Ça y est cette fois, deux mois après la nouvelle défaite de son parti aux législatives, Emmanuel Macron, tordant l’esprit de la Constitution pour garder politiquement la main, a réussi à nommer un Premier ministre. Avec la complicité du RN qui promet de ne pas le renverser, garantissant ainsi sa survie quelques mois. Et avec la promesse d’une austérité budgétaire inédite.
Par Joséphine.
Michel, de la Savoie à Paris
Michel Barnier, c’est 50 ans de politique à la papa. Issu de la petite bourgeoisie catho savoyarde, il monte à Lyon pour faire sa classe préparatoire et adhère déjà à l’UDR, le parti gaulliste. Il file ensuite à Paris entamer des études dans une prestigieuse école de commerce privée. Fraîchement diplômé et déjà cadre dans le mouvement de jeunesse gaulliste, il rentre rapidement dans les cabinets ministériels et se fait élire conseiller général en Savoie. Dès 1976, il obtient un strapontin ministériel et en 1978, il devient carrément député de Savoie, le plus jeune de l’hémicycle. Réélu député malgré la victoire socialiste en 1981, il votera contre la dépénalisation de l’homosexualité mais pour l’abrogation de la peine de mort. Il est réélu au palais Bourbon en 1986 puis 1988.
En 1982, après un beau mariage avec une avocate, il retourne dans son fief et s’allie avec les centristes savoyards pour remporter les élections cantonales, devenant ainsi président du Conseil départemental. Il y mène des politiques de protection de l’environnement tout en poussant au développement du tourisme et du rayonnement local, appuyant la candidature d’Albertville pour accueillir les JO d’hiver 1992. Il restera du reste à ce poste jusqu’en 1999.
En 1993, grâce à sa réputation d’homme de droite sensible à l’écologie, il obtient le poste de ministre de l’Environnement dans le gouvernement Balladur, imposant des débats préalables aux constructions de grandes infrastructures, généralisant le principe de précaution et instituant les premières taxes vertes.
En 1995, il soutient le très libéral Édouard Balladur dans la lutte fratricide qui oppose ce dernier à Jacques Chirac dans la course à la présidence. Malgré la défaite de son clan, Barnier obtient le poste de ministre délégué aux Affaires européennes dans le gouvernement Juppé. Après la claque de la dissolution ratée de 1997, il s’efface et se rabat sur le Sénat.
Deux ans plus tard, Barnier quitte ses mandats français (Sénat et Conseil Général) et devient commissaire européen, en charge des politiques régionales. En 2001, il participe aux travaux préparatoires qui doivent mener à proposer une Constitution pour l’Europe.
En 2004, après la défaite des chiraquiens aux Régionales, Jean-Pierre Raffarin, un camarade de promo de son école de commerce, le nomme ministre des Affaires étrangères. Mais il n’est pas reconduit par Dominique de Villepin qui entre à Matignon l’année suivante. Barnier obtient alors un lot de consolation en intégrant le Conseil d’État, tout en pantouflant pour faire du lobbying dans le groupe du milliardaire Alain Mérieux, magnat de la biologie médicale qui se pique de politique à droite et qui soutient Charles Millon, apôtre de l’alliance avec entre le RPR et le FN à la fin des années 1990.
Barnier conseille aussi, à la même époque, José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne et participe à la modification de la Constitution européenne, refusée par la France l’année précédente par référendum. Constitution imposée via le Congrès en 2008.
En 2006, il conseille et soutient Nicolas Sarkozy dans sa course victorieuse à l’Élysée et il est nommé ministre de l’Agriculture dès juin 2007 par François Fillon. L’épouse de Michel Barnier intègre d’ailleurs alors le cabinet de Roselyne Bachelot quelque temps.
Michel, de Paris à Bruxelles
En 2009, Michel quitte son ministère et mène la liste de l’UMP aux Européennes dans la circonscription de l’Île-de-France, aux côtés de Rachida Dati. Il est élu et prend des responsabilités au Parti Populaire Européen, l’alliance des droites libérales et conservatrices européennes.
Six mois plus tard, il devient de nouveau Commissaire européen, au marché intérieur et aux services cette fois. En 2014, il est le candidat de la droite européenne pour le poste de président de la Commission, mais se fait battre par Jean-Claude Juncker. Déçu, il se déclare alors disponible pour mener la liste LR aux élections régionales en Rhône-Alpes, mais il se fait doubler par Laurent Wauquiez. Quelques mois plus tard, il devient conseiller spécial de Juncker qui le nomme rapidement négociateur en chef pour l’UE dans le processus qui doit conduire au Brexit.
