À 24 jours du résultat d’une campagne électorale éclair, Magcentre vous propose, avec la plume de Joséphine, de décrypter sous la forme d’un compte à rebours, cette échéance qui menace les fondements mêmes de nos valeurs républicaines.
9h : Lendemain de cuite de campagne
Petit moral à la manif hier à Tours. À l’initiative des organisations de jeunesse des parties prenantes du Nouveau Front Populaire, environ 2 000 personnes se sont rassemblées pour alerter sur les dangers de l’extrême-droite et lancer la campagne législative.
Quelques minutes avant, lors d’un événement équivalent à Tours Nord – cinquième circonscription d’Indre-et-Loire –, une figure écologiste élue à la Ville et à la Région était agressée physiquement par une femme aux cris de « la France aux Français ».
Il y a 22 ans, au soir du 21 avril 2002, dix fois plus de monde inondait les rues de Tours pour crier sa colère de voir Le Pen qualifié au second tour de la présidentielle. De la gare au palais de Justice, les rues étaient noires de monde, à touche-touche, spontanément. Mais hier, c’est tout juste si la petite foule a pu bloquer 30 minutes le tram. Ensuite, le cortège a sillonné la vieille ville, sous le regard mi-médusé mi-amusé des passants et étudiants attablés aux bars. Drôle de sensation que de défiler contre le péril de l’extrême-droite en une sorte de parade exotique, certains badauds n’étant même pas au courant de la dissolution mais appréciaient la batucada, c’est déjà ça.
Il y avait place Jean Jaurès les forces habituelles de la gauche dans toute sa diversité : syndicats étudiants, PS, PCF, anarchistes, Écologistes, FI, mouvements de solidarité avec la Palestine, pacifistes, NPA, militants LGBT, élus, citoyens, Génération.s, responsables syndicaux, associatifs… Mais il y a eu aussi la drôle de sensation de voir, une fois le cortège parti et la place redevenue calme, une demi-douzaine de notables du PS peu tentés par la manif une fois l’acte de présence et de selfie concédé. Costard mais pas de cravate – on est de gauche hein –, uniquement des hommes blancs, la plupart plus de 50 ans, palabrant, souriants, satisfaits, exaltés par ce contexte de manœuvres, « amis » de 20 ans, dont certains ne doivent leur poste il y a quelques mois que par un coup de couteau dans le dos de la Nupes, tentés par une rapide liquidation de LFI. D’autres sont là aussi, tentant de revenir dans le jeu malgré une condamnation pour des violences, dans le plus grand des calmes comme disent les jeunes. On se serait cru dans une caricature de Daumier mais en couleur.
Drôle de sensation de voir un autre vieux en costard passer sur France 2 à 20h pour mettre un pied dans la porte de l’union. Il est vrai que Jean-Luc Mélenchon a gardé son calme et que la journaliste s’est montrée particulièrement agressive, mais on a bien compris que cette élection soi-disant historique est aussi le cadre de la passe d’armes entre générations et stratégies à la tête de LFI.
La plus drôle des sensations pour un unioniste convaincu, c’est de finir par penser ce genre de chose, de regarder certains membres de partis continuer de se cracher dessus malgré les enjeux, de recevoir des messages car on a été trop ou pas assez méchant avec tel ou tel insoumis ou socialiste, que c’est pas le moment, qu’on verra plus tard. Il est possible que la fatigue, la nervosité et les rancœurs accumulées par deux années de dysfonctionnements de la Nupes finissent par produire cela. Mais il est également possible que désormais, les unionistes sincères se méfient de ces montages conjoncturels entre professionnels de la profession, où tout et son contraire est dit en 24h, où on demande confiance aveugle aux militants et citoyens depuis des bureaux capitonnés à Paris où quelques responsables gèrent la boutique, attendant de la base discipline et obéissance, sans infos, sans transparence.
Bien sûr, le timing est tellement serré et l’empire médiatique tellement central dans le jeu, que c’est déjà beau d’avoir réussi à se mettre d’accord, que Glucksmann et Mélenchon la mettent en sourdine au service de l’alliance, de voir la panique bourgeoise commencer à prendre, de constater le drôle d’exercice du pouvoir de Macron. Mais la question lancinante qui se pose et qui mine le moral c’est ce qui se passera le 8 juillet, le lendemain de l’élection. On repart de la même manière ? Des groupes séparés ? Une stratégie d’agitation de LFI qui met le malaise à ses partenaires et qui prête trop le flanc à la curée médiatique ? Les ambiguïtés du PS et de ses éléphants égotiques ? Les stratégies lunaires du PCF et des Écologistes ? Les insultes et prises de bec permanentes sous l’œil des caméras ?
