Les paradoxes du Tour de France

Le Tour de France a fait étape en région Centre-Val de Loire. Un départ à Orléans, une arrivée à Saint-Amand-Montrond, un parcours fait de Sologne, de Champagne Berrichonne et de Boischaut pour une traversée de France profonde. Le spectacle était gratuit. La course coûte un bras. Les acteurs roulent à vélo. La caravane et les officiels marchent au diesel et à l’électrique. Les paradoxes sont nombreux sur cette grande boucle à inscrire au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.

Depuis des lustres, les deudeuches aux saucissons roulent devant le peloton. Photo Magcentre


Par Fabrice Simoes


Tous les ans, début juillet, à moins d’une pandémie et ce n’est quand même pas très souvent, le rendez-vous est incontournable. Le Tour de France, ses coureurs qui vont vite, ses coureurs qui vont moins vite, ses coureurs qui sprintent, ses coureurs qui grimpent et tutti quanti, font les Unes des journaux. Seule une dissolution de l’assemblée est susceptible de troubler cette main mise sur l’actualité hexagonale estivale. À chaque édition ses histoires de sports et ses histoires tout court. Le TdF est ainsi fait que, bon an, mal an, il génère autant de satisfaction que de frustration. Et ce n’est pas là sa seule contradiction.

Sur l’herbe verte des bords du canal de Berry, du côté de Thénioux, dès lundi soir les camping-cars étaient alignés. Ils étaient là, bien rangés, bien décorés aux couleurs des maillots des équipes présentes pour la 111ᵉ édition de la grande boucle. Le lendemain la 10e étape passait par là ! Oups, au petit matin de ce mardi cycliste les camping-cars ont disparu de l’image bucolique. Les élus locaux interpellés par l’organisation ont dû faire le ménage pour avoir la bonne image. Au moment de la traversée de la commune, plus connue par ses passeurs de la ligne de démarcation que par ses envahissements de chaussée, de bonne image il n’y eut pas : c’était l’instant pub à la télé. Ce n’est pas grand-chose mais c‘est aussi la démonstration de toute l’ambiguïté d’une mariée qui veut toujours, face à son miroir, être la plus belle.

Quand la caravane passe, les générations restent, les sonos aboient

Spectacle de 2 heures gratuit et populaire, et 150 véhicules dédiés, pour retraités en goguette, pour vacanciers en vacances, pour écoliers en rupture estivale de classe, pour mémère à son chien-chien – attaché le chien – et pépère à son demi sans mousse – le faux col c’était avant – le TdF est un moment festif où se retrouvent toutes les générations. Et instructif… D’ailleurs il suffit d’assister au passage de la caravane publicitaire pour connaître l’état de forme de la nation. Tant que, sur le Tour, les papys et les mamies seront aussi souples, aussi rapides, aussi alertes que leurs petits-enfants, ou ceux de leurs voisins de table de camping, on n’aura pas besoin de s’attarder sur la diagonale du vide médical, sur celle des transports en commun, ou sur l’éducation.

Et quand la caravane passe, on l’entend aussi fort qu’un concert de IAM sonorisé par un ingé fou. Tous âges confondus, on s’aligne sur le bord de la route pour ramasser le plus de goodies possible. À la fin, certains vont même jusqu’à les étaler comme pour un tableau de chasse un dimanche de « fermé » au cœur d’une propriété privée solognote. Depuis les carrosses siglés d’une grande surface, d’un fabricant de pneu ou d’un département, tombent alors les gadgets, les casquettes, les sachets de bonbons, et les maillots lancés d’un geste plus précis qu’altier de jeunes rois et reines du merchandising. Avant Covid, des députés et des ONG avaient appelé à bannir les goodies en plastique, pour « faire entrer le Tour dans une boucle plus vertueuse ». Attrapé en plein vol comme un ouvre-bouteille en cochonium d’un grand distributeur français de produits volailler, l’idée a fait son chemin. Les tee-shirts à pois sont en polyester recyclé et à base de coton issu de l’agriculture biologique, par exemple. Qu’ils soient fabriqués au Bangladesh et transitent par la Pologne augmente un tantinet le bilan carbone.

Un bilan que le TdF semble pourtant avoir pris en compte. L’organisation a pris des mesures pour limiter les émissions de CO2 de la course. Une petite ville et 2 000 véhicules qui se déplacent ça en fait quand même, même si les moteurs hybrides et électriques sont de plus en plus nombreux dans le peloton des suiveurs. Selon ASO, les émissions de CO2 ont baissé de 40 % entre 2013 et 2021. Elles seraient passées de 341 000 à 216 000 tonnes. Vous nous direz que ça en fait encore de trop mais …

Le Tour de France est bien un paradoxe à lui tout seul entre modernité et passéiste, entre madeleine de Proust et avatars de Game of Thrones, et tous les ans il se renouvelle.

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