La malédiction de la dissolution, de la Révolution à Macron. Soumission ou démission ?

Le président de la République a justifié sa décision inattendue de provoquer des élections législatives par la nécessité de « clarifier la situation ». Est-ce la perspective la plus probable ? Si les recompositions s’accélèrent, la dissolution pourrait déboucher sur l’élection d’une assemblée ingouvernable.

Une Tribune de
Pierre Allorant, Professeur d’Histoire du droit et des institutions, Président du Comité d’Histoire parlementaire et politique
Walter Badier, Maître de conférence en Histoire politique, Secrétaire général du Comité d’Histoire parlementaire et politique


En déplacement le 21 juin à Courrières, lieu de mémoire des mineurs, Marine Le Pen a affirmé que la seule solution pour sortir d’un tel « blocage politique » serait la démission d’Emmanuel Macron qui devrait, soit se soumettre à une majorité absolue, soit démissionner. Si l’actuel chef de l’État a affirmé son intention de poursuivre son mandat jusqu’en 2027 quoi qu’il en…soit, la question se posera dès le 7 juillet au soir. Une telle alternative rappelle la menace adressée, il y a 150 ans, par Léon Gambetta au président de la République, Mac-Mahon, lors de la crise fondatrice de la IIIe République : « Quand le pays aura parlé, il faudra se soumettre ou se démettre ».

La dissolution, arme délicate pour le Chef de l’exécutif

L’arme de la dissolution de la Chambre élue par le peuple français est lourde de conséquences. Dès la Révolution, la décision des représentants du Tiers-État de se constituer en Assemblée nationale conduit Louis XVI à menacer les députés, repliés au Jeu de paume, de dissolution.
La naissance du parlementarisme sous la Restauration est scandée par des dissolutions : Louis XVIII, après avoir dissout la Chambre des Cent-Jours, met un terme à la domination des « ultra-royalistes » par la dissolution de la « Chambre introuvable » en 1816. À l’inverse, son frère Charles X, par l’abus de l’usage de la dissolution, précipite la chute du régime : face à « l’Adresse des 221 » députés, pour retrouver une majorité à sa convenance, le roi dissout la Chambre des députés le 16 mai 1830, crise qui s’achève par l’avènement du régime orléaniste en juillet.

L’échec de la dissolution de 1877, accélérateur de la républicanisation

C’est un autre 16 mai, 1877, qui aboutit à abandonner l’exercice du droit de dissolution des pratiques admises par la République parlementaire. Alors que la République de 1848 séparait strictement les pouvoirs sans instrument de sortie de crise, l’article 5 de la loi du 25 février 1875 prévoit que « le Président de la République peut, sur l’avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l’expiration légale de son mandat. »
Monarchiste élu en 1873 pour un septennat à l’Élysée avec pour mission de préparer une restauration, Mac-Mahon refuse de nommer à la tête du gouvernement Gambetta, chef de la majorité à la Chambre en 1876. La nature du régime restait ambigüe : le Chef de l’État, doté d’une légitimité antérieure à celle du législatif, entend exercer un exécutif responsable devant le pays. Le président de la République désavoue le modéré Jules Simon, le 16 mai 1877, et s’appuie sur le Sénat pour dissoudre la Chambre des députés. Les législatives vont trancher entre les deux lectures constitutionnelles.
Le leader républicain présente le combat du 14 octobre 1877 comme un affrontement entre le passé d’un pouvoir liberticide, qui mobilise le Clergé et les préfets, et l’avenir incarné par les représentants du peuple français souverain. En menaçant le chef de l’État de devoir, quand le peuple se sera exprimé, « se soumettre ou se démettre », le président de la Chambre anticipe sur le bras de fer entre les deux sources de légitimité. Après la confirmation de la majorité républicaine à la Chambre, Gambetta sape le pilier sénatorial de « l’Ordre moral ». « Commis-voyageur » de la République, il fait des municipales de 1878 une consultation sur le libre choix du maire qui renverse la majorité sénatoriale, privant le Président de la République de son dernier soutien institutionnel. Après s’être soumis, le chef de l’État n’a plus d’autre choix que de se démettre en 1879.

