Réseaux d’extrême droite en Centre-Val de Loire : le milliardaire Pierre-Edouard Stérin également à l’attaque du Cher ?

À la suite de l’article de Magcentre sur le projet politique réactionnaire de Pierre-Edouard Stérin et de ses ramifications à Tours, des lecteurs avertis ont alerté la rédaction sur le cas du département du Cher. Le Berry serait-il donc l’objet de l’intérêt de notre milliardaire d’extrême droite qui entend mettre 150 millions d’euros sur la table pour faire gagner le RN d’ici dix ans ?

Image de Sancerre dans le Cher. Photo Magcentre


Par Joséphine.


Le Berry, terre de contrastes…

En fait, ce soudain intérêt berrichon des réseaux Stérin ne sort pas de nulle part car force est de constater qu’on retrouve dans le Cher tous les attributs de l’écosystème des extrêmes droites. Jugez plutôt : groupes violents organisant des expéditions punitives contre des syndicalistes ; identitaires qui mènent des « combats culturels » ; lieux de vie et de regroupement pour les militants de l’ultra-droite ; médias alternatifs aux contenus douteux ; clubs d’Ultimate Fighting pour se préparer à l’autodéfense ; associations de conservation du patrimoine qui font office de clubs de rencontre entre familles tradi ; scoutisme fondamentaliste ; bonne implantation de la très réactionnaire fraternité sacerdotale Saint-Pie X ; conspirationnistes complètement allumés ; bikers fascinés par le Ku Klux Klan ; sections de l’Action Française et de la Cocarde Étudiante ; amoureux du Troisième Reich qui vendent de la camelote nazie sur Le Bon Coin ; cathos anti-avortement et homophobes, proches de Civitas et investis dans la campagne de François Fillon en 2017… Bref, une galaxie foisonnante qui n’attend que d’être structurée et articulée. Et c’est d’ailleurs exactement ce travail de mise en réseau que réalise le FN depuis 40 ans sur le terrain, travail qu’il s’agit désormais de faire passer à la vitesse supérieure.

Historiquement, dans cette nébuleuse berrichonne d’extrême droite, un personnage original se retrouve à la croisée des réseaux. Il s’agit de Jean Dogny, dit le comte Jean d’Ogny, faux aristocrate mais vrai châtelain. Dogny se marie dans les années 70 à la fille d’un diplomate pétainiste catholique intégriste. Maurrassien, ami de fascistes notoires, de négationnistes assumés et d’anciens Waffen SS devenus discrets, beau papa Dogny est aussi propriétaire du château de Béthune à La Chapelle-d’Angillon dans le Cher, bâtisse qu’il réussit à faire classer et restaurer, en partie avec des aides de l’État. En tout cas, après son beau mariage, Jean Dogny s’installe dans la propriété en 1975 et commence le combat de sa vie : s’inventer une filiation aristocratique et mener la belle vie, fasciné par les grands de ce monde et trépignant d’envie d’en être.

À peu près au même moment, au tournant des années 80, le FN, par l’intermédiaire du couple Stirbois – Jean-Pierre et Marie-France – commence un travail de longue haleine dans les espaces ruraux de la région Centre. Et plus particulièrement dans le Cher où les extrêmes droites sont dynamiques et bien insérées dans les réseaux des droites dites républicaines, comme l’illustre l’exemple de l’ancien haut fonctionnaire pétainiste Maurice Papon devenu député, ministre et maire de Saint-Amand-Montrond, après une glorieuse quoi que sanglante carrière de préfet de Paris de 1958 à 1966 et… avant d’être condamné pour complicité de crimes contre l’humanité en 1998. Pour mener à bien sa mission d’implantation durable du FN, Jean-Pierre Stirbois, plutôt basé en Eure-et-Loir, a besoin d’un relais dans le Cher. Il a alors l’idée de proposer à Dogny de prendre la tête du parti dans le coin.

