Avec « Jardins du Val de Loire », Charlène Potillion, chargée de mission à l’Association des Parcs et Jardins de la Région Centre-Val de Loire (APJRC), signe là son tout dernier livre. Un très bel ouvrage illustré, riche d’éclairages et d’anecdotes, qui rétablit l’évolution historique de 47 jardins. Rencontre avec cette historienne d’art qui ne cache pas son inquiétude sur l’avenir de ces écrins aussi intimes que spectaculaires.
Propos recueillis par Estelle Boutheloup
Comment avez-vous sélectionné les jardins que vous détaillez dans ce nouveau livre « Jardins du Val de Loire » car tous les départements de la région ne sont pas représentés ?
Avant tout, ce ne sont que des sites labellisés « Jardins Remarquables » et uniquement les plus connus en Val de Loire, ceux qui parlent le plus aux visiteurs et aux lecteurs, là où il y a un riche terreau. Mais pas que. Il fallait aussi un ancrage historique, des sources iconographiques disponibles et un côté inédit : j’ai tenu en effet à faire découvrir des jardins méconnus comme le Domaine de Baudry en Touraine ou celui de La Fontaine dans le Loiret. Soit un total de 47 jardins accessibles au public à l’exception de deux ou trois ouverts sur demande.
Descriptions historiques, portraits, illustrations, photos… Comment avez-vous abordé l’écriture de ce livre, qu’apporte-t-il de nouveau ?
Dans le cadre de mon travail, je participe à de nombreuses fêtes des plantes où j’échange beaucoup avec les visiteurs. À Villandry, j’entendais souvent dire : « C’est un magnifique jardin Renaissance ! ». Et je répondais : « Non ! Les jardins actuels datent du début du XXe siècle ! Et avant c’était un très beau jardin anglais ! » Voilà comment l’idée est arrivée. De cette envie de replacer les choses, de restituer ce qui avait pu exister auparavant car les jardins sont éphémères, ils passent… Alors j’ai voulu rétablir leur évolution historique jusqu’à maintenant d’après une reconduction photographique : une photo témoin à un instant T qui donne une idée du jardin d’une époque à une autre. L’idée était de mettre aussi le végétal au même niveau que le monument. Car le jardin a souvent tendance à s’effacer derrière un château, une demeure… alors que c’est un écrin qui instaure un dialogue avec l’architecture. Et en cela, je trouvais important de le remettre au centre de l’attention.
Au fil des pages, vous donnez aussi des clés, des connaissances, des éclairages pour mieux appréhender la visite des jardins…
En effet. Chaque jardin est un prétexte à en découvrir un peu plus : la neige qui n’est pas toujours mauvaise pour la nature, le savoir-faire des jardiniers et l’art de l’espalier dont Talcy est une référence, les danses des abeilles, ou encore les fleurs et la phyto-acoustique. Savez-vous pourquoi certaines fleurs ont des pétales en forme parabolique ? C’est pour capter les vibrations des insectes pollinisateurs et ainsi les attirer en produisant plus de nectar. Et produire plus de nectar c’est survivre dans une telle concurrence végétale. Même chose en agissant sur la couleur, la température et la lumière. Dans cette lecture, j’ai voulu joindre l’utile à l’agréable en donnant quelques clés pour comprendre un jardin.
Et des anecdotes aussi…
Oui, comme cette éléphante reçue en cadeau par la Princesse de Broglie du Maharaja de Kapurthala au château de Chaumont-sur-Loire et pour laquelle il a fallu dimensionner les écuries à la taille du pachyderme. Ou encore le cimetière des chiens de cette même princesse.
Avez-vous un jardin préféré ?
Non. Mais certains jardins me touchent plus que d’autres comme celui d’André Ève, obtenteur de nouvelles variétés de roses et précurseur sur la non utilisation de pesticides, ou celui de la Demeure Francis Poulenc, l’un des rares jardins de maison de musicien. Pour d’autres, c’est le savoir-faire de jardiniers ou le témoignage de propriétaires ou gestionnaires qui s’investissent dans les jardins, les valorisent et les préservent qui me touchent.
Comme tout site touristique, les parcs et jardins doivent sans cesse attirer de nouveaux visiteurs. Comment les propriétaires renouvellent-ils leur offre ?
En captant l’air du temps… Et la tendance a changé. On vient de plus en plus pour découvrir un jardin, une collection botanique particulière, pour s’inspirer aussi et recréer un modèle chez soi. Les propriétaires tentent aussi de sensibiliser le jeune public à la nature et d’aborder des thématiques tendance : fleurs comestibles, circuit-court, association de fleurs spontanées à celles que l’on va planter, pollinisation…
Comment les jardins évoluent aujourd’hui ?
Ils sont en danger pour différentes raisons : les jardiniers se font de plus en plus rares et avec eux leur savoir-faire qui demande une formation spécifique pour travailler dans les jardins historiques. Le problème de la ressource en eau pour les fontaines et les bassins, l’adaptation des végétaux aux changements climatiques – un véritable enjeu notamment pour les arboretums qui vont devoir protéger leurs collections d’arbres et d’arbustes –, les insectes invasifs aussi, la fermeture des milieux avec des pertes de perspectives quand certains sites par exemple redessinent leurs jardins pour cacher une vue sur des éoliennes… L’urgence c’est l’adaptation. Les jardins évoluent et doivent s’adapter pour répondre à des modes esthétiques, à des usages pratiques mais aussi à la pression touristique et aux piétinements des visiteurs.
Cela veut dire envisager des quotas de visite pour certains jardins ?
Ce n’est pas à l’ordre du jour. C’est pourquoi il est primordial d’apporter des éclairages au public et de partager avec lui autant de connaissances que possible.
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