30 ans après le génocide rwandais, les voix des survivants se font entendre au Cercil

Il y a trente ans, le 7 avril 1994, le Rwanda connaissait sur son territoire le premier jour d’un génocide terrible sur la population tutsi qui durera trois mois. Le Cercil commémore ce chapitre de l’histoire, qui est le dernier génocide du XXe siècle, encore si proche, avec une exposition qui s’est ouverte le 7 juillet dernier et accessible jusqu’au 22 septembre.



Asmaa Bouamama



Éclairage sur les années qui ont précédé

L’exposition retrace chaque étape qui a conduit à ce génocide. Le Cercil souhaite commémorer, mais aussi chercher à élucider les mécanismes communs à tous les génocides, et dans le cas du Rwanda on retrouve des phénomènes communs à bien d’autres épisodes sombres de l’histoire. Si le génocide commence le 7 avril 1994, l’exposition offre une rétrospective de toutes les décennies qui ont précédé ce jour où l’horreur advient au lendemain de l’attentat qui tue le président Habyarimana. « C’est l’événement qui sert de prétexte à désigner les Tutsi comme responsables et comme boucs émissaires », explique Annaïg Lefeuvre, anthropologue et responsable du Cercil.

On reconnaît les mécanismes qui obéissent à une paranoïa et qui opèrent une contagion délirante qu’Ariane Bilheran, philosophe et psychologue, décrit dans son livre « Psychopathologie du totalitarisme ». Les Hutu organisent une auto-défense vis-à-vis des Tutsi, et le génocide s’exécute au nom d’un système qui se défend d’un ennemi. « Si on ne les tue pas, ce sont eux qui nous tueront », tel est le mantra du génocide comme le rappelle Annaïg Lefeuvre. Et il faut retracer les décennies qui précèdent les massacres pour comprendre comment le pouvoir rwandais avait rendu possibles ces idées par une propagande qui fait circuler un discours d’épuration ethnique, un mode de harcèlement, des discriminations sociales et des fichages d’identité. Quand le génocide commence, c’est à ciel ouvert qu’il est commis, aux yeux de tous et le danger est partout pour les Tutsi qui entendent les appels médiatiques à « ne pas les laisser s’enfuir ». Les crimes sont organisés d’une façon effroyablement perverse, les lieux de massacres sont choisis comme étant des endroits symbolisant la sécurité. Les hôpitaux, les écoles, les églises deviennent les théâtres de bains de sang. En trois mois, plus d’un million de Rwandais seront assassinés. S’il y a eu des procès, les bourreaux sont encore recherchés et beaucoup se sont enfuis, en France notamment.

Leiny Munyakazi, rescapée et témoin de ce chapitre historique

C’est un témoignage rare, précieux et poignant que livre Leiny Munyakazi au Cercil à l’occasion de l’ouverture de l’exposition. Elle avait 33 ans en 1994, et deux enfants, des frères et sœurs. Aujourd’hui elle est la seule survivante de sa famille. « Je n’étais pas née que les Tutsi étaient déjà menacés au Rwanda, mais les parents ne parlaient pas trop, pour ne pas faire peur aux enfants », se souvient-elle. Sa scolarité porte la trace des discriminations qui s’exerçaient sur la population en amont du projet macabre d’extermination. Elle est refusée à plusieurs reprises dans son école en raison de son appartenance ethnique. « On nous demandait la carte d’identité partout », explique-t-elle.

Leiny Munyakazi. Photo A.B.


Leiny Munyakazi raconte avec une précision frappante le récit de ces années au Rwanda et particulièrement les mois pendant lesquels sa vie bascule. Son frère aîné alors professeur d’histoire-géographie est arrêté puis emprisonné à 34 ans, ressort après trois mois de prison et de mauvais traitements puis décède peu de temps après. « Là, on a eu peur », explique Leiny Munyakazi. Son récit est semé de tournants irrévocablement terribles, comme la mort du président que son autre frère lui apprend le soir du 7 juillet, en ajoutant : « S’il est mort, sache que c’est la fin de notre vie ». Leiny se souvient avoir senti son cœur sauter à ce moment précis. En avril 1994, ce sont les vacances de Pâques, et elle décide de laisser ses enfants chez sa sœur à la campagne. « J’avais le cœur serré mais je n’avais pas le choix. J’ai préféré les amener en province, c’était plus calme, je me disais qu’au moins mes enfants vont dormir un peu ». Son frère est assassiné le sept au matin et quelques jours plus tard, c’est sa sœur qui lui téléphone pour lui dire que les Tutsi ont été tués dans la nuit, lui ajoutant une phrase bouleversante et difficile à oublier pour quiconque a entendu ce témoignage. « Sois courageuse, si on ne se reparle pas, on se retrouvera au ciel ». Les jours passent, l’horreur s’abat sur le pays et Leiny apprend le décès de son frère, sa sœur et ses enfants.

Elle parvient à se cacher puis à s’enfuir au terme d’un long périple de calvaire. « Après, c’était la survie, je n’ai parlé qu’en France. Je ne m’imaginais pas vivre comme ça, sans mes enfants, j’ai décidé de vivre. Si la mort n’a pas voulu de moi, je dois représenter ma famille », confie-t-elle. Aujourd’hui Leiny Munyakazi a fondé une association de rescapés du génocide du Rwanda, “Tubeho Family“, et dans un livre publié en 2020, « Rwanda 1994, paroles de rescapés – témoignages du génocide perpétré contre les Tutsi » aux éditions l’Harmattan, elle livre son histoire au côté d’une dizaine d’autres survivants. En évoquant son association, elle précise que “Tubeho” veut dire “vivre”. Symbole de l’espoir et de la résilience de ceux qui, comme Leiny, continuent de témoigner pour que leur passé ne soit jamais oublié.


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Commentaires

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  1. Le rôle joué par la radio des mille collines dans ce génocide doit nous alerter sur le danger que représente l’empire médiatique de Bolloré en France.

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