Sylvie Boivin est tourangelle. Avec sa Compagnie Aparté, elle présente alternativement, « Duras / Pivot. Apostrophes » en nous faisant revivre la rencontre de l’écrivaine et de l’homme de télévision, et « Gisèle Halimi, une farouche liberté », d’après le texte écrit sous forme d’interview avec l’autrice Annick Cojean. Parlons du second spectacle.
Par Bernard Thinat
Comédienne depuis plus de trente ans, Sylvie Boivin a plongé souvent dans le théâtre contemporain et travaille aujourd’hui avec le metteur en scène Jean Chollet. Elle confie qu’elle aime beaucoup les textes forts, les rôles de femmes à caractère. Elle défend « un féminisme avec les hommes », dit-elle.
Sylvie Boivin plaidant – Photo Cie Aparté
C’est Jean Chollet, de nationalité suisse, qui a découvert ce petit volume, « Une farouche liberté », dans lequel Gisèle Halimi refait le parcours de sa vie, et se confie-t-il, « dès la lecture, je me suis dit, ça, c’est un rôle pour Sylvie Boivin, elle va sauter dedans à pieds joints, c’est une langue qu’elle va aimer ». Dans son adaptation, il a réintroduit des tranches significatives de ses plaidoiries, parce que dit-il, « elles sont brillamment écrites dans un argumentaire éblouissant ».
Le spectacle a été joué plus d’une centaine de fois depuis sa création en 2021, dans un tribunal à Valence devant avocats et procureurs, dans un pénitencier, dans une école d’avocats, ainsi qu’à Tours au « Bateau ivre ». Sylvie Boivin regrette de n’avoir jamais rencontré Gisèle Halimi (décédée en 2020), en revanche elle a échangé avec Me Henri Leclerc qui lui a parlé du « caractère entier » de Gisèle.
La pièce
Le public reste scotché à la voix de l’artiste, tant Sylvie Boivin incarne à merveille l’avocate, sans un instant de relâche, la parole est claire, forte, parfois piquante, dérangeante, mais toujours argumentée, avec une conviction et une éloquence de tous les instants.
Sylvie Boivin s’avance, en robe d’avocate, à la barre du tribunal. Elle plaide de sa voix énergique, convaincante. Puis, quittant sa robe noire, la voilà, tailleur rouge sang (femme de gauche bien sûr), chemisier noir. La vie de Gisèle défile, de son enfance en Tunisie, dans une famille où les garçons sont destinés aux études et les filles à la maison. « Je suis née du mauvais côté », s’exclame-t-elle. Phrase terrible !
Sylvie Boivin – Cie Aparté
Départ à Paris, avocate à 24 ans, retour au Maghreb, défense de Djamila Boupacha, abominablement torturée par l’armée française, qui rappelle « la Question » d’Henri Alleg. Puis c’est la demande de grâce auprès de De Gaulle pour deux femmes algériennes, que Gisèle obtient. « Deux femmes sauvées », dira-t-elle. Et c’est en 1972, le procès de Bobigny (1) emblématique de l’avortement de Marie-Claire, violée, et dénoncée par son violeur. Plaidoirie exceptionnelle dans un prétoire où 4 femmes sont jugées par 4 hommes. Acquittement pour Marie-Claire (2), ce qui conduira à la loi Veil en 1975. Gisèle Halimi entrera à l’Assemblée nationale en 1981, obtiendra la dépénalisation de l’homosexualité dans un hémicycle masculin, et pas franchement convaincu. Retour rapide au barreau, qui est en fait sa vraie place.
Réflexions
Jean Chollet : « On a beaucoup reproché à Gisèle Halimi d’utiliser le public, le peuple, pour faire pression sur le système judiciaire, ce qu’elle a fait fort habilement, quand elle divulgue des secrets de l’instruction : normalement un avocat ne fait pas ça. Mais sa conviction était que pour faire changer les lois, il fallait transgresser. »
(1) Mélanie Rousset, nouvelle Directrice du CDN d’Orléans, a programmé « le Procès de Bobigny » en mai 2025, pièce qu’elle a créée en 2019, actualisée en 2024. Le public est invité à se déplacer librement d’espace en espace afin d’écouter, casque sur les oreilles, une quinzaine d’interprètes artistes.
(2) Marie-Claire est décédée à Orléans en 2022.