« Les Fantômes » : la force d’un thriller pour que justice soit faite

En Europe, des rescapés des horreurs syriennes traquent leurs bourreaux pour les faire comparaitre devant la justice. Avec un acteur époustouflant, Adam Bessa, Jonathan Millet livre un film trépidant et subtil qui parle des horreurs sans les montrer, et des séquelles de la guerre en Syrie. Un thriller fictif ou tout est vrai, dans une mise en scène magnifique.

Hamid (Adam Bessa). Photo Films Grand Huit – Kris Dewitte

Par Bernard Cassat

Jonathan Millet a parcouru le monde en filmant pour des banques d’images, puis a réalisé des documentaires, notamment Ceuta, douce prison sorti en 2014. Avec Les Fantômes, il raconte une histoire très documentée sur les horreurs syriennes. Nombre de Syriens, autant victimes que bourreaux, ont réussi à s’exiler. Et en Europe se sont montés des groupes de chasseurs de bourreaux, comme ceux qui chassaient les nazis après 45.

Jonathan Millet a choisi de suivre Hamid, un jeune homme professeur de littérature, laissé dans le désert par des militaires. Cette première scène avant générique sera la seule montrant directement l’atrocité du drame vécu par ces gens.

Adam Bessa et Julia Julia Franz Richter dans le rôle de Nina, une militante du groupe. Photo Films Grand Huit – Kris Dewitte

La traque de tortionnaires ressemble évidemment beaucoup à de l’espionnage. Tout le monde a changé de nom, d’apparence. Tout le monde se dissimule. Les papiers sont en général faux. Et non seulement ces gens se suspectent entre eux, mais en plus sont clandestins en Europe. Le visage devient le véritable papier d’identification. Hamid n’a qu’une photo floue pour chercher son tortionnaire. Celui-ci en effet enfermait la tête des prisonniers dans des sacs. Hamid a subi ses tortures, mais ne l’a jamais vu. Jonathan Millet filme au plus près les visages, celui de Hamid mais aussi les autres, parce que la recherche des membres du groupe ressemble vraiment à un travail de chien de chasse. Renifler l’odeur, saisir la voix, capter la démarche… La première fois qu’Hamid repère un homme qui pourrait être celui qu’il cherche, c’est dans un hall de la faculté de Strasbourg, avec une paroi arrondie. Moment formidable que cette image ou l’un suit l’autre, qui continuellement disparaît.

Harfaz “le chimiste” (Tawfeek Barhom) et Hakim. Photo Films Grand Huit – Kris Dewitte

Des pistes, il faut en suivre pour traquer et être certain. Hamid montre la photo dans des vestiaires de chantiers, enquête dans des camps de réfugiés où il est plus ou moins bien reçu. Tous les Syriens ont peur, des pro-Bachard enquêtent eux aussi. On est vraiment au cœur de réseaux d’espionnage, ce qui donne au film, au delà de l’atrocité originelle, un suspens de thriller. On navigue ainsi dans tous les lieux de réfugiés, les bureaux de l’Ofpra aussi. Car Hamid, pour l’enquête, doit rester à Strasbourg. Or il est arrivé en Europe par l’Allemagne, dont il dépend administrativement. Et même à sa mère, réfugiée dans un camp au Liban avec il communique en visio, il dit être à Berlin.

Comment être certain que l’homme qu’il piste est bien son tortionnaire. Il s’est déjà trompé une fois, veut à tout prix être sûr. Hamid écoute des témoignages enregistrés par d’autres membres du groupe, témoignages de tortures effectuées par « le chimiste », le surnom de son tortionnaire dans la prison de Saidnaya. Il s’oblige a revivre ces moments insoutenables pour saisir des détails qui lui confirment ce qu’il ressent.

Un prodigieux acteur

Visage en très gros plan, les yeux qui s’humidifient, une larme qui apparaît. Discrète. Les images de ce visage d’Hamid sont à couper le souffle. C’est celui d’Adam Bessa, absolument époustouflant. Ce franco-tunisien arrive à tout dire dans un jeu minimaliste très fort. Lorsqu’il converse avec sa mère de l’autre côté de l’écran, les regards qu’il arrive à nuancer, cette souffrance toujours en arrière plan dans ses yeux, l’énergie de la douleur. Adam Bessa montre magistralement cela, Dans le métro, derrière celui dont il croit que c’est lui, la tension palpable qui s’empare de lui, il va le pousser sous la rame qui arrive… Scène de grand thriller totalement contrôlé. Grâce aux acteurs (Tawfeeq Barhom, qu’on avait vu dans la Conspiration du Caire, incarne le chimiste), mais aussi à la mise en scène nerveuse et capable de saisir en deux images un camp de réfugiés, un jardin de rencontre, la chambre nue dans laquelle vit Hamid, où il revit son calvaire.

Tout est à sa place dans ce film, comme la communication entre les membres du groupe à travers un jeu de guerre sur Internet, qui ressemble à s’y méprendre à la réalité syrienne ! Comme chez un Robert Litell pour les romans, tout est vrai dans cette fiction magnifiquement cinématographique.

Plus de ciné sur Magcentre: Au cinéma des Carmes, on va danser tout l’été

Commentaires

Toutes les réactions sous forme de commentaires sont soumises à validation de la rédaction de Magcentre avant leur publication sur le site. Conformément à l'article 10 du décret du 29 octobre 2009, les internautes peuvent signaler tout contenu illicite à l'adresse redaction@magcentre.fr qui s'engage à mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la suppression des dits contenus.

Centre-Val de Loire
  • Aujourd'hui
    16°C
  • lundi
    • matin 14°C
    • après midi 17°C
Copyright © MagCentre 2012-2024