Sean Baker, cinéaste indépendant des mastodontes de Hollywood, dresse différents portraits de « laissés-pour-compte » dans la société US, personnages attachants qui ont raté l’ascenseur social, mais qui cependant ne vivent pas dans la misère. Adeptes des petits boulots, et qui pour certains d’entre eux plongent dans la petite délinquance, trafics en tous genres ou prostitution, thème quasi central de l’œuvre de Sean Baker… Il propose un cinéma populaire, on dit aussi grand public, qui se regarde plaisamment, parsemé de nombreuses petites touches d’humour, mais qui peut aussi donner lieu à des réflexions et analyses plus profondes sur ces milieux sociétaux vivant à la marge. « Anora », Palme d’or, ne devrait pas décevoir !
Red Rocket (2022)
C’est l’histoire du retour de Mikey, acteur porno aux nombreuses vidéos sur le web, chez son ex-compagne et sa belle-mère, toutes deux vivant dans une petite ville ouvrière du Texas. Dire qu’il n’est pas le bienvenu est un doux euphémisme, mais sa rouerie le fera finalement accepter par les deux femmes. Sans argent, mais devant s’acquitter d’un loyer, il devient dealer au service d’une famille du voisinage. Il retrouve un copain d’enfance qui l’emmène se balader en voiture, se déplace lui-même à vélo, et finit par draguer une jeune fille encore mineure, vendeuse de donuts. Il en profitera pour revendre la drogue aux ouvriers du coin. Quant à Strawberry, la vendeuse de donuts, elle s’entiche de Mikey pour en apprendre beaucoup sur le sexe, mais peut-être est-elle aussi alléchée par la célébrité que lui offrirait le cinéma porno, ce qui en fait un personnage un peu énigmatique.
Red Rocket – Simon Rex à gauche, Suzanna Son à droite – Copyright Drew Daniels
Sean Baker dépeint ici un parfait « salaud » sous des airs sympas : l’histoire se déroulant au moment de la campagne US opposant Hillary Clinton à Trump, l’idée nous vient que le réalisateur a peut-être tiré un parallèle entre son personnage et celui du candidat républicain. Remarquable prestation de Simon Rex dans le rôle de Mikey, homme fourbe sachant manipuler son entourage à son profit.
Aux trois quarts du film, Baker réalise une prouesse cinématographique : Mikey et son ami d’enfance roulent sur une autoroute, lorsque le conducteur commet une embardée afin de prendre une bretelle de sortie. La voiture s’arrête, les deux amis s’affrontent et le conducteur finit par vomir dehors. On n’en comprendra les raisons que plus tard, à savoir les conséquences de l’embardée. C’est ce qu’on nomme une ellipse au cinéma : très fort !
The Florida Project (2017)
Ici, Baker réalise le portrait d’une jeune femme, maman célibataire d’une petite fille de 6 ans, toutes deux vivant dans la chambre d’un motel, tout près d’un parc d’attraction dont on ne découvrira les images qu’à la toute fin du film. Jeune femme qui, pour ne pas être jetée à la porte du motel, et pour offrir des repas copieux à sa fille, se livre à divers trafics, et surtout à la prostitution qu’on devinera sans jamais la voir. Portrait attachant de cette jeune femme, ainsi que de tout ce petit peuple occupant ces chambres d’un motel, sur plusieurs étages.
The Florida Project – Bria Vinaite à gauche et Brooklynn Prince – Copyright 2017 Prokino
Quant à la petite fille prénommée dans le film Moonee, avec copine et copain, elle réalise les 400 coups dans cet espace réduit, le gardien du motel étant bienveillant envers elle. Interprétation exceptionnelle de cette petite fille qui à elle seule peut émouvoir la salle lorsqu’elle se met à pleurer à chaudes larmes face caméra, en très gros plan. C’est elle qu’on découvre au tout début et qu’on revoit sur la dernière image, mais c’est bien sa mère, le personnage que Sean Baker dépeint et met au centre de son long métrage.
Tangerine (2015)
Retour à L.A., une veille de Noël, un quartier de la prostitution homo, mais pas seulement. Deux hommes, ou deux femmes comme on voudra, deux travestis quoi, on dit aussi travelos, se retrouvent dans un bar. L’une, Sin-Dee, sort de 4 semaines passées à l’ombre, et apprend d’Alexandra que son mec l’a larguée pour une autre. La (ou le au choix) voici arpentant le quartier à la recherche de la concurrence. Les retrouvailles ne seront pas de tout repos.
Tangerine – Mickey O’Hagan à gauche et Kitana Kiki Rodriguez dans le rôle de Sin-Dee – Copyright Kool
Il y a aussi un chauffeur de taxi dont on ne comprend pas tout de suite la relation avec les travelos, d’origine arménienne, et qui fête avec sa famille dont la belle-mère, le réveillon. Bientôt, il s’éclipsera, prétextant son travail. Mais la belle-mère, redoutant quelque chose, se lance à sa recherche. Tout ce joli monde se retrouvera dans un bar à donuts (Baker aime beaucoup les donuts) dans une scène haute en couleur. Au final, en ce soir de fête, chacun retourne à sa solitude, dans des rues pas très bien fréquentées.
Remarquables interprétations des deux jeunes actrices qui tiennent les rôles respectifs de Sin-Dee et Alexandra, et qui n’auront que peu tourné par la suite, voire pas du tout. Une bande son mémorable, un superbe montage où les scènes, parfois très courtes, s’entrelacent. Magnifique !
À Orléans, au cinéma des Carmes, c’était pendant la 1ʳᵉ quinzaine d’août
À Tours, au Studio, les 3 films à partir du 28 août