En même temps, en 2016, Barnier trouve le temps de soutenir Bruno Le Maire lors des primaires de la droite en vue de la présidentielle tout en étant l’objet d’une enquête liée à un épisode peu glorieux de la Françafrique en Côte d’Ivoire, sans suite.
En 2017, le fils de Michel Barnier s’engage en politique, auprès de LREM. Et depuis 2021, le fiston est chargé de mission au Sénat, aux côtés de Gérard Larcher.
Dans les petits papiers d’Emmanuel Macron, Barnier est pressenti en 2019 pour être de nouveau candidat à la présidence de la Commission européenne, mais c’est encore un échec et il sera juste nommé représentant en charge de la relation de l’UE avec le Royaume-Uni.
En août 2021, il se déclare candidat à l’élection présidentielle de l’année suivante et axe son argumentaire sur les questions migratoires, proposant un moratoire de 5 ans pour arrêter l’immigration en Europe ainsi qu’une réforme juridique pour éviter que l’exécutif français puisse être mis en cause par la Cour de Justice Européenne et la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Il faut selon lui « stopper immédiatement les régularisations, limiter rigoureusement le regroupement familial, réduire l’accueil des étudiants étrangers et exécuter systématiquement la double peine ». Il prône aussi la retraite à 65 ans, le retour aux 39h hebdomadaires et le conditionnement des aides sociales à une activité utile pour des collectivités ou entreprises.
Il échoue quelques mois plus tard lors de la primaire de la droite puis soutient Valérie Pécresse au premier tour avant d’appeler à voter pour Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle 2022.
Michel, le trait d’union entre Macron et Le Pen ?
On le voit dans sa trajectoire, Michel Barnier, c’est le politicien cumulard qui est passé par tous les mandats et fonctions ainsi que le technocrate maîtrisant les dossiers. C’est l’adepte du libéralisme le plus orthodoxe et désincarné mais aussi l’homme qui veut arrêter l’immigration en Europe. C’est l’homme d’État absorbé par les responsabilités, et parallèlement le gars qui part pantoufler dans une holding aux mains d’un milliardaire d’extrême-droite. Bref, Barnier, c’est le libéral autoritaire, amoureux de la libre circulation des marchandises et des capitaux, ennemi de la libre circulation des personnes. Peu préoccupé par les libertés publiques et individuelles, il est une sorte de synthèse glaciale et savoyarde du « en même temps » macroniste.
Il connaît sur le bout des doigts tout le who’s who de la droite passée chez Macron : Sarkozy, Dati et Le Maire. Il est l’ennemi de Laurent Wauquiez qui continue de refuser une alliance avec Renaissance. Mais il est suffisamment anti-immigration et ami de personnalités sulfureuses des Alpes pour rassurer le RN. Et surtout, il est totalement aligné avec la politique macroniste, et ce depuis des années : retraites, temps de travail, pression sur les chômeurs.
Barnier à Matignon qui pilote le budget 2025, c’est la promesse d’avoir l’œil compatissant de Bruxelles dans les mois qui viennent, après que Macron et Le Maire ont laissé filer la dette, eux les thuriféraires de l’équilibre budgétaire. Il saura rassurer les institutions financières et les agences de notation, au prix d’économies drastiques sur le service public, avec les effets sanitaires et sociaux que l’on sait.
Tout ceci permet au RN, qui a validé la nomination de Barnier, de gagner du temps et de montrer patte blanche aux milieux d’affaires qui ont eu peur de l’épisode « social-national » de Philippot (2012-2017) et de l’incompétence crasse et médiatisée de la plupart des candidats aux législatives en juin-juillet dernier. Et puis du point de vue de Le Pen/Bardella, une bonne cure d’austérité, quoi de mieux pour faire monter la colère et… assainir les finances du pays avant la présidentielle 2027 ?
Et tant pis si ce monsieur est issu d’un parti qui ne pèse plus que 4% dans le corps électoral et 8% à l’Assemblée. La démocratie est une chose trop sérieuse pour la laisser à des amateurs.
Photo de Une : Michel Barnier à Olivet en 2014