sont des gens assez bien insérés socialement et économiquement, sûrs de leurs valeurs et assumant tout à fait leurs choix politiques. Vouloir y voir un troupeau de brebis égarées à qui il s’agit d’expliquer la vie avec pédagogie pour les faire retourner dans le droit chemin est d’un paternalisme et d’un irrespect qui pose problème politiquement et qui ne permet pas d’analyser avec justesse la situation et donc d’en tirer des enseignements stratégiques et tactiques. Quelles sont les attitudes des trois blocs face à cette réalité ?

Nikolic et Le Pen

Aleksandar Nikolic, tête de liste du Rassemblement national (régionales 2021) soutenu par Marine Le Pen, lors de la conférence de presse à l’issue de la visite du château de Villandry (37), le 10 juin 2021. Photo Elodie Cerqueira

Au RN, la France de l’effort contre la France des paresseux

Ce que montrent in fine les études sérieuses, c’est que les électeurs du RN sont très divers, tant sociologiquement que géographiquement et que les évolutions du discours du parti d’extrême-droite depuis 40 ans s’affine avec le temps, de manière tout à fait pensée, stratégisée et calibrée. De fait, le parti séduit par un discours en positif, il est loin d’être juste un réceptacle à mécontentement.

Des milieux ouvriers qui ont subi la désindustrialisation dans le nord-est à la petite bourgeoisie provençale, des commerçants et patrons de PME-PMI aux agriculteurs productivistes, tous se retrouvent autour de quelques schémas portés par le RN :

1) un très fort attachement à la valeur-travail, à l’idéal de vivre du fruit de sa production, de s’en sortir seul ou avec ses proches, sans rien demander à personne et hors de toute contrainte, d’où le triomphe de la figure du petit entrepreneur-artisan et les critiques de l’État fiscal qu’il s’agit de réduire, légitimant aussi la pratique du travail au noir

2) un fort attachement à la culture française et un sentiment d’appartenance au corps national conçu comme étant sur la défensive, menacé par d’autres groupes, d’où une peur du déclassement, du multiculturalisme et de la mixité socio-raciale subie

3) ces groupes menaçants sont analysés d’abord sous l’angle moral : ce sont des profiteurs, de flemmards, des parasites qui vivent sur le dos de ceux qui ont un vrai travail et qui produisent 4) ces profiteurs sont d’une part certaines « élites », notamment les intellectuels qui font profession de la critique et de la déconstruction de la culture française, et d’autre part les assistés, ceux qui vivent des allocs, les partisans du moindre-effort.

Les premiers profiteurs sont les fameux « wokistes » issus de milieux universitaires « islamo-gauchistes » qui passent leur temps à blablater en cassant la France, la virilité, les hétéros, les blancs, l’Histoire, les traditions, Michel Sardou et la côte de bœuf. Privilégiés des métropoles, déracinés passés par Erasmus, parfois expatriés, souvent peu attachés à l’identité nationale, toujours voyageurs, ils sont aussi les cadres supérieurs des entreprises mondialisées qui entendent faire de l’argent sans foi ni loi. Les seconds sont les étrangers qui viennent se la couler douce grâce à notre système de solidarité et de soins, les réfugiés qui ne fuient pas grand-chose, les sans-papiers à l’affût d’un mauvais coup, les ouvriers et travailleurs précaires immigrés qui font pression sur les salaires sous le regard gourmand des grosses boîtes qui accumulent ainsi les bénéfices.

Et ce schéma appelle une réponse finalement simple, très fortement teintée de racisme – omniprésent chez les électeurs du RN – : il s’agit de se débarrasser de ces profiteurs pour que mécaniquement, sans rien changer à son mode de vie, le bon travailleur français voie sa situation, son salaire et son pouvoir d’achat augmenter, comme il le mérite, lui « celui qui se lève tôt », lui qui « traverse la rue pour trouver du boulot », lui qui ne quémande pas « l’assistanat » mais qui demande juste des services publics de proximité.

Il faut que tout change pour que rien ne change

Et ce que Marine Le Pen a réussi à faire, c’est de rendre ce schéma conceptuel acceptable en réduisant les excès trop visibles des positions de papa, lui qui de par son passif fasciste « traditionnel » vomissait le judéo-bolchévisme des élites et accusait les juifs apatrides du monde de la finance et de la banque de plumer le populo. Purgé en façade d’un antisémitisme infamant et de la critique du monde de la finance et des puissances de l’argent, le RN est censé ne plus faire peur, et de fait, il a désormais toute sa place dans le paysage médiatique et totalise plus de 13 millions de voix. Tout l’enjeu de ces prochains mois pour Le Pen est donc de montrer sa capacité à être une force de gouvernement, d’où le pacte tacite avec la droite macroniste autour de Michel Barnier, d’où aussi la multiplication des dîners des cadres frontistes avec la fine fleur du monde économique, d’où enfin le changement de directeur général du RN pour accélérer le travail de formation de cadres afin d’éviter le fiasco de juillet dernier et la multiplication de candidats au mieux ridicules, au pire ouvertement racistes.

À suivre

 

Commentaires

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  1. Heureusement, Joséphine, qu’à la fin de votre billet vous indiquez “à suivre” parce que si l’extrême droite dont le groupe le plus important est le RN a progressé ainsi avec la cerise sur le gâteau par la constitution du gouvernement actuel c’est aussi parce que le système capitaliste a besoin de ces gens là pour “maintenir” son ordre et sa doctrine : toujours plus de profits par tous les moyens, et la venue de Macron “aux affaires” sert cette doctrine… à suivre .

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