La quatrième circonscription d’Indre-et-Loire : « une France miniature, un très bon test politique »

Dans une campagne éléctorale particulièrement courte et donc incertaine, Magcentre vous propose par la plume de Joséphine d’analyser une circonscription d’Indre et Loire pouvant faire figure de test tant par sa sociologie que par son histoire politique.

Par Joséphine

« 37-04 » comme disent les initiés est une circonscription assez hétérogène. Elle regroupe Joué-les-Tours, deuxième ville du département, avec de nombreux quartiers HLM où habitent pas mal de classes populaires, Ballan-Miré, commune périurbaine concentrant des classes moyennes supérieures, Chinon, sous-préfecture et petite ville plutôt dynamique grâce à son patrimoine touristique mais on y trouve aussi pas mal de villages en déprise avec une population souvent vieillissante, par exemple dans la zone de l’Ile-Bouchard. Une sorte de condensé de la France périphérique, avec une tradition de bonhomie politique chez les élus, historiquement plutôt centristes ou du moins modérés depuis 40 ans.

A gauche, une campagne qui roule

« On voit tout le monde sur les marchés, des jeunes des quartiers super motivés et qui se sont politisés via les campagnes de la France Insoumise depuis quelques années, des gens issus des classes moyennes et du monde de la culture qui s’investissent vraiment pour la première fois avec la dynamique liée au Nouveau Front Populaire et la peur d’un RN aux portes du pouvoir, des personnes plus âgées plutôt de centre-gauche et qui hésitent à voter pour nous à cause de la figure de Mélenchon et puis aussi des individus dégoûtés de la politique, qui refusent les tracts, quelques fois agressifs et qui annoncent résister en votant RN. C’est une France miniature, ce scrutin sera particulièrement intéressant et très symptomatique de ce qui se joue politiquement dans cette phase» confie Laurent Baumel, candidat Nouveau Front Populaire, cadre socialiste assez connu, ancien maire de Ballan-Miré, député frondeur de la première heure sous Hollande et candidat malheureux à la députation en 2017 puis 2022, même s’il avait échoué de très peu, à l’époque avec l’étiquette NUPES .

Et si la circo représente bien les dynamiques électorales de la France, Laurent Baumel incarne de son côté les mutations du socialisme post-mitterrandien. Tenté dans les années 90 par un républicanisme intransigeant qui porte des valeurs plutôt qu’un projet social, signe d’un passage à vide du PS, en panne après l’usure du pouvoir et l’effondrement de l’expérience communiste soviétique, il intègre le mouvement de Jean-Pierre Chevènement. Laurent Baumel revient rapidement dans la vieille maison socialiste lors du tournant Jospin et la construction de la gauche plurielle avant de s’intéresser dans les années 2000 aux raison des échecs électoraux de la gauche, notamment par la domination d’une culture techno-ministérielle au PS qui a coupé le parti de ses bases populaires traditionnelles.

Figure de proue des frondeurs dès 2014, identifié comme anti-vallsiste, il sera vent debout contre le projet de déchéance de la nationalité en 2016. Laurent Baumel fait donc partie de cette gauche tout à fait réconciliable avec ses autres sensibilités, partisan de la ligne d’Olivier Faure au PS et unioniste militant depuis 2022, union qu’il fait d’ailleurs vivre dans son équipe de campagne, sa colistière étant issue de la FI, tout comme certains de ses soutiens de poids dans la circonscription, par exemple Romain Fredon, Insoumis et animateur d’un groupe transpartisan à Joué-les-Tours visant la préparation des municipales de 2026. Dans cette configuration et avec une bonne connaissance du terrain, Laurent Baumel semble incarner de manière sincère et légitime le programme de rupture du Nouveau Front Populaire, notamment sur le plan économique, lui qui a été à la direction des études au PS ainsi qu’à la commission des finances de l’Assemblée Nationale.

Au centre-droit, une campagne d’impasse

Contrairement à 2017 où elle avait été raillée pour son inexpérience et ses maladresses à répétition et à 2022 où lui avait reproché son côté députée béni oui-oui qui n’avait servi qu’à valider les choix de l’exécutif, continuant en parallèle de son mandat ses activités dans le coaching, le scrutin de 2024 met en scène une Fabienne Colboc plus consistante politiquement. Mais avec la dissolution surprise, on sent tout de même la candidate sortante à l’orée d’une sacrée impasse.

Sympathique, plutôt appréciée, accessible, soutenue par pas mal de maires de petites communes qui la connaissent et même par l’ancien maire PS de Joué, Philippe le Breton, il est vrai en froid avec son parti après avoir laissé une empreinte managériale disons diversement appréciée, Fabienne Colboc est néanmoins un peu perdue. On ne la voit plus arborer fièrement son macronisme militant d’antan qui disparaît d’ailleurs de ses affiches, ni participer à l’hystérie langagière de son parti qui renvoie dos à dos les « extrêmes » RN et NFP, alliance affublée par les amis de Mme Colboc de toutes les outrances, antisémite pour certains, marxiste-confiscatoire pour d’autres, dont Bruno Le Maire, visiblement plus à son aise en « renfoncements bruns » qu’en analyses macro-économiques. Du reste, on imagine mal Mme Colboc se saisir du vocabulaire carrément alarmiste annonçant une guerre civile à venir, comme l’affirmait Emmanuel Macron hier, en une inquiétante interview-roue libre, davantage irresponsable et cynique que lyrique.