Car la réputation du faux comte grandit bien vite à l’époque, Monsieur recevant beaucoup au château. Dogny développe des amitiés avec des anciens de l’Algérie Française et de l’OAS, avec des pseudo-intellectuels liés au GRECE et avec des gros bras d’Ordre Nouveau puis du GUD, groupuscules fascistes et suprématistes. Le profil de Dogny est particulièrement précieux en plein contexte de reconfiguration de l’extrême droite. Nombre de ces foisonnants réseaux réactionnaires si typiques des années 60 et 70 vont trouver dans le FN – et parfois dans l’UDF et le RPR – des débouchés politiques pour leurs idées et des postes pour se professionnaliser. C’est d’ailleurs exactement le parcours des Stirbois : issus du groupusculaire Mouvement nationaliste révolutionnaire à tendance sociale, ils adhèrent au FN et Jean-Pierre devient adjoint à la ville de Dreux, dans une mairie RPR, prémisses de ce qui deviendra plus tard la théorie de l’union des droites, théorie si chère à Stérin.

Le châtelain et la gudarde

Une douzaine d’années plus tard, on va retrouver notre faux comte lors d’une nouvelle étape de poussée de l’extrême droite, avec toujours la question de l’union des droites en toile de fond. Question d’autant plus urgente que la gauche qui a su s’unir remporte les législatives de 1997.

C’est à ce moment que Dogny va croiser le chemin d’Anne Méaux, grande prêtresse de la communication, une dame qui gagne à être connue. Née à Neuilly-sur-Seine, militante anti-communiste dès l’âge de 14 ans, organisatrice d’un comité anti-grève dans son lycée pendant mai 68, elle passe ensuite par Ordre Nouveau puis le GUD à Assas avant d’intégrer la direction du Parti des Forces Nouvelles, un groupuscule néo-fasciste où elle porte d’ailleurs le délicat surnom d’Eva Braun. Brillante étudiante, elle mène des études de droit tout en suivant des cours à Sciences Po Paris, finançant ses études avec un petit boulot à… Valeurs Actuelles. Fraîchement diplômée, elle s’engage pour la candidature de Valéry Giscard d’Estaing en 1974. Elle rentre ensuite au service de presse de l’Élysée et part faire ses armes d’élue en étant parachutée au Touquet comme conseillère municipale. Après la défaite de Giscard en 1981, elle se rapproche du très libéral Parti Républicain et surtout d’Alain Madelin, un ancien d’Occident, l’ancêtre du GUD et d’Ordre Nouveau où l’on retrouve aussi au même moment les futurs ministres Hervé Novelli, Patrick Devedjian et Gérard Longuet. C’est alors qu’Anne Méaux tisse tout un réseau d’amitiés dans le monde des affaires et de la banque et qu’elle devient une intime de François Pinault, capitaine d’industrie et milliardaire du secteur de la distribution, du luxe et des médias. Anne Méaux fonde son agence de communication, Image 7, et elle travaillera désormais pour la fine fleur du capitalisme français et international, se spécialisant dans la communication de crise. Elle compte parmi ses prestigieux clients Lakshmi Mittal (Arcelor), Daniel Bouton (Société Générale), le Crédit Agricole, Jean-Charles Naouri (groupe Casino), Anne Lauvergeon (Areva), Louis Gallois (SNCF), Eiffage, Seb, Go Sport, la RATP, Hermès, le dictateur Ben Ali, Lagardère, Carlos Ghosn (Renault-Nissan), Fiat-Chrysler, Servier…

Mais Anne Méaux, au-delà de gérer une boîte qui fait près de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires annuels, n’a jamais vraiment quitté la politique. Et c’est ainsi qu’à la fin des années 1990, anti-chiraquienne convaincue, elle file un coup de main à l’idée d’union des droites et use de son influence auprès de François Pinault, propriétaire du Point à l’époque, pour pousser à la parution d’articles à la gloire du comte Jean d’Ogny, dont est tiré cet extrait de 1998, année d’élections régionales :

« À voir le délicieux château de La Chapelle-d’Angillon, aux confins de la Sologne et du Berry, qui croirait qu’il exige autant de sacrifices ? Propriétaire des lieux, le comte Jean d’Ogny est intarissable sur son cher manoir. Ce châtelain aux traits réguliers, à qui on ne donnerait pas ses 57 ans, fait souvent lui-même la visite guidée avec une verve fantastique. En montrant le donjon du XIe siècle, la galerie Renaissance jadis mutilée “par ces salopards de révolutionnaires” ou les salles consacrées à Alain-Fournier (un enfant du pays), il tâche d’exalter “la famille, le sens du devoir, du beau, du travail manuel ».

