Emilia Pérez, le mâle qui se transforme en bien

Jacques Audiard se renouvelle à chaque film, mais reste toujours cet artisan du cinéma qui peaufine autant ses scénarios que ses images. Aujourd’hui, il nous emmène dans une drôle d’histoire, mais surtout dans une esthétique totalement nouvelle, entre film chanté, opéra, cartels de tueurs et aventure transgenre. Un casting formidable contribue à cet ovni cinématographique époustouflant, comme si Al Capone se retrouvait dans un film d’Almodovar.

Karla Sofia Gascon (Emilia) et Zoe Saldana (Rita). Photo Page 114, Why Not Productions, Pathé Films, France2 Cinéma, Saint Laurent Productions, Shanna Besson



Par Bernard Cassat.


Pour raconter ce mélange parfaitement incongru, l’histoire qu’il a construite à partir d’un personnage juste cité dans un roman du journaliste écrivain Boris Razon, Écoute, Audiard se sert d’un personnage fouillé, l’avocate Rita. Jeune femme ambitieuse qui a tout à fait conscience que les clients qu’elle défend et qu’elle fait gagner au tribunal ne sont que des ordures qui violentent leur femme jusqu’à la mort. À travers elle, le sujet de la violence et de l’ambiguïté s’installe dans l’histoire. Avec son corollaire, l’argent. Quand un homme, manifestement un truand, la fait enlever pour lui proposer un marché, elle accepte avant de savoir de quoi il s’agit, juste sur la somme qu’il est prêt à lui verser. Cet homme, Manitas, chef de cartel, veut se transformer en femme et quitter les affaires. À elle d’organiser tout cela.

Emilia Pérez (Karla Sofia Gascon). Photo Page 114, Why Not Productions, Pathé Films, France2 Cinéma, Saint Laurent Productions, Shanna Besson


Elle cherche donc dans le monde entier les meilleures conditions pour la transition de Manitas. Dans une séquence ébouriffante d’énergie et de drôlerie, elle visite un service à Bangkok où elle apprend toutes les étapes d’une transformation. Vaginoplastie, laryngoplastie, toutes les plasties y passent dans une ronde chantée et dansée par les personnels d’hôpitaux du monde entier. Une séquence énergique enlevée comme une publicité réussie.

La danse de Selena Gomez. Photo Page 114, Why Not Productions, Pathé Films, France2 Cinéma, Saint Laurent Productions, Shanna Besson


De nombreux moments sont cet ordre. L’entrée dans le film, déjà, une promenade en images aériennes au-dessus de Mexico, avec une chanson au rythme irrésistible, une chanteuse qui achète des matelas, des frigidaires, etc. Et la caméra finira tout près du haut-parleur d’une camionnette qui passe dans le quartier pour faire du ramassage. La vie ordinaire est mise en chansons et en ballets, notamment au marché ou au bistrot. Les scènes de tribunal dédoublent les discours, extrayant l’hypocrisie en chantant la vérité. Et Rita danse et chante les attaques qu’elle devrait lancer à ces salauds, alors qu’elle les défend pour de l’argent.

Rita (Zoe Saldana) chante et danse ce qu’elle voudrait dire monde si elle osait… Photo Page 114, Why Not Productions, Pathé Films, France2 Cinéma, Saint Laurent Productions, Shanna Besson


Dans la deuxième partie du film, Emilia monte une association pour retrouver tous les disparus du Mexique. On sait que dans ce pays, la pratique de l’enlèvement est constante, le meurtre facile et les manipulations humaines courantes. Elle se met à tenter de rattraper tout le mal qu’elle a fait avant. Là encore, des séquences très émouvantes de chants des mères, des frères qui se pointent pour retrouver leur disparu. Notamment cette image qui se construit petit à petit, un visage éclairé au milieu d’un écran noir, puis ils deviennent des centaines comme des petites lumières formant un chœur. Simple, beau, efficace.

Emilia et sa nouvelle amante Epifania (Adriana Paz). Photo Page 114, Why Not Productions, Pathé Films, France2 Cinéma, Saint Laurent Productions, Shanna Besson


Après une histoire d’amour et la trahison de son ancienne femme, l’opéra tourne au drame. Qui se termine par un enterrement magnifique, une procession guidée par une fanfare mexicaine qui reprend la supplique de Brassens. Un très grand moment.

Un casting formidable

Les quatre actrices qui tiennent le film ont reçu collectivement le prix d’interprétation féminine. Ce qui met en évidence que cette histoire de cartel maffieux n’a que des rôles féminins ! Les hommes ne sont que des silhouettes. Zoe Saldana en Rita est tout à fait convaincante. Selena Gomez en Jessi, femme de Manitas, joue magnifiquement ce rôle de poupée qui va au-delà des manipulations. Et Adriana Paz en femme battue prête à tuer son homme malheureusement déjà mort, utilise à merveille l’ambiguïté du rôle et son physique très mexicain. Mais surtout Karla Sofia Gascon en Emilia, magnifique de beauté et de puissance, entraine tout sur son passage. Et fait passer une douceur émouvante, comme dans cette séquence où, allongée avec son fils sur un lit, le garçon sent l’odeur de son père sur la peau de sa « tante ». Magnifique trouvaille de scénario, superbe jeu d’acteur. L’émotion intense et inattendue passe la rampe.

Emilia Perez, un joyau bien taillé par un cinéaste en pleine possession de son art.

Commentaires

Toutes les réactions sous forme de commentaires sont soumises à validation de la rédaction de Magcentre avant leur publication sur le site. Conformément à l'article 10 du décret du 29 octobre 2009, les internautes peuvent signaler tout contenu illicite à l'adresse redaction@magcentre.fr qui s'engage à mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la suppression des dits contenus.

Centre-Val de Loire
  • Aujourd'hui
    11°C
  • dimanche
    • matin 11°C
    • après midi 20°C
Copyright © MagCentre 2012-2024