La dissolution, arme de dissuasion et de sortie de crise (1955-2024)


A partir de son successeur Jules Grévy, la dissolution est jugée contraire aux usages démocratiques. En cas de désaccord, le président ne peut que démissionner, tel Alexandre Millerand face au Cartel des gauches en 1924. Si les constituants de 1946 inscrivent le droit de dissolution dans la constitution de la IVe République, ils en font une « dissolution automatique », et non une prérogative discrétionnaire de l’exécutif. Seul le Président du Conseil Edgar Faure en use, un 2 décembre 1955, ce qui lui vaut le reproche de bonapartisme et la perte du pouvoir face au « Front républicain » de Mendès France et Mollet.
Sous la Ve République, le droit de dissolution revient au Président de la République : le tournant de 1962 couple dissolution de l’Assemblée et référendum sur l’élection directe du Chef de l’État. En mai 1968, de Gaulle annonce un référendum, mais c’est la dissolution qui lui donne une majorité absolue. La dissolution de mai 1981 offre à François Mitterrand une « chambre rose », alors que celle de 1988 ne débouche que sur une majorité relative qui contraint le gouvernement Rocard à des « majorités d’idées ».
La « dissolution de confort » de 1997 est incomprise par l’opinion, désarçonnée par le revirement d’un Président élu sur la « fracture sociale », gouvernant selon les critères de Maastricht. Son revers électoral ouvre cinq ans de cohabitation, sans entrave à l’application du programme de la « gauche plurielle », jusqu’au « coup de tonnerre » du 21 avril 2002.

En 2024, le « coup de tonnerre » des européennes précède la dissolution. Les législatives accoucheront-elles d’une majorité alternative, ou bien d’une crise ? En ce cas, les autres leviers, à l’exception du référendum, ayant été utilisés en vain – changement de gouvernement, dissolution – la question de la démission du Chef de l’État se posera. Sans doute ses derniers partisans regretteront-ils alors que le filtre de l’avis conforme du Sénat ait disparu.

 

Commentaires

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  1. Si “l’Assemblée est ingouvernable” à l’issue du second tour le 7 juillet, une éventuelle démission du Président de la République dans la foulée ne saurait résoudre le problème puisqu”une nouvelle dissolution de la Chambre ne saurait intervenir qu’en juillet 2025.
    Une sortie de crise serait un référendum pour une nouvelle constitution, marquant un Présidentialisme extrême, reléguant le Parlement à inaugurer les chrysanthèmes, comme on dit. Est-ce l’objectif final d’EM ?

  2. L’un des effets de cette dissolution est qu’il sera permis au rassemblement national de détenir – ou pas- une majorité absolue des sièges avec 34% des suffrages exprimés, autrement dit face à 66 % des électeurs qui lui seront hostiles. Ce n’est pas nouveau sous la 5è république, le scrutin majoritaire balaie du champ institutionnel toutes les minorités et permet à une formation politique d’accéder au pouvoir et de gouverner sans partage avec une représentativité d’un peu plus du tiers de la population. C’est une situation à laquelle nous nous sommes habitués et qui a fonctionné tant que les formations politiques appartenaient à ce qu’on appelle depuis peu l’arc républicain, mais ça ne fonctionne plus avec une formation politique aussi clivante que le rassemblement national, quels que soient les efforts de dédiabolisation de sa présidente, relayés par les médias du groupe Bolloré. C’est sans doute là le cœur de la crise politique qui s’annonce, que le rassemblement national dispose ou non d’une majorité absolue. Nous avons au moins appris avec l’actuel chef de l’état que lorsqu’on gouverne en ignorant le pays, cela finit généralement assez mal.

  3. Libre à Messieurs Allorant et Badier de choisir une des explications formulée par Macron pour justifier sa décision de dissolution : “la nécessité de clarifier la situation ” pour ensuite inscrire cette décision dans une analyse historique.
    Quelle eût été la teneur de l’article s’ils avaient choisi une autre explication formulée par Macron : “Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils s’en sortent” ?
    Parce qu’avec une telle phrase après avoir explicité le sens de l’adjectif possessif “MA” et qui sont ces “ILS” visés par Macron il serait éclairant de comparer son comportement avec celui d’un certains nombre d’autres “tarés” (dixit F Ruffin).

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