[Rétro] Falaise, un spectacle hors norme à la Scène nationale d’Orléans

Pendant la trêve estivale, Magcentre prend le temps de revenir sur l’actualité qui a rythmé cette première moitié de l’année 2024. Nous vous proposons quelques articles qui ont marqué ces derniers mois.

Première publication vendredi, 9 février 2024


Le Baro d’evel, compagnie franco-catalane de cirque et de spectacle vivant, a présenté ce jeudi 8 février son spectacle Falaise. Inclassable comme la compagnie, il fait vivre une émotion simple et profonde, poétique, absurde, envoûtante. Dans une esthétique forte, contrôlée et efficace, la compagnie d’hommes et de bêtes nous entraine au cœur de la communication artistique.

Photo François Passerini


Par Bernard Cassat.


C’est un lieu de théâtre, une place de village, un décor de plâtre blanc peint en noir. Un vieux sous une lumière faible, un vieux clochard et des pigeons. Étonnement. L’ambiance s’installe, l’esthétique puissante de ce lieu agit, on commence à regarder partout, à imaginer. Et puis des bruits, des bouts de plâtre qui tombent, tout là-haut. Des pieds apparaissent, crevant le décor qui semble donner naissance à un corps de femme. Lentement elle sort, s’accroche sans efforts apparents, se laisse pendre. Le ton est donné.

Un incroyable numéro d’équilibre avec une échelle la fait passer de l’autre côté. Personnages noirs qui crient, gesticulent, se font tomber, s’évitent, roulent par terre, pendant que la femme blanche (la mariée ?) reçoit son bouquet de fleurs. La vie sur la place fait bouger les gens, il ne se passe rien mais ça n’arrête pas. La mariée, dans les hauteurs du décor, cassée en deux en arrière comme une contorsionniste, ne tient pas en place.

Photo François Passerini


Et c’est parti pour presque deux heures de cette vie de théâtre, de cirque, de folklore populaire, d’échanges, de jeu entre les acteurs. Avec des séquences comme autant de numéros. Par exemple celle des mariés (sans doute) arrivant dans des costumes noirs qui petit à petit se craquellent, se fendent. La gangue de plâtre noir qui les recouvrait se casse dans des bruits inquiétants, des morceaux tombent, et finalement ils se libèrent complètement. Mais ça prend du temps. Magnifique mutation de ce couple.

Une pieuvre humaine traverse la scène

À un autre moment, un corps social sort du décor. Dans un éclairage parcimonieux, un enchevêtrement de tous les acteurs, une masse indissociable, sorte d’hydre multi-corporelle, traverse lentement la scène comme une pieuvre, commence à monter sur le décor, rentre dans celui-ci par des ouvertures. Sans jamais se disloquer. C’est terriblement prenant, pas seulement comme image métaphorique, mais aussi comme prouesse théâtrale. Car on est vraiment à la croisée des genres scéniques. Parfois, des chorégraphies de groupe sur des airs de folklore amènent sur scène la danse contemporaine la plus élaborée. Et puis la musique, presque omniprésente, allant du baroque enregistré à une Murder Ballad de Nick Cave jouée et chantée sur scène, mais aussi des chansons espagnoles. Et un peintre enlumineur du décor qui tape le rythme avec ses pinceaux. Des passages à texte ramènent au théâtre. Mais à des textes absurdes, plutôt du côté des Deschiens, avec des phrases répétées mais en suspens, pleines de cet humour en creux que l’on comprend sans effort, même en anglais.

Photo François Passerini


Et puis un personnage extraordinaire, un cheval blanc, vient apporter son grain de sel, montre ses tours à lui et sa malice en discutant avec une villageoise. Il est bien sûr l’occasion d’images scéniques extrêmement poétiques. D’ailleurs avec ou sans lui, elles ne cessent de rythmer le spectacle. Comme cet homme nu (par la logique de la séquence d’avant) qui escalade lentement le décor et monte jusque dans les cintres alors qu’un autre personnage joue avec sa trompette un air déchirant d’émotion. Les lumières très travaillées baignent le tout dans une douceur mystérieuse. On rêve, de ces rêves ancestraux pleins d’images portées par de nombreux folklores, de nombreuses cultures populaires. On pense au monde yiddish et à ses histoires de mariages et d’enterrements. Car là aussi, la mort prend sa séquence, qui se termine tout de même dans un grand rire.

Puisqu’au bout du compte il ne s’est rien passé, « mais c’est déjà beaucoup », on se demande comment la scène peut être aussi poussiéreuse, le décor aussi abîmé. Cette question, ils se la posent eux-mêmes et c’est ainsi qu’ils terminent ce moment incroyable. On se demande ce qu’on a vu, ce qu’on a entendu, on est plein d’une émotion qui dure, d’un émerveillement. Et la salle comble a fait un triomphe à cette troupe hors norme.

Falaise par le Baro d’evel

 

Photo François Passerini


Plus d’infos autrement sur Magcentre : Romane Bohringer « Respire » à Orléans

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