Thierry de Peretti est un enfant d’un pays mouvementé. Il en a déjà parlé dans deux films, les Apaches en 2013 et Une vie violente en 2017. Il se cale cette fois-ci sur le livre éponyme de Jérôme Ferrari. Un grand témoignage sur l’histoire du FLNC racontée par les bords. Antonia fait partie des Corses qui aiment leur pays sans pour autant prendre les armes.
Antonia (Clara-Maria Laredo) et son appareil photo. Photo Pyramide Distribution
Par Bernard Cassat.
C’est l’histoire d’une fille corse qui a 20 ans en 1980. Elle expérimente si bien son appareil photo qu’elle devient photographe pour le journal Corse-Matin. Déjà, ces thèmes ne sont pas innocents. Thierry de Peretti approfondit la question de l’image, sa fabrication, son rôle, ce qu’elle révèle et ce qu’elle cache. Antonia en fait beaucoup, des photos de famille comme des photos officielles publiées. Le réalisateur en joue, lui aussi. De nombreuses scènes sont filmées comme des prises de vue d’événements familiaux. Toute la séquence d’avant la mise en bière, dans l’appartement familial, au début, par exemple. Ou les discussions entre Antonia et ses parents dans la cuisine, comme on pourrait faire un film de famille.
Une longue séquence, plus abstraite, la montre dans son appartement en train de photographier son amoureux qui téléphone, au son d’une chanson assez forte qui salue toutes les nationalités. Elle tourne autour, photographie on ne sait quoi, son dos, sa peau. Et finalement fait rapidement, à la fin, un selfie d’eux deux. Même une « réunion » du mouvement clandestin, en fait un pique-nique en plein air, quand plus tard il sera beaucoup question de continuer le mouvement ou de le quitter, n’a rien d’une image politique ou historique, mais fait vraiment partie, esthétiquement, de documents familiaux.
Le groupe d’amies. Photo Pyramide Distribution.
Le deuxième thème, c’est l’histoire de la Corse, du mouvement autonomiste, le FNLC. Antonia est amoureuse d’un garçon qui va passer à la lutte armée, se faire arrêter plusieurs fois et recommencer plusieurs fois. De Peretti ne filme rien de spectaculaire, mais raconte beaucoup l’histoire du mouvement à travers les amies des clandestins. Qui se rebellent d’abord contre Antonia lorsqu’elle quitte Pascal, en prison pour la énième fois. Puis qui comprennent, parce qu’elles aussi n’ont pas envie de cette vie tronquée de femme de clandestin. Et pourtant Antonia tombe rapidement dans les bras de Simon, un autre membre du FNLC. La boucle est bouclée, un avortement montrera l’impossibilité de vivre cette guerre intérieure.
Toutes les questions sont posées par De Peretti. Autour de l’image et de l’information, avec des discussions d’Antonia, photo reporter à Corse-Matin, avec d’autres journalistes sur la subjectivité et son paroxysme lorsqu’une victime de l’actu est un proche. Et avec son directeur autour de ce que demandent les gens à la presse, alors que les journalistes ont envie de mettre en avant leurs analyses. Question poussée très loin avec le départ d’Antonia en Serbie pour des reportages de guerre. Pour finir photographe de ville, le portrait et la photo de mariage.
Antonia et son nouvel amant Simon. Photo Pyramide Distribution.
Les questions autour de la lutte armée, aussi, par tous les événements militants d’abord ouverts, puis clandestins, puis les règlements de compte internes. Et les désillusions de cette lutte dans une impasse. À la fin, des lycéens viennent trouver Simon, désormais prof d’histoire, pour lui poser des questions sur le nationalisme. Assez intelligemment, il botte en touche, mais finalement, peut-il faire autrement ?
Si les questions sont posées, de Peretti n’approfondit pas les explications. Les discussions dans la cuisine avec les parents semblent désuètes, dénuées de profondeur. Le discours répétitif du père n’apporte pas grand-chose. Le directeur de Corse-Matin non plus. Et au fond, les militants ne discutent pas de leurs idées. On n’apprend rien de nouveau sur le FNLC. Par contre, les difficultés qu’il a posées à toutes les familles sont mises en avant. Soit.
Le groupe de jeunes acteurs. Photo Pyramide Distribution.
La qualité du casting composé d’acteurs inconnus, notamment de Clara-Maria Laredo, qui joue Antonia, donne aux images cette force de témoignages familiaux, presque comme s’il s’agissait d’un reportage. Mais des séquences un peu marginales (le coup de fil du début, les séances photos de mariage au bord de l’eau, toutes les séquences en Serbie) sont longues et atténuent l’énergie du montage. Qui reste un témoignage intéressant sur l’histoire de la Corse, sur son nationalisme, son particularisme et au fond l’embarras de son histoire un peu trop extrémiste.
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