La situation d’urgence actuelle est le fait du choix de Macron de dissoudre, se pensant à son habitude brillantissime, ok, mais si depuis 2022 la Nupes avait structuré et approfondi l’union, on n’en serait pas là à subir le tempo. À jouer à des unions de façade et à mobiliser une mémoire de gauche très riche et symbolique – « Front Populaire », « Programme Commun » -, les partis de la gauche jouent vraiment avec le feu. Ça ne marchera pas une fois de plus en 2027 ou 2032. Et aucun parti ne prendra le dessus pour rafler la mise.
Donc le 8 juillet, au lendemain de second tour, il faudra une réunion de plus et monter un calendrier pour préparer 2027 : assemblées des partis, instances de débat et de définition d’un programme commun, instances pour définir des lignes en fonction de l’actualité, instances pour trouver une méthodologie pour désigner des candidats, instances pour sanctionner les électrons libres qui nuiraient au cadre commun alors qu’ils en ont bénéficié le 30 juin et le 7 juillet. Il n’y a pas d’autre solution. Et il faut que ces messieurs grisonnants en costard s’y plient et que les jeunes qui manifestaient hier les y contraignent.
15h : Nouveau Front Populaire contre droite libérale
On apprenait ce matin que Gabriel Attal maintenait son projet de décret portant sur une énième réforme de durcissement d’accès aux droits du chômage. Il entend le faire passer avant le 1er juillet, malgré le contexte électoral et les tensions sociales. Profite-t-il de l’agenda politique chargé pour imposer une mesure impopulaire en catimini ? Est-il à ce point vexé de ne pas avoir compté parmi les personnages consultés par Jupiter pour décider de la dissolution qu’il veut-il laisser ainsi un maigre héritage et montrer qu’il pèse ? Veut-il juste garantir la bonne tenue du calendrier libéral de la majorité actuelle ?
En-tout-cas, cette information en dit long sur la nature profonde du macronisme et de ses méthodes. Les négociations entre partenaires sociaux issus de la démocratie sociale et des élections professionnelles – les fameux « corps intermédiaires – , ce n’est pas la tasse de thé des technocrates libéraux : trop longues, trop incertaines, trop de compromis, trop de gens autour de la table qui ne sortent pas de Sciences Po. Bref, une odieuse incrustation de l’ancien monde, avec le risque que les choses dérapent et que ces salauds de salariés fassent grève et manifestent. Ainsi, Emmanuel Macron, en rupture avec les traditions républicaines depuis 1946, impose depuis 2018 un calendrier et certaines contraintes aux partenaires sociaux quand ils négocient. Et s’ils ne parviennent pas à un accord qui sied au président, il impose par décret sa solution, avec en bonus la possibilité de communiquer sur les lenteurs et rigidités des syndicats, c’est toujours ça de pris. C’est d’ailleurs exactement ce qui s’est passé cette fois encore avec la réforme de l’assurance chômage et ce décret qui servira d’épitaphe à la courte expérience de Matignon pour Gabriel Attal.
Du reste, c’est carrément l’assurance chômage que Bruno Le Maire se proposait de nationaliser en mars dernier, c’est-à-dire de tout gérer au niveau de l’État plutôt que de s’en remettre à la démocratie sociale chère au Conseil National de la Résistance de Jean Moulin. À terme, tout cela serait géré par les énarques de Bercy : durées, niveau d’indemnités, droits, devoirs. Une belle mise au pas comme l’aime tant le macronisme.
Cela est à resituer dans une offensive plus globale dont l’enjeu idéologique trouve également des résonances concrètes : montrer à la commission européenne que oui on va faire des économies et aux agences de notation que oui oui on restera un pays bankable où il fera bon investir.
Un autre exemple ? La présentation par Bruno Le Maire du projet de nouvelle fiche de paye. Exit les colonnes présumés indigestes où chaque salarié peut voir ce qu’il cotise à chaque caisse de solidarité et aux dispositifs de salaire différé. Place au choc de simplification !
L’idée est donc de mettre en gros et tout en haut le coût employeur. Ensuite, on montrera combien doit verser le gentil patron pour nous payer. On enchaîne avec combien de « charges » on prend au salarié, avec une somme précédée d’un moins. Enfin, le salaire net tout en bas. D’un coup d’œil on verra combien qu’on nous rackette. Rien n’est spécifié, rien n’est expliqué, rien n’est détaillé : combien je coûte à mon patron et combien je gagne. Point. Cela a l’air de rien, que c’est juste formel et que toute critique ne pourra provenir que d’un syndicaliste psychorigide plus ou moins communiste. Mais pourtant, sous l’argument de « bon sens » de la « simplification », c’est encore un bout de la démocratie sociale que le macronisme veut liquider. D’abord invisibiliser, puis « simplifier » avant de démanteler.
Voilà aussi pourquoi avec 88% de salariés en France et 50% de gens qui gagnent moins de 2 000 euros par mois, la démocratie sociale et la garantie de nos protections via des caisses de solidarité doivent être l’objet d’une défense bec et ongles. Voilà aussi la raison d’exister du Nouveau Front Populaire.
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