Dans cette configuration et avec l’assurance d’une groupe présidentiel réduit à la situation de spectateur embarqué des blocages politiques à venir, quelle place peut-il rester pour le macronisme de gauche dont se réclame Mme Colboc ? Elle qui avait déjà refusé de voter la loi immigration il y a quelques mois, prenant un risque tout à son honneur, se débarrassant un peu de son statut de députée-godillot, elle semble plus que jamais orpheline d’une ligne politique claire. Fabienne Colboc déclarait alors « qu’il faut faire attention. Il faut pas commencer le premier glissement vers le Rassemblement national et aujourd’hui mon vote exprime cela. C’est combattre les extrêmes, le populisme, Il faut faire attention. Là, il y en a un sur la préférence nationale et cela n’est pas acceptable ». Bravo… mais quel espace politique lui reste-t-il concrètement ? Est-elle vraiment lucide quand elle continue de parler d’un bloc central qui fera barrage à l’extrême-droite quand on voit les mots utilisés et assumés par le chef de l’État, parlant « d’immigrationisme » et propageant des fake-news transphobes la semaine dernière ? On atteint là les limites du ni de droite ni de gauche en vogue en 2017.

Sur le fond, Mme Colboc promet de ne pas voter des augmentations d’impôt tout en rassurant les petites communes rurales au sujet de fermetures pourtant prévues de classes primaires. Idem pour les généreuses promesses faites à l’Hôpital de Chinon qui traverse une grave crise à cause… des choix budgétaires restrictifs d’Emmanuel Macron, et ce alors que de toutes façons, des engagements d’austérité ont été pris à l’avenir auprès de la Commission Européenne et des agences de notation. Là aussi, on touche à d’autres limites, celles du « en même temps macronien de 2017 ».

Et qu’en sera-t-il des sujets fétiches de Mme Colboc, notamment la culture et l’audiovisuel, qu’on imagine assez mal défendus par un macronisme qui a mis au pas Radio France et qui s’apprêtait à porter une réforme qui inquiétait beaucoup les professionnels. Que fera-t-elle dans un groupe minoritaire pour défendre le service public de l’audiovisuel menacé de privatisation pure et simple par un RN qui verrait bien un paysage médiatique plutôt calqué sur Cnews, C8 et Europe 1, les chaînes de l’ami Bolloré ?

Un RN en embuscade

Non qualifié au second tour en 2022, le parti d’extrême-droite se sent cette fois pousser des ailes dans le sud-Touraine, d’autant plus avec le retrait du candidat Reconquête sur la 37-04 et un probable vote utile de pas mal d’électeurs LR, davantage sur la ligne Ciotti que sur celle des barons locaux et nationaux du parti.

Le parti lepéniste s’appuie ici, comme en 2022, sur Jean-François Bellanger, ancien gendarme toujours réserviste et chargé de questions de sécurité à l’Éducation Nationale. Refusant l’étiquette d’extrême-droite, se déclarant comme simple patriote et partisan de l’union des droites, il allie un profil de militant frontiste classique avec une coiffure « bien dégagée derrière les oreilles » qui dénonce publiquement tour à tour le « cancer wokiste qui a métastasé les dirigeants», « l’écriture inclusive », la « clique au pouvoir », les « traîtres à la nation du Conseil Constitutionnel », les « ONG immigrationistes et cosmopolites subventionnées », « les prières de rue » – quitte à s’appuyer sur un article qui date de…2011 – et la « submersion migratoire arabo-musulmane » qui nous a fait devenir une véritable « Francistan ». A l’inverse, ce fan de tri et d’armes à feu vante la « croisade pour sauver le royaume de France », l’héroïsme de Charles Martel, l’AFD allemand et la « remigration massive », tout en idéalisant une armée-rempart face à la décadence sociale et en soutenant publiquement des groupes identitaires catholiques intégristes et la libération immédiate du policier qui avait tiré sur Nahel l’été dernier. Bon petit soldat, il devient plus calme en période de campagne, assumant un programme light, formellement axé sur le pouvoir d’achat, la sécurité et le contrôle migratoire. Cependant, très peu identifié sur le territoire et partageant la culture de la discrétion pour éviter les dérapages et les engagements qui ne pourront être tenus, M. Bellanger intervient peu et se réfugie derrière une affiche qui met d’abord en avant les têtes de gondole du parti, « Marine et Jordan ».

Un résultat serré

Le résultat à l’issue du premier tour s’annonce ici assez serré et avec une triangulaire possible, se posera la question de l’attitude face au RN pour le candidat le moins bien placé entre Colboc et Baumel. Il semble que le Nouveau Front Populaire soit assez clair à ce sujet, ce qui est loin d’être le cas des macronistes, eux qui ont demandé ce même barrage en 2017 et 2022 avec un Emmanuel Macron qui déclarait avec des trémolos dans la voix que le vote de soutien de la gauche « l’obligeait ». On a vu de quelle manière depuis… Espérons, si le cas se présente, que les élus de terrain et les citoyens du centre et de la droite modérée seront plus responsables et conséquents qu’un président en plein naufrage politique.

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  1. Pour les prières de rues, il faudrait expliquer celles qui se font à l’Ile Bouchard avec le soutien de la communauté de l’Emmanuel. Des prières “Catho” qui donc ne gênent personne. Il y a quelque temps, elles se faisaient au calvaire de la Garnauderie le Mercredi soir à 18 heures. Je ne sais pas si elles existent toujours.

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