Émilie Rousset a pris les rênes du Centre Dramatique National d’Orléans, le 1ᵉʳ juillet dernier. Magcentre l’a rencontrée dans les locaux du CDNO, elle s’est prêtée au jeu des questions/réponses, en se projetant sur l’avenir, le mot « partage » revenant sans cesse dans son propos.
Propos recueillis par Bernard Thinat.
Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis metteuse en scène, et je fais un travail théâtral depuis une dizaine d’années, qui s’écrit essentiellement à partir d’archives et de matières documentaires qui sont ensuite rejouées par des comédiens.
Qu’est-ce qui amène une metteuse en scène à vouloir diriger un théâtre, et notamment un CDN ?
C’est ma première direction. C’est d’abord l’envie d’évoluer dans la profession, j’ai une compagnie, je joue dans des lieux du théâtre public, et j’ai eu envie à un moment donné d’appréhender mon métier de créatrice autrement. Le fait que des directions soient confiées à des artistes est assez rare et précieux dans le paysage institutionnel. Ce sont de beaux endroits d’invention de pouvoir être à la direction d’un outil de création, pour offrir des rencontres avec le public, entre artistes. Je vois cela comme une source d’évolution, d’enrichissement intellectuel, artistique, émotionnel avec des possibilités de rassembler, de partager, de pouvoir créer un lien avec le public sur la longueur.
Et le choix d’Orléans se fait sur quels critères ?
Le CDN d’Orléans a une histoire avec de super Directeurs et Directrice, artistes. Donc, il a une « aura », et je suis très fière d’avoir été choisie à la suite de ces artistes créateurs. C’est aussi la configuration de ce CDN où on a accès à trois salles. C’est un avantage pour un artiste-directeur d’avoir un outil assez flexible. C’est un outil approprié pour ce que j’ai envie de faire.
Vous avez de nouvelles idées en ce qui concerne la programmation sur une année ?
La programmation faite pour cette année par Nathalie Dumon et Séverine Chavrier réunit des artistes qui m’intéressent, que j’aime beaucoup. Il n’y aura pas de rupture esthétique, mais on structurera la saison différemment avec plusieurs projets, notamment une biennale d’œuvres in situ. Je pratique beaucoup l’installation de dispositifs. Je pars bientôt en tournée avec une pièce qui s’appelle « Paysages partagés », vue dans huit pays d’Europe, qui se joue dans un champ, qui se recrée avec des performeurs locaux et un agriculteur local. C’est une pièce que j’aimerais présenter à Orléans, hors les murs, dans un champ. J’aimerais aussi développer ce type de pièces qui peuvent se jouer en extérieur, sur un parking ou un centre commercial.
J’ai aussi le projet de réunir un collectif d’artistes européens, une fois par an, dans un dispositif qui s’appelle « la Caverne », afin de partager avec le public, lors de conférences, projections, performances.
Au théâtre d’Orléans vivent trois structures, la Scène Nationale, le CADO et le CDN. Pensez-vous créer des passerelles, des partenariats entre elles ?
Je l’espère. Mais il me faut le temps de la rencontre, du partage, de la compréhension du projet de chacun. L’idée est de trouver les points de connexion entre nous. Avec la Scène Nationale, il y a des intérêts pour des artistes, pour des formes. Il y a aussi une nouvelle direction qui arrive au Centre chorégraphique. J’ai bon espoir que nous inventions des collaborations. La Région est riche en lieux culturels. Avec Bérangère Vantusso du CDN de Tours, on doit se voir prochainement.
Vous avez inclus dans la programmation 24/25, en fin de saison, une de vos créations, « Reconstitution – Le Procès de Bobigny ». Vous pouvez nous en dire quelques mots ?
Le procès a eu lieu en 1972, avec l’avocate Gisèle Halimi qui rassemble l’opinion publique afin de faire évoluer la loi sur l’IVG, avec le vote de la loi Veil deux ans plus tard. Nous nous sommes plongés dans les minutes du procès, avons rencontré des témoins du procès, des militants de l’époque et ceux d’aujourd’hui. Cette pièce rassemble des archives du procès et des témoignages contemporains. Ces documents sont retravaillés, donnés aux comédiens qui les réinterprètent. Le public est invité sur le plateau, au milieu des comédiens, il a le choix d’aller écouter tel ou tel témoignage, telle personne réincarnée par tel comédien, pour avoir une compréhension au présent de ce qu’a pu être cet évènement historique.
Reconstitution du Procès de Bobigny – Photo Philippe Lebruman
À l’heure où on apprend une diminution de 25 % du spectacle vivant en France, où plusieurs compagnies professionnelles sur la métropole orléanaise sont en très grande difficulté financière parce que leurs spectacles ne trouvent pas preneur au niveau des communes, pour des raisons diverses (financières, politiques, ou autres), quelle peut être la réponse du CDNO ?
Les lieux comme les CDN restent des portes ouvertes pour les compagnies, des endroits de partage. Il ne faut surtout pas que le fossé se creuse entre les compagnies les plus en difficulté et les lieux institutionnels. Rencontrer les compagnies régionales, cela fait partie du cahier des charges des CDN qui sont des endroits de création, d’accueil, de soutien.