Mati Diop a filmé la restitution de 26 œuvres au Bénin, leur pays d’origine, autrefois appelé Dahomey. En organisant à l’université de Cotonou des rencontres entre étudiants, elle saisit l’état d’esprit d’un pays toujours pas remis de sa période coloniale après 60 ans d’indépendance.
L’œuvre n°26, une sculpture du XIXe siècle ramenée en France autour de 1900. Photo les Films du Losange
Par Bernard Cassat.
Mati Diop est « afro-descendante », comme elle le dit elle-même. Lorsque Emmanuel Macron a annoncé à Ouagadougou en 2017 le retour d’œuvres d’art détenues par les musées français dans leur pays d’origine, elle s’est sentie très concernée et a saisi l’occasion. Elle a filmé un peu dans l’urgence tous les préparatifs dans le musée du quai Branly. C’est le début de son film, la première partie.
Qui n’est pas, loin de là, la plus intéressante. Les longues séquences assez vides des couloirs, les plans fixes dans les sous-sols, les écrans noirs et longs pour faire sentir l’exil des statues n’apportent pas grand-chose.
Mise en caisse au musée du quai Branly. Photo les Films du Losange
La mise en caisse entre vraiment dans le sujet. Mati a choisi le point de vue des sculptures elles-mêmes, les faisant parler avec une voix d’outre-tombe. Le documentaire passe à la fiction, plus prenante. Son choix du point de vue des œuvres, pari très risqué, fonctionne en fait pas si mal. On aurait souhaité voir mieux les statues, en savoir plus sur leur histoire. La numéro 26, puisqu’elles sont ainsi répertoriées, garde son mystère. On sait seulement qu’elle date du XIXe siècle, et qu’elle est arrivée en France vers 1900. Par quel processus, quel chemin, on ne le saura pas. La faute à la colonisation. C’est un peu vague…
La caméra s’enferme dans les caisses avec l’œuvre 26 pour le voyage, et en ressort au Bénin, l’ancien Dahomey. La deuxième partie du film, africaine celle-là, commence. La réinstallation des œuvres chez elles n’est pas le plus important. Les Béninois qui tournent autour deviennent à juste titre le sujet du film. Qui prend alors toute son ampleur.
Plus à l’aise avec Disney
Il y a le public béninois, non habitué des musées, qui regarde ces œuvres les yeux écarquillés, étant plus à l’aise avec la culture de Disney, comme dira un étudiant, qu’avec leur culture passée. Les images parlent d’elles-mêmes à ce moment-là. La joie, la vitalité africaine, sur le parcours entre l’aéroport et le musée, typiques des événements populaires, sont enthousiasmantes. Puis l’installation des œuvres dans le musée, les fêtes officielles du retour qui rassemblent beaucoup de vieux sages en costumes, descendants directs de ceux pour qui les statues ont été faites.
Photo les Films du Losange
Et Mati Diop, pour avoir aussi la réflexion des jeunes intellectuels africains, a organisé plusieurs rencontres à l’université d’Abomey-Calavi de Cotonou. Elle fait un montage des interventions qui dressent un tableau très riche des réactions de la jeunesse béninoise. L’argument premier reste « 26 œuvres seulement sur plus de 7 000 », retour tellement limité qu’il est ressenti comme une injure de plus des ex-coloniaux envers les ex-colonisés. De nombreuses autres réflexions de ces étudiants insistent sur la réappropriation de leur culture, abordent par exemple le problème des langues. Ils échangent tous en français, alors que le pays est devenu indépendant en 1960. Mais la langue française, encore maintenant, est la langue officielle du pays. Une étudiante argumente autour de ce problème pour bien montrer la coupure de la population avec sa propre culture (trois autres langues, le fon, le yoruba et le bariba, sont largement parlées. Un tiers seulement de la population maitrise le français, qui est la langue de l’enseignement.)
Photo les Films du Losange.
Le retour de ces œuvres majeures est donc resitué par les étudiants dans la décolonisation, loin d’être du passé. Les questions qu’ils se posent, eux qui sont nés dans l’indépendance du pays mais qui bien sûr sont encore sous le coup de la centaine d’années d’occupation française, rentrent dans les grandes interrogations des générations actuelles. Ils réfléchissent sur l’histoire pour arriver à trouver une ouverture claire vers le futur.
L’énergie de l’Afrique
Une magnifique séquence d’un enfant dansant derrière une vitre du musée rassemble toute l’ambiguïté de la situation des pays africains. Il est derrière les adultes, il danse pour lui-même, sans musique, sans autre chose, en tout cas montré par l’image, que son instinct, cette puissante énergie des corps africains qui éclate dans le mouvement, non pas pour se donner en spectacle, mais parce qu’elle est intrinsèque, vitale.
Cette note positive conclut un film qui a eu du mal à décoller, englué lui-même, peut-être, dans la chape de plomb que l’ex-colonisateur a coulé sur ces populations aux cultures pourtant aussi riches que les nôtres, mais différentes.
Plus de sorties ciné sur Magcentre :
« À son image », celle d’une photographe corse des années 80