Matignon : la règle du jeu

Deux mois après un second tour de scrutin salué pour le sursaut de participation électorale et la défense des idéaux républicains, Emmanuel Macron est enfin sorti de sa procrastination chronique, bizarrement justifiée par la « parenthèse enchantée » olympique. Mais cette issue tourne dangereusement le dos au message des électeurs, ouvrant une grave crise de défiance envers le système de démocratie représentative.



Par Paul Bluzet.


De ce barnum estival du Macron-Circus émerge l’improbable retour du plus jeune élu UDR des années 1970, ressorti d’un des derniers glaciers alpins, octroyé aux Français par le monarque désavoué aux trois scrutins (européennes et deux des législatives) du printemps. L’organisateur des JO d’Albertville de 1992 revient pour écouter le « bon sens » des « gens d’en bas », formule qui semble sortie des dialogues de classes du grand classique de Jean Renoir, La Règle du Jeu, tableau éclairant de la décadence des élites et de la déliquescence de la société à la veille de la débâcle de 1940, tourné au château de La Ferté-Saint-Aubin, à proximité du domaine de l’épouse du nouveau Premier ministre. Avec notre « Prince-Président », ce serait davantage « la règle du Je », le voyage en égotisme autour de ma chambre, les jouets institutionnels brisés par l’enfant-roi mécontent de « son » peuple qui a « mal voté ».

Barnum et « gens d’en bas » : à qui perd, gagne. Les derniers seront les premiers

Durant tout l’été, le président de la République a déroulé le mauvais feuilleton des « feux de Matignon », changeant parfois d’un jour à l’autre d’heureux pressenti : une série lassante, piètre adaptation française du Jour sans fin. Le résultat n’en est pas moins renversant, au sens strict. Qui aurait imaginé, au lendemain du 7 juillet, alors qu’Éric Ciotti s’enfermait dans son QG et que le parti héritier de la droite de gouvernement confirmait son déclin aggravé d’un schisme et d’un divorce porté devant les tribunaux, que le Chef de l’État déciderait d’en faire le vainqueur, désigné sur tapis vert, de la séquence électorale, en ressortant de la retraite politique la médaille de bronze des primaires de la droite de 2022 – derrière Pécresse et Ciotti, mais devant Bertrand –, avant la présidentielle où, pour la première fois, ce parti n’a pas atteint le seuil des 5% synonyme d’un remboursement des frais de campagne ?

Ainsi, le 5e groupe parlementaire décroche-t-il contre toute attente Matignon, très loin des usages, non seulement des républiques parlementaires passées, de 1875 à 1958, mais aussi de nos voisines européennes dont on nous rebat les oreilles qu’elles sont les modèles à suivre de coalitions raisonnables. Macron 2024 semble avoir oublié à la fois Mac-Mahon 1879, soumis puis démis par Gambetta, et même Alexandre Millerand 1924, ce président venu de la gauche mais ayant dérivé vers la droite, et s’obstinant à choisir un gouvernement non conforme aux résultats des législatives victorieuses du Cartel des gauches, forcé de démissionner par le boycott de la majorité parlementaire radicale et socialiste derrière Herriot.

Passons en outre sur le fait que Michel Barnier n’est plus parlementaire, ce n’est pas une obligation sous la Ve République, et la gauche a oublié tout autant, de Jean-Luc Mélenchon à Lucie Castets, que pour régénérer le parlementarisme, le mieux serait de commencer par proposer de diriger le pays aux principaux ténors du Parlement, en premier lieu de l’Assemblée nationale, et non à des personnalités extérieures autoproclamées ou choisies par défaut.

Macron à fronts renversés

Pour le dire autrement, Emmanuel Macron avait pour prérogative de choisir la personne chargée de constituer un gouvernement, de rechercher une coalition sur un programme, puis d’obtenir la confiance d’une majorité de députés. Il a fait l’inverse, comme si c’était à lui de constituer une équipe pérenne, usurpant à la fois le rôle du Premier ministre pressenti, des groupes parlementaires et de l’Assemblée. Le plus clair et le plus lisible pour les citoyens auraient consisté à désigner, comme l’avaient fait François Mitterrand et Jacques Chirac, l’une ou l’un des leaders de la coalition arrivée en tête, de préférence un président de groupe tel Boris Vallaud, Mathilde Panot ou Cyrielle Chatelain. Macron n’avait ni à se faire dicter un choix, ni à organiser les palabres préalables à la formation d’un gouvernement. Le résultat est catastrophique : les ¾ des Français, selon un sondage du Figaro, se sentent floués par la formation du cabinet Barnier. Après avoir fait exploser en 2017 la bipolarisation, puis affaibli le « fait majoritaire » en 2022, Macron restera comme le fossoyeur de la confiance des électeurs envers l’impact de leur vote, au moment précis où la participation aux législatives avait atteint son pic depuis un quart de siècle. Chapeau l’artiste. Ajoutez à cela que celui qui s’est fait élire deux fois grâce à la mobilisation contre l’extrême droite, à partir d’un socle faible d’un quart des exprimés au 1er tour, a de manière irresponsable conféré à la patronne du RN, désavouée le 7 juillet dernier, un droit de veto hallucinant sur le choix du Premier ministre. Si Emmanuel Macron souhaitait nommer Xavier Bertrand, en particulier pour sauver sa réforme des retraites, s’il pensait que ce choix était le meilleur pour le pays, il avait le devoir de l’expliquer et de s’y tenir. Sa dérobade est une faute morale et politique.

Chevaux de Troie et promesse de l’aube

À nouveau, le paysage politique apparaît comme un champ de ruines : une droite « victorieuse à la Pyrrhus », ne sachant que penser et que faire de cette « divine surprise » sans lien avec le vote exprimé par les Français. Une ancienne majorité macroniste déboussolée « en même temps » par la dérive définitive du Président vers l’union des droites – le rêve réalisé de feu Éric Zemmour, avec le soutien sans participation du RN – et par les couteaux sortis par « l’homme pressé » Édouard Philippe, l’ancien « pote de droite » devenu félon, et le feu follet Attal, détesté par Borne et Darmanin.

Enfin une gauche groggy, ne sachant si elle doit s’arracher les cheveux d’avoir laissé passer sa chance d’un gouvernement réformiste de justice sociale, ou à l’inverse bénir la situation en s’estimant préservée de choix gouvernementaux impopulaires à deux ans et demi – ou peut-être bien moins – de la campagne présidentielle. Pour elle, le souci, comme toujours, n’est pas la qualité de ses adversaires, la barre n’est pas très haute, mais son incapacité à s’unir durablement, et l’on voit mal, tant que Mélenchon s’obstinera à obstruer les chemins d’avenir, comment elle éviterait la dispersion qui condamne toute promesse de l’aube.

 

Commentaires

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  1. très mauvaise analyse ! le paradigme a complétement changé , il n’est plus question de trouver une majorité ( complétement impossible avec à gauche un bloc qui ne veut pas faire d’alliance et reste bloqué sur son programme totalement irréaliste et une extrême droite classée infréquentable ) , il est juste question de trouver un premier ministre qui ne sera pas renversé dès sa nomination et pourra mettre en place un budget pour 2025 !

  2. De toutes les façons c’est simple si il y a un problème en politique française, c’est toujours la faute de Mélanchon.
    A croire que défendre un programme de gauche est devenu incongru dans notre
    défunte démocratie au milieu de cette Europe néolibérale à la pensée unique.

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