Pendant la trêve estivale, Magcentre prend le temps de revenir sur l’actualité qui a rythmé cette première moitié de l’année 2024. Nous vous proposons quelques articles qui ont marqué ces derniers mois.
Première publication jeudi, 7 mars 2024
En 2020 nous avions reçu à Magcentre, le douloureux récit d’un homme victime de sévices sexuels durant son enfance de la part d’un prêtre lyonnais, ami de ses parents. Les années ont passé. Aujourd’hui, en 2024, cette même personne, Stéphane Girard, veut sortir de l’anonymat pour témoigner à visage découvert. Il explique pourquoi.
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Innocent X hurlant d’après Bacon (fragment)
Propos recueillis par Jean-Paul Briand.
Magcentre : Pourquoi acceptez-vous maintenant de témoigner au grand jour ?
Stéphane Girard : Mon premier entretien avec vous remonte à septembre 2020. À l’époque j’avais souhaité garder l’anonymat. Je n’étais pas prêt à donner mon nom. La honte et la culpabilité étaient en moi. Ces sentiments habitent les victimes de violences sexuelles.
Ma situation a changé. J’ai été reconnu officiellement victime du prêtre pédophile Preynat et par ailleurs je fais un travail sur moi-même avec une psychologue. Je souhaite maintenant témoigner à visage découvert car je me sens légitime à le faire et ne souhaite pas m’enfermer dans un statut de victime. Parler en donnant son identité permet d’incarner aux yeux des lecteurs ce que j’ai vécu. La honte doit changer de camp : ce sont les coupables, les prédateurs, ceux qui détruisent des vies, qui doivent avoir honte de leurs actes.
Quels éléments vous ont aidé dans ce cheminement ?
L’association La Parole libérée a joué un grand rôle. Sa pression permanente a contraint l’Eglise catholique à agir, mais, complice pendant des années, elle portera encore longtemps la responsabilité d’enfances brisées, de drames personnels et familiaux, de souffrances et de suicides.
Des temps forts m’ont permis d’aller mieux :
- La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) a remis un rapport accablant confirmant « le caractère systémique des violences sexuelles dans l’Eglise ». La société a découvert l’ampleur et la gravité des faits de pédophilie commis dans l’Eglise depuis des décennies. C’est terrible à dire, mais je me suis senti moins seul.
- Les autorités ecclésiastiques lyonnaises ont reconnu officiellement les abus sexuels du père Bernard Preynat à mon encontre dans un procès canonique et ont accepté de m’indemniser du préjudice moral subi.
- La mise en place de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) qui est d’une grande aide pour les victimes. Au-delà de la culpabilité de Bernard Preynat, l’Inirr m’a épaulé dans ma démarche de réparation.
- Un courrier de l’Archevêque de Reims, Président de la Conférence des Evêques de France, écrivant noir sur blanc qu’il reconnaissait la responsabilité de l’Eglise et qu’il présentait ses excuses.
Cette missive de l’Archevêque de Reims semble avoir été cruciale ?
Cette lettre fut une étape supplémentaire sur mon chemin de vie, importante et décisive, pour aller mieux. Je l’espérais. C’était la première fois que l’Eglise me présentait des excuses et prenait acte des conséquences délétères des agissements de Preynat. Ce courrier fut essentiel car il reconnaissait le rôle de l’Eglise dans ce que j’ai subi. Je l’ai attendu plus d’un an et j’ai relancé plusieurs fois l’Inirr à ce sujet. C’est ce qui a permis la reconnaissance de la faute et sa réparation. Il me semblait indispensable que l’Eglise reconnaisse enfin sa responsabilité. C’est chose faite. J’en prends acte.
Avez-vous encore des blessures ouvertes ?
J’ai des cicatrices et des blessures non cicatrisées subsistent. Nous en parlons souvent avec mon épouse à qui je souhaite rendre hommage pour sa patience et son accompagnement. Sans elle, je n’en serai pas là aujourd’hui. J’ai toujours, même si cela va mieux, une difficulté dans l’expression de mes sentiments. J’ai encore tendance à réprimer mon émotivité. Je me réfugie dans le monde intellectuel, dans celui des idées, pour me couper de mes émotions comme je le faisais enfant pour supporter l’insupportable, pour accepter l’inacceptable, pour vivre malgré ce que je subissais. Ce comportement est toujours présent. Il est à craindre que cela soit indélébile. On n’oublie pas, on vit avec car c’est ancré au plus profond de soi. Aujourd’hui, j’essaie d’apprécier pleinement le présent. Je suis inspiré par mon épouse qui m’ouvre la voix de ce carpe diem trop longtemps emprisonné.
Pensez-vous que le silence de beaucoup de parents les rende complices ?
Le silence des parents : j’y pense souvent et cette question me perturbe fortement. Je n’ai pas de réponse binaire : tout blanc ou tout noir. Je me demande pourquoi mes parents n’ont rien vu, pourquoi ils n’ont rien fait pour me protéger. Certes, je n’ai rien dit, mais certains de mes comportements auraient pu, auraient dû, les alerter. Il n’y a pas eu de réaction de leur part. J’étais seul face à ce prédateur qui, à l’occasion, venait manger à la maison. Comme le coupable entrait dans l’intimité familiale, je n’y étais pas en sécurité. Il n’y avait plus d’endroit où je pouvais être protégé. Cela a conduit à des comportements agités durant ma scolarité. Si mes résultats scolaires étaient bons, mon attitude posait problème. C’était sans doute une sorte d’appel de détresse afin d’attirer l’attention de mes parents. Sont-ils pour autant complices ? Je ne sais pas. Ce qui est certain c’est qu’ils n’ont rien vu ou qu’ils ne voulaient pas voir ? La question demeure. Ce que je peux affirmer c’est l’admiration de mes parents pour Preynat. Cela a certainement obscurci leur jugement et empêché leur clairvoyance. Eux aussi étaient sous son emprise.
« La parole des victimes doit être entendue sans arrière-pensée ; c’est là que tout commence, le premier geste non négociable de la protection de l’enfance ». Paroles du juge Edouard Durand ancien président de la CIIVISE.
Source image de une : Pixabay
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