Quelques semaines plus tard, l’UDF Bernard Harang est élu président de la région Centre avec les voix des conseillers FN, avant de démissionner face au refus de Jacques Chirac de valider cette stratégie, offrant la région aux socialistes. Raté pour cette fois, mais ce n’est que partie remise.

Désarroi stratégique au RN

25 ans plus tard, Dogny semble avoir perdu politiquement, victime du changement stratégique depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête d’un FN devenu RN. Il se consacre à son château, devenu un sympathique business mêlant locations pour séminaires et mariages, expositions mais aussi… spectacles sur le Moyen Âge, façon Puy du Fou avec simulation de combats de chevaliers, le tout étant soutenu par d’aimables subventions de la DRAC, la représentation du ministère de la Culture en région.

D’ailleurs, aux dernières législatives, la mue du RN a continué dans le Cher et ce sont de jeunes candidats parachutés depuis Paris qui sont venus se présenter, sans succès malgré des scores honorables, souffrant d’un manque évident d’expérience et de notoriété. C’est le cas par exemple avec le sulfureux Pierre Gentillet dans la troisième circonscription ou bien sur celle de La Chapelle-d’Angillon avec Ugo Iannuzzi, 25 ans, un communicant propre et passé par le scoutisme et issu d’une école de commerce privée, devenu collaborateur parlementaire du RN en 2021.

Et c’est là que l’on retrouve encore une fois Anne Méaux et son agence. Après avoir été la conseillère en communication de la candidature malheureuse de François Fillon en 2016-2017, notre prêtresse de l’ombre donne encore et toujours dans la politique. Depuis quelques mois, Image 7 conseille Pierre-Edouard Stérin et son fonds d’investissement Otium Capital tout en faisant du lobbying pour les structures de mécénat du milliardaire, le Fonds et la Nuit du Bien Commun. Comme l’a révélé l’Humanité il y a quelques semaines, ces structures sont la face émergée de l’iceberg du projet Périclès, un plan secret à 150 millions d’euros qui vise la prise de pouvoir du RN en moins de 10 ans, avec un gros travail de médias, d’influence, de formation de futurs cadres et de solidification des réseaux de l’extrême droite visant une union à terme avec les débris de la droite dite républicaine.

Et maintenant ?

Car la stratégie de normalisation et de rajeunissement du RN voulue par Bardella a montré ses limites lors des dernières législatives, avec des candidats inconnus qui multipliaient les gaffes sur les plateaux télé, créant d’embarrassants buzz. Échec stratégique qui a d’ailleurs causé le départ du directeur général du parti et un petit flottement parmi les cadres frontistes qui comprennent qu’il faut sortir de l’amateurisme et rassembler les forces, comme cela a d’ailleurs déjà commencé avec une partie de LR et Eric Ciotti.

Et dans ce renouveau stratégique, Stérin et Méaux deviennent centraux, et surtout leurs réseaux anciens et élargis, mêlant puissants hommes d’affaires, cathos militants bien organisés, nostalgiques du pétainisme, personnages politiques bien implantés, hauts fonctionnaires, monde du patrimoine et jeunes étoiles montantes de la fachosphère comme Charles Dor, fondateur du site Canto et… salarié d’Image 7.

Discrète, patiente, puissante, multiforme et interconnectée, la toile d’araignée de l’extrême droite continue de se tisser. Partout. Même dans le paisible Berry.


PS : cet article doit beaucoup à l’enquête du site Dinjoncter sur le château de La Chapelle-d’Angillon (https://dijoncter.info/la-chapelle-d-angillon-soixante-ans-de-propagande-fasciste-5682). Qu’ils en soient remerciés.


Plus d’infos sur le sujet :

Tours, ville-étape du projet d’extrême droite du milliardaire Pierre-Édouard Stérin ?

Commentaires

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  1. Merci Joséphine, cet article montre à quel point la droite et l’extrême-droite valets du capitalisme et des milliardaires, travaillent, depuis très longtemps, main dans la main pour casser toute révolte du monde salarié. Ces gens n’ont pas changé depuis le temps de la royauté et de l’esclavagisme.
    Cela met en évidence toutes ces relations de femmes et d’hommes politiques avec celui des banques et des affaires… ces femmes et hommes qui aujourd’hui dans l’hémicycle ou pas se permettent de donner des leçons de républicanisme, de laïcité et de soit disant bienséance.

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